Elections 2019 : les verrous tombent, les incertitudes demeurent

Elections 2019 : les verrous tombent, les incertitudes demeurent

 

A moins de trois mois de la date des élections législatives, prévues le 6 octobre 2019, les verrous commencent à tomber les uns après les autres rendant cette date gravée dans le marbre. Ainsi après la publication du décret signé par le président de la République portant convocation des électeurs pour les deux scrutins législatif et présidentiel, l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité de projets de loi vient de rejeter les recours déposés contre la loi portant amendement de la loi électorale ouvrant la voie à sa mise en application.

Certes, il reste au président de la République de les promulguer. Le chef de l’Etat a la latitude aussi de les renvoyer pour une seconde lecture à l’Assemblée des représentants du Peuple comme il peut les soumettre à un référendum populaire. Mais ces scénarios sont très peu probables. Par tempérament, Béji Caïd Essebsi qui croit dans les institutions et qui s’est toujours prévalu de sa qualité de garant du respect de la Constitution ne prendra pas le contrepied d’une décision prise par l’instance de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi.

Même si la Constitution lui en donne le droit, il ne prendra pas ce chemin semé d’embuches. Ce n’est d’ailleurs pas son intérêt. N’étant plus candidat à un second mandat, son souhait est désormais de voir son mandat se terminer dans les meilleures conditions possibles. Perturber les quelques mois qui lui restent à la magistrature suprême par des manœuvres dont la finalité n’est pas garantie ne peut que lui porter du tort. D’ailleurs la seule fois où l’instance de contrôle de constitutionnalité des lois lui a laissé le choix entre promulguer ou renvoyer le texte pour une seconde lecture, c’était à l’occasion de la loi sur la réconciliation administrative qu’il a lui-même initié, BCE a pris le parti de  faire publier la loi, ce n’est pas maintenant que l’instance a tranché sur un texte quand bien même polémique comme le précédent qu’il va le censurer.

Si ce verrou tombe comme il est prévisible et la loi est promulguée avant la date fatidique du 22 juillet comme attendu au JORT, il ne reste alors à l’Instance indépendante supérieure des élections (ISIE) qu’à en appliquer les dispositions sans états d’âme comme elle en a pris l’engagement.

Mais si le chemin vers les élections ne compte plus aucun obstacle, les incertitudes demeurent quant à l’issue de ces scrutins cruciaux pour le pays et pour le devenir du processus démocratique encore balbutiant. En effet, à moins de trois mois des législatives et quelques quatre mois de la présidentielle, personne n’est en mesure de prévoir ce que la Tunisie sera au lendemain de ces deux scrutins, ni de dire qui seront choisis pour diriger le pays soit à la Kasbah, au Bardo ou à Carthage.

Même les sondages d’opinion ne se fondent que sur le virtuel, puisque les candidats à la présidentielle ne sont pas connus alors que les listes des partis, des coalitions et des indépendants aux législatives ne sont pas constituées non plus. Certes, Nebil Karoui et son parti « Au cœur de la Tunisie » sont placés à la première place des intentions de vote de plusieurs sondages d’opinion. Mais sans parler du crédit qu’on peut accorder aux scores ainsi obtenus, personne ne peut savoir si le propriétaire de Nessma Tv et son parti qui est encore dans les limbes pourront se présenter aux suffrages des Tunisiens.

Les déboires judiciaires de Nebil Karoui qui risquent de s’aggraver au cours des prochaines semaines ainsi que les conditions posées par l’amendement à la loi électorale risquent de mettre à mal ses ambitions présidentielles. Lui mis hors course on voit mal son parti survivre et poursuivre son chemin.

La même chose arrivera à l’autre favori de la présidentielle, Kaïs Saïd ainsi qu’à la formation d’Olfa Terras qui compte sur son association « 3ich Tounsi » pour occuper une des premières places aux législatives.

Quid du million de nouveaux inscrits

La grande nouveauté de ces scrutins c’est que plus d’un million de nouveaux électeurs se sont inscrits sur les registres électoraux. Le chiffre est faramineux puisque désormais le pays compte plus de sept millions de votants potentiels. Alors que le dernier scrutin municipal ayant eu lieu en mai 2018 a montré les désintérêts des Tunisiens pour les élections, cet engouement a de quoi intriguer. L’explication est toute trouvée puisqu’il semble que ce sont les campagnes faites par Nessma-TV et « 3ich Tounsi » qui ont amené le gros de ce bataillon à s’inscrire sur les registres électoraux. Si ces deux entités ne sont plus concernées par les scrutins, qui peut garantir que toute cette masse de votants choisira le moment venu le chemin des urnes.

S’agissant des partis politiques,  le Mouvement Ennahdha qui a donné l'impression de s'être  préparé de façon méthodique au scrutin législatif qu’il considère comme crucial puisque ses listes ont été établies à la suite de consultations régionales où la compétition a été parfois rude, il n'est pas sorti indemne de l'élaboration de ses listes où les bases ont fait leurs siennes en imposant un ordre de préséance différent de celui préconisé par la direction. Des difficultés risquent d'ailleurs de surgir mettant la cohésion du Mouvement en danger.

