Drame du vin frelaté dans un pays marqué par le sceau de la schizophrénie

Drame du vin frelaté dans un pays marqué par le sceau de la schizophrénie

Même si la consommation d’alcool est réelle, elle reste néanmoins entourée de codes, de tabous et d’une surveillance policière aigüe. D’ailleurs, un fait qui ne trompe pas, la consommation a augmenté depuis l’avènement de la « révolution ». Notre pays est, en effet, régulièrement située parmi les pays d’Afrique et les pays arabes consommant le plus d’alcool.

Je n’ai jamais cessé de tirer la sonnette d’alarme sur l’avenir d’une jeunesse perdue, déboussolée et en perte de repères. Le drame du vin frelaté qui a causé la mort de sept jeunes, la cécité à deux autres et envoyé plus d’une soixantaine à l’hôpital, est venu confirmer mes appréhensions et mes inquiétudes. Malgré le silence incompréhensible des autorités officielles et des partis politiques, le drame a pris des proportions alarmantes et interpelle ce qui reste des bonnes consciences dans ce pays.

Déjà en octobre 2007, j’avais attiré l’attention, au cours d’une conférence de presse, sur le drame de l’émigration clandestine. Mon appel a été relayé par plusieurs médias étrangers dont notamment l’AFP et le Monde : «Les jeunes Tunisiens sont de plus en plus tentés par l’émigration», a déclaré Heba El Kholy, coordinatrice résidente des Nations unies, en présentant le document à la presse avec le directeur de l’Observatoire tunisien de la jeunesse, Brahim Oueslati ».

Depuis, et à chaque occasion et à chaque drame, je lance un appel à qui de droit et notamment aux gouvernements successifs au cours des 20 dernières années et à la société civile pour leur rappeler leurs devoirs et leurs obligations à l’égard des nouvelles générations, et leur demander de mette la question de la jeunesse au cœur de l’actualité. Mais tout cela est tombé dans l’oreille d’un sourd.

Consommation entourée de tabous

Ce drame du vin frelaté, rappelle un autre drame similaire survenu en Libye voisine en Mars 2013 où une cinquantaine de personnes sont décédées à cause de l’alcool frelaté. Réagissant à ce drame, notre ministère de la santé avait, à l’époque, mis en garde contre certaines boissons alcoolisées connues sous l’appellation « alcool de bois » obtenues par la fermentation de déchets de sucre de bois. Elle avait précisé que « l’ingestion de cette boisson, qui contient du méthanol, peut être à l’origine d’une insuffisance rénale, de la perte de la vue et des crises d’épilepsie ». Peine perdue.

Loin de moi de chercher des explications ni encore moins des justifications à ce drame et  qui  pourraient apparaitre comme saugrenues dans cette Tunisie marquée par le sceau de la schizophrénie, et où tout peut paraitre à la fois permis et prohibé. Et c’est le cas de le dire pour la vente et de la consommation des boissons alcoolisés. Même si la consommation d’alcool est réelle, elle reste néanmoins entourée de codes, de tabous et d’une surveillance policière aigüe. D’ailleurs, un fait qui ne trompe pas, la consommation a augmenté depuis l’avènement de la « révolution ». Notre pays est, en effet, régulièrement située parmi les pays d’Afrique et les pays arabes consommant le plus d’alcool. Le phénomène touche particulièrement les jeunes qui s’adonnent de plus en plus à la consommation du tabac et à d’autres produits prohibés comme la drogue. Certains sociologues voient dans cette augmentation de la consommation d’alcool « un signe d’angoisse existentielle, la réponse pathologique à un contexte sociétal de stress postrévolutionnaire, incitant les gens à trouver dans l’alcool un refuge où à leurs problèmes quotidiens ».

Classe politique atone

Il y a y a dizaine d’années, ils se sont révoltés pour crier leur colère contre le pouvoir en place devenu incapable de répondre à leurs attentes et pour exprimer leur crainte face à un avenir incertain. Avec un slogan fort significatif « Emploi, liberté et dignité ». Mais leurs cris de désespoir, qui ont brisé « les miroirs menteurs », se sont avérés comme une fausse résonance. La lueur d'espoir fut fugace et la désillusion s'est installée dans les cœurs et dans les esprits.
Aujourd'hui, la situation n'a guère évolué. Au contraire elle a empiré. Les faits parlent d'eux-mêmes. Les jeunes sont de plus en plus inquiets face à un avenir qui leur paraît plus incertain que jamis, en raison, notamment, des difficultés d'intégration socio-professionnelle, dans un contexte de crise économique et sociale durable marqué par un taux de chômage qui les frappe de plein fouet : 32% contre une moyenne nationale de 15,4%. Ce taux sera certainement revu à la hausse en raison de la crise du Coronavirus qui impacté essentiellement le secteur de l’emploi.  L’Institut des études quantitatives avance le chiffre de 43.000 emplois perdus depuis Mars dernier.

Un avenir incertain

Un consensus se dégage autour de la certitude que leur situation est plus difficile qu'auparavant. A preuve : des milliers de jeunes compétences, selon un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique(OCDE) publié en novembre 2017, ont quitté le pays au cours des sept dernières années pour faire leur vie ailleurs. Ils sont médecins, ingénieurs, chercheurs, universitaires, hommes d'affaires…à tenter cette expérience. Rester au pays c'est mener une vie de bric et de broc et vivre au jour le jour sans arriver à construire un avenir.

De même, et on ne le dira jamais assez, plus de 20.000 jeunes ont pris le large pour affluer vers une Europe verrouillée. Certains d'entre eux ont péri en pleine mer. D'autres,  3.000 selon les statistiques officielles, ont été embrigadés et envoyés dans l'enfer terroriste. Tout cela est symptomatique d'un climat général marqué par l'incertitude.

Cette colère des jeunes qui n'a pas été entendue par une classe politique atone qui n'a pas réussi à élaborer et réaliser un projet propre à la jeunesse et pour le pays. Alors que tout a changé, la société, les repères, les valeurs et les grandes problématiques, l'approche est restée la même, figée.

B.O

 

 

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