Bourguiba entre génie fécond et dérives mégalomaniaques
N’en déplaisent à ses détracteurs nourris du pain de l’ingratitude, aux aigris abreuvés du lait de la haine et aux apprentis historiens atteints de la maladie d’Alzheimer, honorer la mémoire de Bourguiba n’est point la sacralisation d’une personne comme certaines âmes malintentionnées le prétendent mais honorer l’ensemble de son œuvre faite d’empreintes indélébiles dans l’édification de la première république moderne, de consolidation de ses choix sociétaux audacieux et pertinents, de construction des institutions, d’ingéniosité diplomatique, de militantisme patriotique, de paternalisme légendaire, de visions progressistes, d’enracinement identitaire et d’exercice parfois mégalomaniaque du pouvoir et de dérives autoritaristes.
Son patriotisme, sa vision avant-gardiste, son paternalisme , son progressisme, sa verve, son charisme et son éloquence féconde autant ils ont contribué à baliser les fondements des institutions solides , à enflammer les foules et à fédérer les forces vives autant ils ont accentué son narcissisme et permit l’éclosion d’une cohorte de courtisans qui gravitaient autour de lui et qui ne devaient leur présence qu’à une glorification du Moi de Bourguiba et son exercice personnel et parfois autoritaire du pouvoir durant ses dernières années de règne.
Homme politique, homme d’Etat, homme de conviction, homme d’exception et homme tout court, son bilan controversé ne pourrait masquer son règne illuminé. Il était porteur d’un d’une idée de la république et d’un projet sociétal et ses paris osés pour l’émancipation de la femme, la santé, l’école obligatoire et le modernisme témoignent de la grandeur d’un penseur et d’un visionnaire. Convaincu de son islamisme et de son arabité, il a su, avec sagesse et doigté, consolider les sentiments identitaires et concilier les valeurs traditionnelles et ancestrales avec les impératifs de progrès et de modernité. D’ailleurs Bourguiba n’a cessé de marteler à qui veut bien l’entendre : « La Tunisie n’est pas laïque, elle est juste musulmane et moderne. L’islam, religion de paix et d’amour n’est point contradictoire avec le savoir et la modernité. »
Son génie a été de dépasser avec brio nos paradoxes et nos contradictions et de promouvoir son idéal de modèle sociétal. L’école, la santé et l’émancipation de la femme ont été les leviers de l’ascenseur social pensé par Bourguiba qui a profondément modifié la structure de la société en la rendant plus urbanisée, plus homogène et plus prompte au savoir et au progrès.
A l’heure de la construction d’une 2eme république, la résurrection du Bourguibisme dépasse la dimension humaine, individuelle, nostalgique et émotionnelle pour revêtir une pensée, une trajectoire, une philosophie, un projet et une vision de l’Etat, du pouvoir et de la société.
Jalel JEDDI