Béji Caid Essebsi entre un fils revanchard et un poulain rebelle

Béji Caid Essebsi entre un fils revanchard et un poulain rebelle

Depuis les premiers jours de Ramadan, la Tunisie vit au rythme d’une grave crise politique qui s’enlise de jour en jour, et à laquelle on ne voit pas d’issue, du moins dans l’immédiat. L’allocution télévisée du chef du gouvernement Youssef Chahed dans la soirée du 29 mai dernier a plombé le climat général déjà délétère. Son attaque frontale contre Hafedh Caid Essebsi le directeur exécutif de Nidda Tounes et fils du président de la république de son état, a fini par casser ce fil d’Ariane qui aurait permis au pays de se tirer de la situation difficile et compliquée dans laquelle il s’est enlisé. Un combat à mort est engagé entre les deux hommes, avec pour enjeu principal les échéances de 2019 qui habitent de plus en plus toute la classe politique sans exception. Le fils, à qui le père a confié les clés du parti après son élection à la présidence de la république, ne se résout à aucune concession. Il a juré mordicus de laver son honneur bafoué et de se venger du coupable en obtenant sa tête.

Les accusations de Chahed ont, en effet, sonné comme coup de massue. Laissé pour « groggy », Hafedh Caid s’est réveillé pour battre le rappel de ses troupes et organiser la riposte. Réputé taiseux, mais revanchard, il a lancé ses fidèles sur les plateaux télévisés et dans les médias pour descendre le chef du gouvernement, un des leur, en toutes pièces. Mais ses troupes ne sont plus ces moutons de Panurge qui se contentent de suivre instinctivement les directives du maitre sans exercer leur esprit critique. Des voix se sont élevées pour appeler à plus de modération alors que d’autres, se sont, carrément, déclarés contre l’intransigeance de la direction du parti se rangeant du côté de Chahed qui, apparemment, se délecte d’avoir marqué de points dans cette bataille et continue à faire fi des attaques de ses adversaires. Pour Hafedh Caid Essebsi, l’éviction de Youssef Chahed de la primature est devenue une obsession. Il a trouvé en Noureddine Tabboubi, le secrétaire général de l’UGTT, un puissant allié et ne désespère pas de son père qui, sous la pression de la famille, pourrait lâcher son poulain. Son groupe parlementaire, déjà amoindrie, donne des signes de fissure et se trouve dans l’incapacité de déposer une demande de retrait de confiance au gouvernement qui nécessite d’abord la signature des deux tiers des députés, soit 73, puis le vote de la majorité absolue. Chose impossible pour le moment.

Youssef Chahed qui a réussi à forcer la main au président de la république, son parrain et mentor, s’est débarrassé de l’encombrant ministre de l’intérieur Lotfi Brahem sacrifié sur l’autel de l’entente avec le mouvement Ennahdha avec qui, il a, désormais des atomes crochus. Il bouge à tous les coups, fait des descentes dans les marchés et les hôpitaux, réunit ses ministres et prend des décisions. Pour lui, la vie continue et l’activité du gouvernement ne s’arrête pas au milieu de ce tumulte et il ne coulera pas. Mieux, il a déjà préparé son remaniement et s’apprête à l’annoncer. D’aucuns pensent qu’il a des cartes entre les mains, dont le soutien des partenaires étrangers, pour se protéger contre tous les aléas. A moins qu’il ne se décide de démissionner. Ou solliciter un vote de confiance comme son prédecesseur Habib Essid. Ce qui est pratiquement exclu, du moins pour le moment.

Pendant ce temps, Béji Caid Essebsi qui, dit-on, a été pris de cours par l’intervention musclée de Youssef Chahed, observe sans broncher. Il se trouve dans l’embarras. Mais ceux qui le connaissent bien disent qu’il ne pardonnera jamais l’offense  faite à son fils. De retour de Paris où il a participé au sommet sur la Libye, il a reçu plusieurs fois le chef du gouvernement, mais rien n’a filtré sur leurs rencontres, sauf ce qui a été autorisé par les services de presse de la présidence. Il semble avoir perdu l’initiative après sa brusque décision de suspendre les travaux du Document de Carthage. D’ailleurs, il a fait savoir aux signataires du Document, qu’il n’est pas de son rôle de démettre le chef du gouvernement. Il n’a même plus assez de cartes entre les mains. A moins qu’il ne se résolve à appliquer l’article 99 de la Constitution en soumettant un vote de confiance sur la poursuite de l’action du Gouvernement, devant l’Assemblée des représentants du peuple, avec tous les risques encourus, en l’absence du soutien du mouvement Ennahdha. Mais l’on connait sa stratégie quand il veut se débarrasser de quelqu’un. Il a souvent recours à une tierce partie ou une tierce personne pour asséner le coup de grâce. Cette tierce personne ne pourrait être que son allié du Bristol Rached Ghannouchi qui a pris de la hauteur pour mieux jauger la situation en fonction des intérêts de son mouvement. Le déroulement des évènements l’a mis dans les habits du vrai maitre du jeu. Se trouvant en position de force, le président d’Ennahdha pourrait alors « monnayer » son ralliement. Car les volte-face sont le corollaire de la politique.

Et les Tunisiens qui suivent, avec beaucoup d’indifférence, cette bataille entre un rejeton qui se veut digne successeur de son père et un poulain qui se rebelle contre son parrain, sont devenus, à leur corps défendant, les dindons de cette farce qui a fini par les dégouter.

B.O     

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