Dr Souhail Alouini: "Les pays d'Afrique doivent briser les barrières, communiquer et se partager les compétences et expériences"

Dr Souhail Alouini: "Les pays d'Afrique doivent briser les barrières, communiquer et se partager les compétences et expériences"

Spécialiste en Chirurgie pédiatrique formé à l'université de Belgique, enseignant et conférencier de renom, expert reconnu auprès de l'OMS, le Dr Souhail Alouini, ce Tunisien natif de Kairouan,  est un scientifique aux multiples casquettes. Espace Manager l'a rencontré à Lusaka (capitale de la Zambie) où il a participé, du 27 au 30 novembre 2023, à la deuxième Conférence internationale sur la santé publique en Afrique (CPHIA 2023). Pas en tant que chirurgien pédiatre, mais en tant qu'expert en santé et gouvernance. Entretien !

Espace Manager: Vous êtes sans doute une personnalité connue dans le domaine médical en Tunisie et à l'étranger. Mais la tradition voudrait que vous vous présentiez brièvement à ceux qui ne vous connaîtraient pas !

Dr Souhail Alouini: Je suis médecin, chirurgien pédiatre et j'ai été formé en Belgique. Je travaille en Tunisie à l'hôpital d'enfants. Ma carrière médicale s'est passée en partie en Tunisie, mais surtout aux Emirats Arabes Unis où j'étais chef de service à l'hôpital militaire d'Abu Dhabi pendant 17 ans.Je suis rentré en Tunisie en 2011, avant d'être élu député de Kairouan (ma ville d'origine) entre 2014 et 2019. 

Au Parlement, étant médecin, je me suis beaucoup plus impliqué dans le domaine médical où j'ai occupé le poste de président de la commission santé et affaires sociales. Par la suite, j'ai eu la chance d'être approché par l'OMS à Tunis pour être consultant à l'époque, et nous avons travaillé ensemble durant le Covid (côté logistique et communications). En même temps, j'ai travaillé avec la même organisation en tant qu'expert sur un projet pilote sur la gouvernance de la santé dans les pays de l'EMRO (Eastern Mediterranean Region) au Caire. Nous avons effectué un travail remarquable sur la Tunisie et sur beaucoup d'autres pays de la région.

A côté de cela, je continue ma pratique médicale. Je ne suis plus dans le domaine de l'opération chirurgicale, mais en tant que bénévole, je suis président de "Tunisian resuscitation council", une association qui donne des formations aux médecins et aux paramédicaux, surtout en ce qui concerne les urgences médicales premières (que ce soit enfant, adulte, traumatologie). En gros, je donne des cours un peu partout dans le monde, que ce soit en Belgique, aux Emirats Arabes Unis...
 
Vous venez de participer à cette grande manifestation médicale (CPHIA 2023) consacrée à la santé publique en Afrique. Quelle est, selon vous, l'importance et les enjeux d'une telle conférence pour le continent africain?

Je pense que le thème de la conférence résume tout: "Briser les barrières: repositionner l'Afrique dans l'architecture mondiale de la santé". Malheureusement, l'Afrique est un peu en retrait par rapport à son évolution médicale dans le monde. Il est donc temps que l'Afrique se positionne particulièrement dans le domaine de la santé, un domaine leader surtout avec une population qui approche le milliard. Ensuite, il faut que les pays du continent brisent les barrières entre eux pour d'abord communiquer et se transmettre les compétences et les expériences. 

Il y a quand même des points communs entre beaucoup de pays africains concernant la façon de voir la médecine. Nous nous devons de casser les barrières entre les pays africains, entre francophones et anglophones, entre l'Afrique du Nord, l'Afrique subsaharienne et l'Afrique australe. C'est un continent qui, stratégiquement, doit s'orienter vers un travail commun au niveau de la santé. Je pense que le CDC Afrique fait un grand travail à ce niveau.

Bien sûr, nous avons nos propres particularités en Afrique concernant les maladies. Je prends l'exemple de la malaria ou d'autres maladies transmissibles. Mais il n'y a pas que les maladies transmissibles, il y a aussi les NCD (non-communicable disease) ou maladies non transmissibles, (l'Afrique détient les taux les plus élevés), des problèmes de diabète, d'hypertension... Toutes ces maladies doivent être traitées, et je pense qu'il faut avoir des protocoles communs et une stratégie au niveau des pays africains pour traiter ce genre de problèmes.

Je pense également qu'il faut faire participer la population africaine dans les projets d'installation des programmes de santé dans les régions. Parce que, par principe, tout ce qui est prophylaxie, hygiène ou traitement précoce doit impliquer les patients, les citoyens. S'ils ne sont pas impliqués, ils n'arriveront pas à comprendre le but et la finalité de ces orientations. 

Une des bases de la bonne gouvernance, c'est la participation, l'inclusion. Dans ce cadre, il faut briser les barrières avec la société civile, avec le citoyen, l'approcher pour pouvoir communiquer avec lui, afin qu'il puisse prendre une part active dans le domaine de la santé.

En tant que médecin et expert en santé, quelle a été votre contribution lors de cette manifestation ?

