Drame migratoire, terrorisme et une jeunesse en perte de repères

Drame migratoire, terrorisme et une jeunesse en perte de repères

 

Deux évènements sont venus, ces derniers jours, nous tirer de notre torpeur et nous rappeler à l’esprit que, presque sept ans après le 14 janvier 2011, la jeunesse tunisienne est de plus en plus en proie au doute. Elle se trouve désorientée, déboussolée, en perte de repères et n’a pratiquement plus de de raisons d’espérer dans un monde si troublé. La première se rapporte à l’attaque terroriste contre la gare Saint Charles à Marseille, dimanche 1er octobre, qui a fait deux morts innocentes et dont l’auteur, tué par la police, est un tunisien. Depuis, une véritable traque a été engagée en Europe contre d’autres tunisiens suspectés d’être impliqués dans cet attentat et des arrestations ont opérées en France, en Italie et en Suisse. Même en Tunisie, un frère et une sœur de l’assaillant ont été arrêtés avant d’être relâchés pour insuffisance de preuves. Le second a trait à la migration clandestine aux conséquences tragiques. Le naufrage d'une embarcation de migrants suite à une collision avec un navire militaire, qualifiée de « véritable catastrophe » par le chef du gouvernement Youssef Chahed, a fait 34 morts et le bilan pourrait s’alourdir encore. Et ce n’est pas la première fois que des migrants clandestins, jeunes pour la plupart, se noient ne pleine large.

Selon un bilan provisoire du Forum tunisien des droits économiques et sociaux(FTDES), au cours du premier semestre de 2017, pas moins de 54 opérations d’immigration non réglementaire sur le sol tunisien ont été interceptées et 612 personnes ont été arrêtées dont 197 étaient de nationalité étrangère. La collusion au large de de Kerkennah (Sfax), entre une patrouille de marine national avec une embarcation transportant des candidats à la migration clandestine et qui a fait 8 morts, alors que 38 ont été sauvés, n’est qu’un drame qui s’ajoute à plusieurs autres. D’ailleurs, le dernier conseil national de la sécurité, réuni sous la présidence du Chef de l’Etat s’est penché sur la question.

Ces phénomènes ne sont pas nouveaux

Le phénomène n’est pas nouveau, bien qu’il se soit propagé, au cours de dernières années, pour devenir endémique. Il y a plus de dix ans, la sonnette d’alarme a été titrée, mais elle n’a pas eu d’échos auprès des autorités de l’époque. Dans un rapport publié, en 2007, par les Nations Unies, sur la base de données recueillies par plusieurs organismes gouvernementaux tunisiens, dont notamment l’Observatoire national de la jeunesse, et présenté au mois d’octobre de la même année devant  les représentants de la presse nationale et internationale, « environ 41% des jeunes âgés de 15 à 19 ans désirent émigrer et 15% sont prêts à le faire clandestinement » et évoquent «un avenir incertain» dans leur pays. Le rapport a relevé alors que « la tendance est plus élevée chez les garçons (52,7%), les chômeurs (55%) et les jeunes issus des régions défavorisées, en particulier le nord-ouest où plus d’un jeune sur quatre rêve d’émigrer illicitement ». Un constat, déjà, amer. Un autre fait, non moins rassurant, «la proportion des Tunisiens mis en cause dans le vol a triplé en moins de quatre ans», lit-on dans un rapport de l’Observatoire français de la délinquance qui publie, depuis 2006, les chiffres de la délinquance constatée et enregistrée par les services de police et les unités de la gendarmerie. C’est la première fois que les Tunisiens font leur apparition dans ce genre de document.

Sans revenir aux raisons de la déferlante migratoire et ses conséquence, car beaucoup a été dit et redit sur le sujet, encore moins sur l’implication de jeunes tunisiens dans le terrorisme et le crime, il est clair que la responsabilité de tous les gouvernements successifs depuis les premières années de l’indépendance est évidente, puisqu’ils n’ont pas pensé à la mise en place d’une véritable politique de la jeunesse, réfléchie et concertée. Les quelque tentatives entamées n’avaient pas abouti. Que l’on ne se leurre pas. Beaucoup de dialogues avec les jeunes, de consultations, d’études et de rapports sur et avec les jeunes ont été initiés mais dont les conclusions sont restées sans lendemains. Le dernier en date est le « dialogue sociétal autour questions des jeunes », annoncé par le président de la république et clôturé par le chef du gouvernement Youssef Chahed, fin décembre dernier. Il avait annoncé un certain nombre de mesures dont notamment l’organisation d'une conférence nationale sur l’investissement au profit des jeunes, la révision des attributions du conseil supérieur de la jeunesse et la mise en place d’une stratégie nationale intégrée de la jeunesse à l’horizon de 2030. Depuis, on n’en sait que peu ou prou sur la suite qui a été donnée à ces « faits » d’annonce !

Une vision nouvelle de la jeunesse

Nous avons, tant de fois, appelé, à mettre la question de la jeunesse au cœur de l’actualité nationale et à hisser le secteur au niveau des secteurs stratégiques.  En l’absence de feuille de route claire, on ne saurait apporter de réponses claires aux préoccupations des jeunes. Cette feuille ne pourrait être définie sans la mise en place d’une politique nationale de la jeunesse, que nous avons précédemment évoquée. Cette politique devrait se donner comme objectif stratégique, « d’avoir une vision nouvelle de la jeunesse » en rapport avec les nouvelles mutations et l’évolution du pays, à tous les niveaux et les défis des générations futures. Une politique qui garantirait « une vision de société ouverte pluraliste », respectueuse des principes fondamentaux de la Constitution, de l’unité nationale et à forte cohésion sociale. Elle devait, étagement s’inscrire « de manière cohérente » dans les stratégies de développement politique, économique, social et culturel du pays. Pour ce faire, le gouvernement pourrait mettre en place un comité national, avec notamment le ministère des affaires de la jeunesse et l’institut tunisien de études stratégiques,  pour se pencher sur la définition du cadre conceptuel et l’élaboration d’un projet qui fera l’objet d’une concertation avec toutes les parties concernées, en premier lieu les représentants des jeunes et ce à partir d’une analyse profonde des problématiques de la jeunesse tunisienne. La politique nationale de la jeunesse, aura pour finalité d’impliquer les jeunes au processus de prise de décision notamment dans les décisions les concernant et à les amener vers leur autonomie et à leur responsabilité sociale.

Plusieurs pays, dont des pays africains comme le Burkina Faso, Madagascar, le Congo, ont déjà arrêté une politique nationale de la jeunesse, définie dans un texte de loi qui sert de guide pratique en vue d’harmoniser toutes les actions en faveur de la jeunesse. Cette politique est le fruit « d’un long processus basé sur l’approche participative, la concertation, le dialogue et le consensus ».

Il est grand temps pour élucider cette question et penser à une véritable politique de la jeunesse qui permettra de sortir des sentiers battus. Des pays africains, comme le Niger, Madagascar et le Congo, ont déjà la leur

B.O

 

Votre commentaire