Béji Caïd Essebsi l’artisan de la transition démocratique

Béji Caïd Essebsi l’artisan de la transition démocratique

Qui aurait pu imaginer que Béji Caïd Essebsi rende l’âme le 25 juillet, le jour de la commémoration du 62ème du régime républicain. Le dicton selon lequel l’homme est le fruit du hasard et de la chance prend son plein sens avec cet homme qui a marqué la Tunisie depuis plus de soixante ans.

Appelé par Bourguiba pour être à ses côtés lorsque le pays a acquis son indépendance, il sera l’un des bâtisseurs de la République, comme ministre dans les trois postes régaliens (l’Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères) et comme ambassadeur, ce qui ne l’a pas empêché de s’opposer au Combattant suprême et de faire partie de l’aile libérale du Parti socialiste destourien, ce qui lui a valu d’être exclu de ce parti, sans pour autant couper les ponts avec son mentor.

Comme beaucoup d’autres dirigeants, il a cru en les promesses d’ouverture de Zine Ben Ali dont il a rejoint le régime comme président de la Chambre des députés mais au bout d’une année il a déchanté. Comme à chaque fois, lors de ses traversées du désert, il a repris sa robe d’avocat. D’ailleurs de son vivant, il était le doyen de ce corps auquel il était très attaché.

Lui qui disait qu’un homme politique n’est jamais mort s’il n’est pas mort physiquement a été rattrapé par la politique à l’automne de sa vie. En mars 2011, un mois et demi après la chute du régime  de Ben Ali, il a en effet été appelé à 85 ans à assumer les fonctions de Premier ministre dans une époque trouble de l’histoire du pays.

D’ailleurs le pays lui doit une fière chandelle, puisqu’il a réussi à apaiser les esprits et à conduire le pays aux premières élections libres et transparentes de son histoire, avec l’élection de l’Assemblée nationale constitutive en octobre 2011. Lorsqu’en décembre 2011 il remet le gouvernement entre les mains des vainqueurs du scrutin, les islamistes d’Ennahdha et leurs alliés, personne pas plus que lui-même ne pouvaient imaginer que l’homme reviendra au-devant de la scène et jouera un rôle majeur dans la transition démocratique dans laquelle la Tunisie s’est engagée.

Non content d’observer les dérives de la nouvelle majorité qui cherche à s’éterniser au pouvoir alors qu’elle avait pour mission de doter le pays d’une nouvelle constitution, il lancera d’abord un appel pour le rééquilibrage de la scène politique avant de convertir cet appel en parti politique, qu’il baptisera d’ailleurs Nidaa Tounes (l’Appel de la Tunisie).

Contrée violemment par le pouvoir en place, la nouvelle formation politique est accueillie favorablement par une frange importante de la population qui ne s’est pas retrouvée dans les choix de la nouvelle majorité. Il faut dire que BCE avait eu la main heureuse puisqu’il a pris soin de constituer un parti avec différents affluents parmi lesquels on retrouve les destouriens, les syndicalistes, les gauchistes et des figures indépendantes.

Encore une fois le hasard croise sa route. En effet, la montée en puissance du nouveau parti fut favorisée par les assassinats politiques que le pays va connaitre en 2013 pour la première fois de son histoire. En février de cette année, le leader de la gauche, Chokri Belaïd tombe sous les balles des terroristes, suivi le 25 juillet par le député et dirigeant unioniste Mohamed Brahmi.

Le pays était au bord de la guerre civile lorsque Béji Caïd Essebsi qui s’est mué en leader de l’opposition favorable à un Dialogue national sous les auspices de la société civile tunisienne dirigée par la centrale syndicale UGTT a lancé un appel au leader d’Ennahdha Rached Ghannouchi pour qu’il rejoigne ce Dialogue.

Les deux hommes devaient se rencontrer à l’Hôtel le Bristol à Paris le 15 aout 2013 et sceller un accord qui marquera de façon indélébile la Tunisie d’après le 14 janvier 2011. C’est dit-on au cours de cette rencontre qu’une politique de consensus a été envisagée entre les deux formations politiques antinomiques que sont Nidaa Tounes et Ennahdha.

Alors que les deux partis avaient engagé les élections de 2014 comme étant deux parallèles qui ne se rejoignent jamais, ils devaient démentir toutes les prévisions en faisant une alliance jugée contre-nature au sein du gouvernement post-élections dirigé par Habib Essid, un non encarté à Nidaa Tounes choisi à ce poste par la seule volonté de Béji Caïd Essebsi.

Cette nomination n’a pas été du goût des dirigeants de Nidaa Tounes qui ont commencé à déserter ce parti surtout qu’ils ont constaté la détermination du président-fondateur à en remettre les rênes à son fils, Hafedh. C’est le commencement de la descente aux enfers de ce parti qui a perdu au fil du temps ses troupes chutant de 86 députés à tout juste la quarantaine, cédant la 1ère place à l’ARP au parti concurrent Ennahdha.

Lorsqu’en aout 2016, à travers le processus du Document de Carthage, Béji Caïd Essebsi nomma le jeune quadra Youssef Chahed comme chef du gouvernement, il ne savait pas que ce dernier va le défier en se rapprochant avec le parti islamiste qui soutiendra son maintien dans ses fonctions au nom de la « stabilité gouvernementale ».

Malgré les coups de poignard qu’il recevra dans le dos de la part de ses alliés, BCE agira en homme d’état en acceptant les remaniements ministériels qui lui sont imposés et les cérémonies de prestation de serment qui leur sont attachés.

Contre mauvaise fortune il fera bon cœur, privilégiant « l’essentiel à l’important » qui fut d’ailleurs le titre du livre qu’il consacra à Bourguiba et publié en 2009.

Mais l’homme qui n’aura jamais accepté « d’inaugure les chrysanthèmes » selon le mot du général De Gaulle, trouva dans le paraphe de la loi portant amendement des dispositions électorales qu’il refusa net l’occasion d’imposer la primauté de sa fonction parmi les institutions.

Ce fut d’ailleurs sa dernière volonté avant de succomber des suites d’un malaise aigu qui l’a terrassé le 27 juin et dont il ne va plus se relever.

Béji Caïd Essebsi restera à n’en point douter un homme qui aura marqué son temps. Il restera celui qui a mis en œuvre et accompagné la transition démocratique et assuré l’alternance en Tunisie. Ce que les générations futures le lui reconnaitront certainement.

Allah Yarhmou

RBR

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