Conflit libyen : Va-t-on vers la partition du pays entre une Tripolitaine « turquisée » et une Cyrénaïque « russifiée ».

Conflit libyen : Va-t-on vers la partition du pays entre une Tripolitaine « turquisée » et une Cyrénaïque « russifiée ».

La situation en Libye risque de dégénérer en un conflit ouvert entre la Russie qui soutient le maréchal Khalifa Haftar à l’Est et la Turquie qui intervient en faveur du gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez Sarraj à l’Ouest. Ce conflit impacte directement les pays voisins dont notamment la Tunisie, divisée entre pro-Sarraj et pro-Haftar.

Pour mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain, j’ai lu pour vous un excellent article publié dans le journal le Monde de jeudi 28 Mai 2020 : « Libye : la menace d’une suzeraineté turco russe. Moscou consolide les fiefs du maréchal Haftar, dans l’Est, tandis qu’Ankara défend ceux des autorités de Tripoli »

Extraits :

 La guerre en Libye est en train de muer. Elle change de forme sous l’effet de l’implication croissante des Turcs et des Russes. Deux événements ont illustré cette reconfiguration du théâtre militaire, dont l’issue pourrait être l’internationalisation de la partition du pays entre une Tripolitaine (Ouest) « turquisée » et une Cyrénaïque (Est) « russifiée ».

Samedi 23 mai, plusieurs centaines de « mercenaires » de la compagnie de sécurité Wagner – proche de Moscou – ont quitté Tripoli vers l’oasis de Beni Oualid, située à 150 km au sud-est de la capitale, où les attendaient des avions Iliouchine assurant des rotations vers la base d’Al­Juffra, localisée à 350 km encore plus à l’est, au cœur du désert. Cette apparente retraite soldait une série de revers essuyés autour de Tripoli par le maréchal dissident Khalifa Haftar, au service duquel ces mercenaires combattent.

Un an après l’assaut déclenché par l’Armée nationale libyenne (ANL) d’Haftar contre le gouvernement d’« accord national » (GAN) de Faïez Sarraj, reconnu par les Nations unies, le conflit n’a cessé de s’enliser aux abords de la capitale, jusqu’à tourner en défaveur des forces assaillantes. La montée en puissance du soutien de la Turquie au GAN de Sarraj a endigué puis repoussé l’offensive du maréchal Haftar. Ce dernier est soutenu par une coalition de parrains étrangers (Russie, Emirats arabes unis, Egypte, Arabie saoudite) et a longtemps bénéficié de la bienveillance diplomatique de Paris.

Mais la spectaculaire retraite des mercenaires de Wagner vers Beni Oualid est trompeuse. Si elle signe la fin des ambitions conquérantes au sein même de Tripoli, elle ne signifie nullement le désengagement russe du théâtre libyen. Et c’est là que le second événement intervient. Mardi 26 mai, Africom – le commandement de l’armée américaine pour l’Afrique – publiait un communiqué dénonçant le « déploiement par Moscou d’avions de chasse en Libye pour y soutenir les combattants de compagnies de sécurité privées parrainées par l’Etat russe ». Et Africom de conclure qu’une éventuelle base permanente russe en Libye serait de nature à inspirer, selon les termes du général Joseph Harrington, cité dans le communiqué, « une réelle inquiétude sécuritaire sur le flanc méridional de l’Europe ».

 Redéploiement plutôt que retrait

…C’est que les ambitions de Moscou en Libye vont, à l’évidence, au-delà de la seule personne d’Haftar. « Le temps joue en faveur des Russes, ajoute M. Harchaoui. Ils ne croient pas dans l’aventure guerrière d’Haftar. Ils travaillent plutôt à consolider leur influence politique en Cyrénaïque. » La relation entre Haftar et Moscou n’a jamais été aisée, le maréchal n’ayant à aucun moment fait l’objet d’un plein consensus en Russie. Une partie des élites moscovites, principalement au ministère des affaires étrangères, plaidaient pour une politique plus conforme à la position officielle russe, celle d’un soutien au GAN de Tripoli. L’appui à Haftar est avant tout le fait du ministère de la défense, dont la coopération avec le groupe Wagner est un secret de Polichinelle. L’objectif, de plus, n’a jamais semblé être de porter Haftar au pouvoir à tout prix, mais bien plutôt de disposer d’un levier d’influence et d’un contrepoids face aux Occidentaux.

Des Occidentaux divisés

…Le jeu de Moscou sur la scène régionale a également sa place. Le 18 mai, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se sont entretenus au téléphone. Les deux pays sont également rivaux en Syrie, où leur opposition a récemment menacé de dégénérer à plusieurs reprises dans la région d’Idlib, dans le nord de la Syrie. « La Libye est un dossier plus important pour la Turquie que pour la Russie, ajoute M. Tchoupriguine. Cela offre donc une marge de manœuvre à Moscou dans le dossier syrien. »

 Ankara a en effet très lourdement investi sur la Libye. Son entrée en scène dans la bataille de Tripoli a clairement changé la donne à un moment où le GAN de Sarraj était en difficulté... Outre ses drones, Ankara a aussi envoyé sur place autour de 7 000 miliciens syriens pro­turcs. Selon Galip Dalay, « le but du GAN et de la Turquie est à terme de rétablir leur plein contrôle sur l’ouest de la Libye ».

Dès lors, peut­on s’attendre à la mise en place d’un processus de paix de type Astana, cette médiation qui avait associé – dans le cas syrien – la Russie, la Turquie et l’Iran ? « La situation en Libye est différente de celle de la Syrie, car il y a des acteurs multiples, assure Galip Dalay. Néanmoins, la crise actuelle crée une dynamique susceptible de mettre la pression sur les autres acteurs. » Les Occidentaux, de leur côté, sont bien décidés à prévenir un tel scénario. Jusque-là divisés, « ils sont en train de réunifier leurs efforts pour éviter une syrianisation de la Libye », assure une source française.

 

 

 

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