Quant aux  autres partis de la place, ils  n’ont pas pour la plupart établi leurs listes de candidats aux législatives.Tous attendront le dernier moment pour le faire car ils savent qu’il s’agit d’un exercice délicat qui peut conduire à de graves dissensions qui risquent de mettre l’existence de ces partis en péril. Si Nidaa Tounes, le parti qui a remporté les précédentes élections n’est que l’ombre de lui-même et se résume en « une patente » qui fait office de fonds de commerce, les autres formations qui en sont issues ne sont pas dans une situation meilleure. Le Mouvement Tahya Tounes conduit par le Chef du gouvernement Youssef Chahed s’accroche au pouvoir car il lui tient de stratégie. Machrouu Tounes voulait faire cause commune avec Nidaa Tounes à condition qu’il soit dirigé par Salma Elloumi Rekik, mais il doit se contenter d’une alliance avec la même Elloumi mais cette fois-ci en sa qualité de présidente de son nouveau parti Amal Tounes. Les électeurs y perdraient leur latin.

Quant aux petits partis comme Al Badil Ettounsi de l’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomaa, Afek Tounes présidé par l’ancien ministre Yassine Brahim, le Courant démocratique des époux Abbou ou Bani Watani de l’ex-ministre Saïd Aïdi, on mesurera leur force à l’aune des listes qu’ils pourront présenter aux législatives. Ce serait un miracle s’ils parviennent à avoir des candidats dans un grand nombre des 33 circonscriptions que compte le pays.

Seul, le parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi en a la capacité. Non seulement parce qu’il rassemble sous sa bannière des nostalgiques de l’ancien régime mais surtout du fait qu’il prêche un retour aux fondamentaux qui ont fait la gloire de la Tunisie à l’ère tant de Bourguiba que de Ben Ali. A moins qu’on trouve dans son discours ce qui peut conduire à lui mettre des bâtons dans les roues, ce parti a le vent en poupe et peut constituer la surprise du prochain scrutin législatif.

Une assemblée en forme de mosaïque

Cependant tout laisse supposer qu’aucun des partis ou coalitions électorales en présence ne réunira sur son nom un nombre suffisant de députés lui permettant d’espérer gouverner. Avec la mise en place du seuil de 3%, c’est une poignée de partis, de coalitions et de listes indépendantes qui enverra des élus à l’Assemblée des représentants du peuple. Si dans le meilleur des cas, le premier parti, vraisemblablement Ennahdha, remportera entre 15 et 20% des suffrages exprimés, il ne pourra aligner qu’une quarantaine de députés. Ce qui serait insuffisant pour former un gouvernement capable de réunir une majorité absolue de 109 sièges à l’ARP. Une coalition de gouvernement sera indispensable à cette fin. Mais dans une assemblée sous forme de mosaïque, ça ne sera pas chose aisée. Tout porte à croire qu’aucun parti n’y parviendra ce qui risque de conduire à de nouvelles élections dans pas longtemps.

L’incertitude reste, également, entière en ce qui concerne l’élection présidentielle. Personne ne peut parier un kopek sur celui qui occupera le Palais de Carthage en 2020. Certes les candidats potentiels sont nombreux mais les candidats sérieux manquent à l'appel. Peu d’entre eux veulent se découvrir et laissent planer le mystère. Il en est ainsi du candidat d’Ennahdha. Sera-t-il le leader du Mouvement Rached Ghannouchi comme le règlement intérieur le prévoit ou ce dernier désignera-t-il un autre à sa place. Ce n’est pas l’envie qui lui manque mais il veut être sûr de faire bonne figure dans un scrutin qui continue à tenir les Tunisiens en haleine.

Le chef de Tahya Tounes, Youssef Chahed est dans le même état d’esprit mais lui a un autre problème. Il tient à sa relation avec Ennahdha. Ce parti par la voix du président de son conseil de la Choura, Abdelkarim Harouni, dit haut et fort qu’il modifiera ses rapports avec le chef du gouvernement si ce dernier décide de se porter candidat à la présidentielle. Gros dilemme pour Tahya Tounes et son chef qui veulent demeurer aux affaires jusqu’aux élections.

Abdelkrim Zbidi sera-t-il aux starting-blocks

Les autres chefs de partis sont-ils partants. Nombreux sont ceux qui affutent leurs armes en attendant le jour J. Mais leurs chances d’accéder à la magistrature suprême sont minimes. Un nom commence à circuler avec insistance. C’est celui de l’actuel ministre de la Défense Nationale, Abdelkrim Zbidi qui a toutes les qualités pour occuper le poste. Mais il lui manque l’essentiel, un appareil politique ou de la société civile qui le hisse à la magistrature suprême, à condition qu’il soit lui-même intéressé par la fonction.

Dans tous les cas, l’année 2020 a toutes les chances d’être mouvementée pour la Tunisie sur le plan politique. Un gouvernement pourrait-il y être nommé ou aurait-on besoin de nouvelles élections en raison d’un paysage politique émietté. Le prochain président de la République sera-t-il une potiche chargée d’inaugurer les chrysanthèmes ou sera-t-il l’homme ou la femme qui fera changer le destin du pays et le conduira sur le chemin d’une véritable transition démocratique réussie.

Qui vivra verra !

RBR

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