Dr Chokri Jeribi :« Une nouvelle vague est très probable. Mais elle sera maitrisable sous conditions »

Dr Chokri Jeribi :« Une nouvelle vague est très probable. Mais elle sera maitrisable sous conditions »

Afin de vous éclairer sur la situation actuelle de la pandémie du COVID-19 en Tunisie après l’arrivée du nouveau variant Omicron, sur ses perspectives d’évolution dans les semaines à venir, ainsi que sur les mesures à prendre afin d’éviter une nouvelle vague, nous avons interviewé pour vous, Dr Chokri Jeribi, membre de la commission chargée de la campagne nationale de vaccination.

Docteur Jeribi  est, rappelons-le, très engagé dans la lutte contre cette pandémie, depuis son installation et il est dans ce sens le cofondateur de COVIDAR, initiative citoyenne de lutte contre la COVID-19. 

Espace Manager : Comment jugez-vous la situation actuelle de la pandémie de COVID-19 en Tunisie ?

Chokri Jeribi : Ā ce jour tous les indicateurs liés à la COVID-19 dans notre pays démontrent que la pandémie est encore sous contrôle, que ce soit par rapport aux taux des tests positifs qui reste inférieurs à 5%, que ce soit par rapport au nombre de nouveaux patients admis aux hôpitaux qui est à une moyenne de moins de 15 patients par jour où par rapport au nombre des nouveaux patients admis en réanimation.

Néanmoins, ces chiffres ne doivent en aucun cas nous conduire à conclure que cette crise sanitaire est derrière nous, ou encore que nous sommes à l’abri d’une nouvelle vague, dans les semaines à venir.

Justement, qu’est- ce qui vous fait dire et craindre l’arrivée d’une nouvelle vague ?

En fait plusieurs facteurs laissent prévoir l’arrivée d’une nouvelle vague dans notre pays dans les mois à venir :
-L’arrivée du nouveau variant Omicron, très contagieux et à vitesse de propagation très rapide, finira, dans les semaines à venir, à devenir prédominant dans le monde et dans quelques mois dans notre pays, prenant la place au variant delta. En Europe, le nombre de cas contaminés par Omicron double tous les 2 à 3 jours. On estime qu’il sera majoritaire d’ici la fin de l’année.

-La baisse de la garde des citoyens et le  non- respect des gestes barrières et du protocole sanitaire, depuis quelques mois

-Les taux, très insuffisants de la vaccination chez les citoyens âgés de 12 ans et plus, malgré les grands efforts fournis pour rendre les vaccins disponibles et toutes les facilités mises à la disposition des citoyens :
o    Seulement 58% sont complètement vaccinés
o    32% n’ont reçu aucune dose
o    Seulement 7,3 % ont reçu la dose de rappel.

-Une grande proportion de notre population vaccinée dépassera 6 mois depuis la vaccination  d’ici la fin du mois de février. Le problème dans ce cadre persiste dans le fait qu’il  a été démontré que l’immunité baisse significativement, après 6 mois de la date de la primo vaccination. 

-La grande épidémie qui sévit actuellement dans les pays européens avoisinants. 

-Il est reconnu que l’hiver est une saison où les infections virales sont très fréquentes.

Tous ces facteurs réunis font qu’une nouvelle vague se produira fort probablement dans notre pays, dans les mois à venir. Seulement, une nouvelle vague ne veut nullement dire que ce sera une vague avec la même ampleur que celle que nous avons vécue au printemps et l’été derniers.

Vous ne semblez-pas être très optimiste ?

Je suis optimiste de nature, seulement, je suis réaliste et non pas alarmiste. En réalité, l’ampleur d’une éventuelle nouvelle vague dépend de notre comportement actuel, de l’implémentation d’une stratégie anticipative et évolutive adaptative. Elle est également tributaire de l’augmentation du taux de citoyens complètement vaccinés ainsi que du taux de citoyens qui recevront la dose de rappel et du retour au respect strict des gestes barrières. Il s’agit d’une course contre la monture.

Quels sont les axes de la stratégie anticipative que vous proposez ?

Plusieurs décisions ont été déjà mises en place telles que :
-Le renfort des contrôles au niveau des frontières, l’isolement et le séquençage des cas positifs. 

-Au niveau des hôpitaux, des mesures ont été prises et des comités travaillent depuis quelques semaines sur la préparation des structures hospitalières pour faire face à une éventuelle nouvelle vague, à tous les niveaux.

-En vue d’augmenter le taux des citoyens complètement vaccinés plusieurs mesures ont été prises :
o     La rentrée en application du passeport vaccinal, à partir du 22 décembre,
o    Les équipes mobiles de vaccination qui sillonnent le pays
o    Les facilités mises à la disposition des citoyens comme la possibilité du choix de son vaccin,
o    La nouvelle campagne de vaccination des 12-17 ans qui a démarré le 17 décembre 
o    L’autorisation dans quelques semaines de la vaccination des 5-11 ans.
o    La nouvelle campagne médiatique de sensibilisation  

Néanmoins :
-    Il manque une prise de mesures plus concrètes et plus fermes afin de forcer les citoyens à respecter les mesures barrières surtout au niveau des espaces clos.
-     Une attention particulière devrait être accordée au respect de ces mesures au niveau des écoles. 
-    Beaucoup plus de tests rapides massifs devraient être effectués partout, en particulier en milieu scolaire 
o    Isoler rapidement les cas positifs et procéder au traçage des cas contact.
-    Vu l’intérêt de la dose de rappel dans l’amélioration et le renfort de l’immunité et la protection qu’elle apporte contre le nouveau variant OMICRON, je propose de raccourcir le délai d’éligibilité à cette dose de 5 mois, après la deuxième dose, actuellement en cours, à quatre, voire à trois mois, de façon à accélérer et augmenter le taux de personnes vaccinées par cette dose de rappel surtout chez les citoyens qui risquent de développer des formes graves. Il s’agit d’une course contre la montre.
-    Une implication structurée des médecins de première ligne pour faire face à une éventuelle nouvelle vague afin de diagnostiquer et prendre en charge les patients à domicile à un stade précoce avant les complications et ainsi éviter la saturation des structures hospitalières.

