Ennahdha dans l’œil du cyclone : le bruit et l’écho

Ennahdha dans l’œil du cyclone : le bruit et l’écho

 

C’était surréaliste ce dimanche soir. Le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi était sur la chaine publique Al Wataniya 1 pour une longue interview dont le point d’orgue était sa décision ou non de présenter sa candidature à la présidence du mouvement alors que les statuts ne lui donnent pas ce droit ayant épuisé ses deux mandats depuis la limitation inscrite dans les textes en 2012.

Sur la chaine privée Attasia-TV un de ses principaux challengers, l’ancien ministre de la Santé Abdellatif Mekki lui rappelait qu’il ne devait même pas y penser et qu’avec un grand nombre de ses co-partisans (ils sont cent et peuvent être mille, dira-t-il en passant) s’y opposera quitte pour les uns à recourir à la justice (ce qu’il n’exclut pas) ou à imaginer tous les artifices pour l’en dissuader. Toutes les solutions pour contourner les textes y compris un partage à la Poutine-Medvedev entre Ghannouchi et le président du Conseil de la Choura, Abdelkarim Harouni ne seraient pas admises non plus.

Dans la foulée, on apprendra que le secrétaire général démissionnaire Hamadi Jebali est revenu en odeur de sainteté auprès du président du mouvement qu’il consulte à tour de bras. Ce dernier pourrait d’ailleurs rejoindre le giron en tant que vice-président chargé de l’activité politique, c’est-à-dire un président-bis en somme.

Pour un parti qui a toujours agi dans la clandestinité et qui n’a presque jamais lavé son linge sale en public c’en est vraiment trop. C’est désormais sur la voie publique et par médias interposés que ses dirigeants discutent, communiquent. Sans oublier que certains menacent le camp adverse de sanctions disciplinaires pour avoir étalé les difficultés du mouvement sur la voie publique. Mais communiquent-ils vraiment ?

Chacun semble débiter sa vérité, sans prendre en compte les arguments présentés par l’autre camp qui sont rejetés en bloc comme en détail. En écho à la question cruciale de son maintien à la tête du mouvement, Rached Ghannouchi balaie d’un revers de main qu’il n’envisage pas de se porter candidat ni à ce poste ni à celui de président de la République comme on lui en prête l’intention.

Mais il ajoute en appuyant bien sur les termes qu’il ne l’envisage pas pour le moment. La précision est de taille. Pour ceux qui connaissent la scène politique française, cela leur rappelle la position du premier ministre de 1993, Edouard Balladur qui avant de se présenter contre son ami de trente ans Jacques Chirac en 1995 avait assuré qu’il n’envisageait pas d’être candidat « pour le moment ». On a connu la suite puisque Balladur s’est porté candidat et a échoué lamentablement.

On veut bien croire que le président d’Ennahdha n’a pas encore l’intention de se présenter ni à la présidence du mouvement ni à celle de l’Etat en 2024. Mais alors pourquoi ses proches se démènent-ils tant pour lui trouver un point de chute quitte à lui créer sur mesure la fonction de leader « Zaïm » qui soit le seul à briguer les fonctions nationales au sein du mouvement à défaut de le maintenir dans le poste de président.

Il ne fait pas de doute que Rached Ghannouchi ambitionne d’accéder à la magistrature suprême. Ce sera à ses yeux le couronnement d’une carrière politique et une revanche sur le destin. Mais il sait par expérience qu’en dehors d’Ennahdha, il ne vaut pas grand-chose comme il ne cesse de le répéter à l’adresse de dirigeants qui ont pris le large et n’ont récolté que des miettes.

Abdelfattah Mourou qui fut pourtant un des fondateurs du mouvement islamiste n’a pas été en mesure d’accéder à la députation en 2012 lorsqu’il s’était présenté en indépendant aux élections de l’Assemblée nationale constituante.

L’ancien secrétaire général du mouvement Hamadi Jebali qui fut pourtant premier chef du gouvernement de la Troïka dirigée par Ennahdha a eu le même sort lorsqu’il s’est présenté à l’élection présidentielle de 2019 où il n’a recueilli, au 1er tour que 0,22% des voix, ce qui le situe dans les derniers rangs.

Est-ce parce qu’il est conscient de l’importance primordiale de demeurer à la tête d’Ennahdha pour pouvoir envisager sereinement tout poste à la tête de l’Etat y compris la fonction suprême que Ghannouchi s’accroche à son poste ? Ou sont-ce ses proches ou ses affidés qui l’incitent à demeurer dans ses fonctions pour continuer à jouir de leurs privilèges en lui miroitant qu’il a toutes ses chances pour accéder à la présidence de la République ?

En tout état de cause, tout porte à croire que le chef d’Ennahdha veut terminer en beauté sa carrière politique. Mais qu’en même temps, les jeunes loups, et les moins jeunes d’ailleurs, du mouvement ne sont pas prêts de lui paver la voie. Soit qu’ils ne croient pas en ses chances. Soit qu’ils ne veulent rien lui céder sur ce terrain, conscients qu’ils sont qu’ils risquent d’être balayés à leur tour.

Cependant, que vient donc faire le dernier secrétaire général du RCD (le parti de Ben Ali-dissous), Mohamed Ghariani que Ghannouchi vient de recruter en tant que conseiller chargé de la réconciliation nationale et de la justice transitionnelle. Certes, ce dernier va officier au sein du cabinet du président de l’ARP.

Il ne fait pas de doute que cette nouvelle recrue sera une pièce maitresse dans le dispositif que compte mettre le leader d’Ennahdha en place pour réaliser son vœu le plus cher. N’a-t-il pas dit que Ghariani est «le propriétaire de la patente » du parti destourien, une manière de retirer cette qualité à la présidente du parti destourien libre, Abir Moussi qui lui tient la dragée haute à l’ARP, faisant feu de tout bois pour le mettre en difficulté.

Mais à l’évidence, Ghannouchi parie sur le mauvais cheval car l’ex-secrétaire général du RCD ne pèse plus grand-chose au sein de la mouvance destourienne. Le fait qu’il ait passé de parti en parti sans faire de vieux os dans aucun montre bien qu’il n’a pas trouvé sa place.

Son ancienne adjointe et désormais ennemie jurée occupe quant à elle tout l’espace en tant qu’adversaire sans concession d’Ennahdha comme d’ailleurs le montrent tous les sondages d’opinion s’agissant des prochaines élections législatives.

Quant au prochain scrutin présidentiel, l’actuel président Kaïs Saïed survole tous les candidats potentiels et pourrait être reconduit dès le premier tour. On le voit mal dès lors ne pas rempiler, réduisant sinon anéantissant ainsi les chances de tout autre candidat fut-il Rached Ghannouchi.

Ce dernier dit que s’il ne tenait qu’à lui, le 11ème congrès d’Ennahdha se serait tenu à la date prévue, c’est-à-dire au printemps 2020. Ces assises étant ajournées aux calendes grecques, il ne faut pas s’attendre qu’elles aient lieu à une prochaine date. Les risques d’implosion du mouvement sont tels que personne ne voudra qu’il se tienne.

Au moins un point sur lequel tout le monde sera d’accord.

RBR

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