Coronavirus : Les médecins étrangers en première ligne dans les pays riches  

Coronavirus : Les médecins étrangers en première ligne dans les pays riches  

Dans son édition de dimanche-lundi 17 et 18 mai 2020, le Monde a consacré un long article sur l’immigration des médecins étrangers qui sont à la rescousse des pays de l’OCDE au cours de cette crise du Coronavirus. Ils représentent, en effet,   plus du quart des praticiens de l’OCDE, sont souvent en première ligne face à l’épidémie de Covid­19 et forment un contingent vital pour les systèmes de santé des pays riches.

Extraits :

C’est un phénomène d’ampleur, ancré dans le temps, et pourtant il semble qu’on le redécouvre à chaque crise sanitaire : les systèmes de soins des pays riches reposent de façon considérable sur des professionnels de santé étrangers. Plus du quart des médecins en activité dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne sont pas natifs du pays dans lequel ils exercent. Même constat, ou presque, concernant les infirmiers : dans les pays à haut niveau de revenus, 15,2 % d’entre eux sont nés ou ont été formés à l’étranger, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)…

 Ces soignants constituent un contingent vital pour les pays riches, dans un contexte de pénurie chronique à l’échelle mondiale. La moitié des pays de la planète ne disposent ainsi que de 15 médecins pour 10 000 habitants. En 2013, selon sa dernière évaluation, l’OMS estimait le besoin total à 17,4 millions de professionnels de santé. L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud sont les zones où ce manque est le plus criant.

En France, par exemple, plus du quart des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, faute de candidats, d’après le Centre national de gestion (CNG), l’organisme de gestion des carrières médicales à l’hôpital. Pour faire face à ces pénuries, les pays de l’OCDE recourent de plus en plus aux médecins étrangers : en 2000, ces derniers représentaient 21 % du personnel médical, puis près de 24 % dix ans plus tard, et 27 % en 2016.

Dans certains pays de l’OCDE, notamment anglophones, le recours aux professionnels de santé étrangers est massif. En Australie, plus d’un médecin sur deux est né à l’étranger. Ils sont 41 % en Irlande, 38 % au Canada, 33 % au Royaume-Uni et 30 % aux Etats-Unis. Ces deux derniers pays réunissent les plus gros contingents, avec respectivement 87 000 et 290 000 médecins nés à l’étranger. Comment les systèmes de santé des pays riches en sont-ils arrivés à une telle dépendance ?

…Les ressortissants d’Inde et du Pakistan, anciennes colonies britanniques, représentent les premiers contingents de médecins nés à l’étranger au Royaume-Uni. Héritage du passé colonial français, ce sont les Algériens, les Marocains et les Tunisiens qui figurent aux premiers rangs des médecins étrangers exerçant dans l’Hexagone. L’Allemagne, qui a reçu le plus important afflux de demandeurs d’asile lors de la « crise » des réfugiés de 2015, a accordé une protection à plus de 500 000 Syriens. A la fin 2018, 3 900 médecins syriens exerçaient dans le pays, selon l’Ordre fédéral des médecins, soit plus du double qu’avant 2015.

 L’immigration des professionnels de santé est d’autant plus importante que les pays d’accueil privilégient la venue de profils hautement qualifiés. En Australie par exemple, environ 40 % de ceux qui possèdent un diplôme du supérieur et 54 % des médecins sont nés à l’étranger. De même, au Royaume-Uni, plus de 20 % des diplômés et du tiers des médecins sont immigrés. En France, où l’immigration de travail est restée très limitée depuis le choc pétrolier des années 1970 et jusqu’à récemment, seuls 16 % des médecins sont nés à l’étranger, en deçà de la moyenne de l’OCDE. Les migrations de soignants ne s’effectuent pas uniquement du Sud vers le Nord. Attirés par de meilleurs salaires, des médecins suédois migrent en Norvège ; des Allemands exercent en Suisse ; des Anglais s’installent en Nouvelle-Zélande…

 Si la perspective d’une vie meilleure est le principal facteur de départ de ces soignants, leur situation dans le pays de destination reste cependant moins enviable que celle de leurs pairs. Au Royaume-Uni, les médecins étrangers « travaillent dans les zones les moins favorisées, les banlieues de Londres ou de Birmingham, les zones rurales. Et ils occupent surtout les spécialités les moins populaires, comme la gériatrie ou la psychiatrie », insiste le docteur Aneez Esmail, à Manchester. En France, les médecins étrangers font généralement plus d’heures, travaillent plus souvent la nuit et le dimanche et, à compétences égales, sont moins bien payés que leurs collègues…

Les inégalités sont plus marquées encore quand il s’agit de ressortissants extérieurs à l’Union européenne, soumis à des procédures longues et complexes d’autorisation d’exercer. Une partie d’entre eux reste cantonnée à des statuts précaires de « faisant fonction d’interne » (FFI), « attachés associés » ou « assistants associés ».

Selon les estimations, quelque 5 000 praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) exerceraient dans des conditions similaires en France, en particulier dans les spécialités délaissées telles que l’anesthésie réanimation, la radiologie, la gériatrie, la pédiatrie ou encore la psychiatrie. « Certains services d’urgence tournent avec 80 % de médecins étrangers », souligne Slim Bramli, président de la Fédération des praticiens de santé. Dans la crise sanitaire d’aujourd’hui, ils sont en première ligne.

Julia Pascual avec Cécile Ducourtieux, Anne­Françoise Hivert, Thomas Wieder

 

 

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