Je pense, en conséquence que notre pays est beaucoup mieux préparé à une éventuelle nouvelle vague. Nous avons beaucoup appris des erreurs du passé. De ce fait, la survenue d’une nouvelle vague devrait être maitrisée rapidement et n’aura pas, dans tous les cas l’ampleur de la précédente vague.

Pourquoi cette décision de vaccination des enfants de 5-11 ans ?

Certes, le risque de formes graves est beaucoup plus faible chez les enfants. Seulement, il a été démontré ces dernières semaines aussi bien dans le monde qu’en Tunisie, une augmentation du nombre de cas de contamination chez les enfants. Sachant que le virus préfère s’attaquer plus aux personnes non immunisées, non vaccinées. Les enfants de cette tranche d’âge ne sont pas vaccinés, jusque- là.

Ainsi le risque de contamination chez ces enfants est élevé et peut aboutir à des formes graves, en particulier chez les enfants souffrant de maladies chroniques ou traités par des médicaments qui réduisent l’immunité. La dose proposée aux enfants de cette tranche est 3 fois moindre que celle préconisée pour les adultes.

Au vu de ces éléments, il n’y a aucune raison de priver de vaccination les enfants à risque de développer une forme COVID grave. D’autant plus que les premières études ont démontré aussi bien la grande efficacité que la bonne tolérance du vaccin à ARN de Pfizer chez cette tranche d’âge. De plus la vaccination des enfants permettra de contribuer au contrôle de cette pandémie.

Que sait-on aujourd’hui du variant Omicron ?

Les premières études "en vie réelle" du variant ont été dévoilées et l’hypothèse de la forte contagiosité semble se confirmer: 

-Par rapport à l’efficacité des vaccins contre ce variant, il a été démontré que les défenses immunitaires, suite à une double dose du vaccin Pfizer, perdraient significativement en efficacité contre les contaminations, passant de 80% contre le variant Delta à 33% contre Omicron. En revanche, la double dose avec le vaccin Pfizer resterait efficace à 70% contre les hospitalisations et les formes graves liées à Omicron. Elle serait même de l’ordre de 90% sur ces formes avec la dose de rappel.

-L’étude a également confirmé l’hypothèse de la moindre sévérité du variant Omicron. En effet, l’étude a démontré que le risque d'hospitalisation baisserait de 29% en comparaison des données observées lors des précédentes vagues avec les autres variant. De plus, parmi les patients hospitalisés on compterait moins de malades nécessitant un passage en réanimation. 

Néanmoins, pour confirmer ces résultats préliminaires, d’autres études seront nécessaires.Il est important de souligner que les fabricants de vaccins notamment à ARN messager se sont déjà lancés à fabriquer des vaccins spécifiques contre le variant OMICRON et qui seront mis sur le marché dans 3 mois, si nécessaire.

On parle d’un nouveau médicament contre le COVID-19 ?

Pour la première fois, un nouveau médicament des laboratoires Pfizer sous forme de comprimés, le Paxlovid, sera mis à la disposition des patients traités à domicile. Ce médicament, pris tôt, durant les 5 premiers jours du début des symptômes réduit de l’ordre de 90 % le risque de développer des formes graves et des décès. Compte tenu de son mécanisme d’action, différent des vaccins, Il serait également très efficace contre le variant Omicron.

Que dites-vous aux résistants à la vaccination ?

Malheureusement, l’éventuelle prochaine vague sera surtout celle des citoyens non vaccinés. Aujourd’hui, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, plus de 80% des patients hospitalisés dans les services de réanimation sont des patients non vaccinés. Après 12 mois, nous disposons d’un bon recul pour évaluer la tolérance des vaccins disponibles : 
-Plus de 7 milliards de doses de vaccins contre la COVID-19 ont été administrées dans le monde et 
- Plus de 11 Millions en Tunisie. La balance bénéfice risque est toujours en faveur des vaccins.

J’invite, en conséquence, tous nos concitoyens à s’éloigner des « fake news », de faire confiance à la science et à la recherche, à s’inscrire sur la plateforme EVAX et à se faire vacciner dès que possible, pour se protéger et protéger leurs proches et pour ne pas le regretter plus tard. 

Que devient l’initiative citoyenne COVIDAR ?

ChokriJeribi : COVIDAR qui prend en charge les patients COVID, gratuitement, dans leur domicile à travers la coordination d’une offre de soins assurée par les médecins de première ligne est toujours opérationnelle et est prête pour agir en cas de nouvelle vague. Le numéro vert est toujours fonctionnel. Nous avons profité de cette période d’accalmie pour obtenir plus de soutien et pour étendre notre présence géographique.

Propos recueillis par E.M.

 

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