Caïd Essebsi : la crise est réelle et seule l’union nationale peut ouvrir les portes de l’espoir

Caïd Essebsi : la crise est réelle et seule l’union nationale peut ouvrir les portes de l’espoir

 

Béji Caïd Essebsi n’y va pas par quatre chemins pour qualifier la situation en Tunisie. Son diagnostic est sans appel : la Tunisie traverse une crise réelle aux dimensions multiples. Il la relativise pour ajouter que cette crise dure depuis quelque temps, un temps lointain, pour dédouaner en quelque sorte la direction actuelle. Dans une lettre publiée ce samedi par le quotidien « le Maghreb » le chef de l’Etat détaille les manifestations de cette crise multidimensionnelle.

La première est la volonté de certaines parties de jeter le discrédit sur les acquis post-révolution malgré le saut qualitatif réalisé au niveau des libertés, individuelles et collectives dont surtout les libertés d’expression , de presse et d’information et les libertés politiques ainsi que l’organisation d’ élections libres , transparentes dont tout le monde reconnait la crédibilité. Parmi ces acquis, il cite aussi la signature d’un accord sur la paix sociale entre le gouvernement et les partenaires sociaux sous l’égide du président de la république qui a permis d’importantes majorations salariales malgré des moyens limités et une conjoncture économique difficile. Le président note qu’en dépit de ces acquis, certains partis politiques ont continué à mettre en doute l’importance de ces acquis quand ils n’évoquent pas un retour en arrière.

Dans ce contexte il déclare « s’engager devant le peuple tunisien, dépositaire de la souveraineté qu’il n’y aura jamais de retour en arrière, qu’il n’y aura pas de recul sur les libertés et que la dictature ne reviendra plus jamais ». Il nous faut instaurer un nouveau comportement entre les différents partis politiques fondé sur le respect mutuel entre la majorité et la minorité, dans lequel cette dernière s’éloigne de la logique de l’affrontement et du heurt alors que la première doit prendre en considération les avis contradictoires par l’écoute, le dialogue et la persuasion. Selon lui, le parlement demeure le meilleur espace pour le débat politique. Sur le plan économique, le président de la république note que la révolution s’est déclenchée pour réaliser la liberté, la dignité et l’emploi sans lequel point de dignité. Force est de constater que si nous avons réalisé la liberté et la démocratie, le succès de l’entreprise reste tributaire de notre capacité à réaliser la dignité de la population et des régions déshéritées et de la jeunesse marginalisée, laquelle se sent profondément frustrée puisque le taux de chômage pour les diplômés comme pour les autres catégories est passé de 13% en 2010 à 15,4% en 2015, ce qui est inacceptable.

Les difficultés peuvent être imputées aux difficultés de la phase transitoire mais désormais nous n’avons plus d’excuse et il importe de prendre les mesures urgentes pour sortir de cette situation. Parmi ces mesures, il mentionne en premier celui du retour du rythme normal de l’appareil de production. En effet il juge absurde que la production des phosphates de 2015 soit au niveau de celle de 1928 quand on utilisait les outils rudimentaires.

Il évalue nos pertes dans ce secteur depuis 2011 à 5000 millions de dinars, soit une somme équivalente au dernier emprunt agréé par le FMI. Il ajoute que la baisse de production ne concerne pas les phosphates mais d’autres secteurs comme le pétrole et le gaz. Ainsi en 2015, seuls 8 puits de pétrole ont été creusés contre 38 puits en 2010, de sorte que la production intérieure ne couvre que 55% de notre consommation contre 93% en 2010. En revanche, souligne-t-il, la masse salariale est passée de 6700 millions de dinars en 2010 à 13000 millions de dinars en 2015 soit un accroissement de 92% alors que le budget de l’Etat ne s’est accru que de 55% au cours de la même période.

Le président Béji Caïd Essebsi énumère ensuite les priorités de la phase suivante. Elles sont au nombre de cinq :

-Primo : la lutte contre le terrorisme. Nous avons déclenché une guerre sans merci contre le terrorisme, grâce à notre volonté politique, ce qui nous a permis d’enregistrer d’indéniables succès, mais cela a demandé l’accroissement des dépenses allouées à cette fin d’environ 4000 millions de dollars. Mais cette guerre ne sera pas gagnée sans l’instauration d’un Etat de droit où l’Etat est respecté par les citoyens et où on ne tolère pas le laxisme, le blocage des routes et de la liberté du travail et autres manifestations de l’anarchie. L’Etat de droit garantit aussi l’égalité des citoyens devant les devoirs et les droits, dont en premier lieu le droit à un emploi convenable et à une vie décente.

-Secundo : instauration d’une politique spécifique en faveur des villes et des collectivités locales : cette politique doit avoir pour finalité de faire de toutes les zones des espaces convenables pour la vie, l’investissement et les loisirs. Pour ce faire, il importe de doter toutes les agglomérations des commodités, telles que les écoles, les lycées, les dispensaires mais aussi des salles de cinéma, des théâtres, des bibliothèques publiques dans un environnement propre.

-Tertio : impulser le développement. A cet égard, il souligne que si le plan de développement qui a été élaboré est important, il demeure insuffisant, car les attentes sont bien plus larges, ce qui doit nous conduire à attirer les investissements extérieurs, à renforcer et à encourager les investissements intérieurs ainsi qu’à réduire le phénomène du commerce parallèle. Ce qui revient à tisser une relation de confiance forte avec le secteur privé.

-Quarto : lutte contre la corruption. Selon lui la corruption gangrène l’Etat tunisien depuis longtemps. Déjà avant le 14 janvier 2011, on estime le manque à gagner en raison de ce phénomène à 2 points de croissance. Après 2011, la corruption s’est aggravée, puisque la Tunisie est passée de la 65ème à la 76ème place, ce qui a été dommageable pour le pays, sa révolution et sa démocratie. Le président appelle à accélérer la mise en place de lois à cette fin. Il juge la corruption aussi destructrice que le terrorisme et affirme que l’on ne peut en venir à bout que par la conjugaison des efforts de l’Etat et du citoyen. Il évalue le gain à 2 à 3 points de croissance ce qui équivaut à la création entre 30000 et 45000 emplois.

-Quinto : simplification des formalités administratives. Pour assurer le succès à la lutte contre la corruption, le Chef de l’Etat préconise des réformes profondes au sein de l’administration tunisienne par la simplification des formalités administratives et la généralisation de l’administration électronique.

Dans la conclusion de sa lettre, le président Caïd Essebsi souligne que la réalisation de ces objectifs demeure tributaire de la cohésion entre tous les acteurs politiques d’un côté et les grandes organisations nationales, la société civile et les moyens d’information de l’autre.

Ainsi rappelle-t-il c’est l’union nationale qui a permis à la Tunisie à l’aube de l’indépendance de sortir des conditions difficiles dans lesquelles le pays se trouvait. Enfin, il estime que les chances de réussite de la Tunisie sont réelles et qui si elles n’ont pu pleinement jouer c’est parce que les priorités n’ont pas été fixées, qu’il n’y a pas d’adhésion autour d’un programme commun. D’où la nécessité de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale dont les composants doivent faire montre de compétence, de loyauté et d’harmonie en vue de garantir l’efficacité de leur rendement et ce après l’approbation par le Parlement des priorités de ce gouvernement telles qu’ énumérées précédemment.

R.B.R.

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