J'ai participé à cette manifestation en tant qu'expert en santé et gouvernance. J'étais dans le Panel de la Session 7 qui donnait de l'importance à la participation entre les dirigeants et la société civile, le privé, le partenariat... Je pense que c'est un point pour lequel je suis très attaché. A cette occasion, j'ai pu citer les exemples que nous avons eus en Tunisie. Et je pense que c'est un exemple qui doit être transféré et développé ailleurs.

Par exemple, le projet de dialogue sociétal en Tunisie, subventionné par l'OMS, la région EMRO et l'Union européenne, qui a permis d'établir ce Plan National de la Santé (PNS). Cela a pris beaucoup de temps, des phases de communication avec les citoyens, et des forums un peu partout dans toute la Tunisie pour discuter avec les autres et voir ce qu'ils veulent exactement au niveau de la santé. 

Et il y eut une deuxième étape avec des experts pour essayer d'établir les priorités et de travailler sur ce sujet. Et la troisième étape avec l'élaboration de ce Plan National de la Santé. Donc j'ai eu à évoquer cela dans le forum en expliquant que cela pourrait être un projet pilote pour beaucoup de pays africains, afin de faire participer les citoyens dans ce domaine ainsi que tout le staff médical (médecins, infirmiers, pharmaciens...) Bref tous ceux qui sont concernés par la santé. Le premier concerné reste bien évidemment le citoyen. 

J'ai évoqué le rôle de la société civile dans l'aide qu'elle peut avoir pour les leaders et les dirigeants, et particulièrement dans le cadre de crises sanitaires. Par exemple, la crise Covid-19 qui a été assez grave chez nous en Tunisie. Le rôle de la société civile a été important dans l'aide, l'installation et la collecte de fonds pour développer les centres de soins qui n'étaient pas suffisamment équipés pour faire face à cette terrible pandémie.

Et c'est un point positif que d'expliquer le rôle de la société civile à ce niveau là. Sur un autre plan, j'ai parlé aussi de mon expérience comme parlementaire. Je me suis appuyé sur la société civile qui m'a aidé dans beaucoup de domaines, entre autres. D'abord le citoyen qui me soumet ses problèmes et puis la société civile qui nous aide à trouver les solutions. Je cite l'exemple d'une association "Les Mourakiboun" qui a réalisé une étude sur les centres de santé de base partout en Tunisie. Après avoir répertorié tous les manquements, les données ont été transmis aux dirigeants, ce qui a permis d'améliorer la situation.

Ce grand rassemblement a vu la présence de nombreux scientifiques, médecins, bailleurs et décideurs...Et de nombreuses recommandations ont été avancées pour l'avenir de la santé publique en Afrique. Mais l'Afrique a-t-elle les moyens de ses ambitions en matière de santé ?

On a toujours les moyens de ses ambitions. Je pense que quand on a une ambition, on trouve toujours les moyens. A mon sens, c'est l'ambition qui crée les moyens et non les moyens qui créent l'ambition. A partir du moment où l'on a une volonté, je pense que les moyens finissent toujours par arriver.

En plus, la santé a ce pouvoir de mobiliser le monde entier. Je prends l'exemple du Covid qui a commencé en Chine avant de se répandre dans le monde entier. Si le monde ne prend pas en charge le problème de la santé au niveau global, et si on laisse l'Afrique dans ses problèmes financiers, ce serait la catastrophe, car toutes les pathologies infectieuses se propageraient à travers le monde. Je pense que c'est un problème global et l'Afrique doit prendre sa position, ce qu'elle fait actuellement, à travers ce genre de conférences pour présenter ses ambitions et trouver les moyens. Je suis optimiste dans ce cadre. Et le CDC a implémenté des bureaux régionaux un peu partout en Afrique, le bureau pour l'Afrique du Nord n'est pas encore installé. Et je pense que la Tunisie aura la chance de pouvoir accueillir ce bureau qui est très important pour le développement de la santé dans la région.

En tant que pédiatre, quelle est la stratégie la plus idoine pour éradiquer ou diminuer les nombreuses maladies infantiles en Afrique et en Tunisie? 

Je pense que le meilleur moyen c'est d'aller vers la population et de créer les centres de soins de santé de base. Nous avons une expérience particulière en Tunisie pour les centres de soins de santé de base qui ont commencé depuis les années 60. Ce sont eux qui s'occupent de la santé infantile, particulièrement les vaccins, les suivis des enfants, les suivis des grossesses. 

Il est très important de penser aux centres de santé primaires où le citoyen ne doit pas être obligé de se déplacer vers une grande ville pour soigner son enfant. Il faut que cela se passe près de chez lui. Que ce soit ambulatoire ou un centre qui fixe avec un médecin qui passe de temps en temps (3 fois par semaine) avec une infirmière ou sage femme, c'est le système que nous avons adopté en Tunisie.

Il y a un autre système qui est le système ambulatoire (les centres de santé de base ambulatoire), une sorte de bus qui passe dans les régions. Je pense qu'en Afrique, cela peut être utilisé plus facilement. Parfois, il y a des régions où il n'y a pas de possibilités technologiques (pas d'électricité, encore moins de réseau Internet). Dans ce cas, quand le bus arrive dans un village défavorisé, les mamans et les enfants peuvent être suivis, vaccinés. Ce qui peut donner des résultats très importants au niveau de la santé infantile.

Propos recueillis par Oumar DIAGANA (Depuis la capitale zambienne)
 

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