Forêts-Biodiversité: Retour sur un crime d'abattage d'arbres centenaires à Ain Draham

Forêts-Biodiversité: Retour sur un crime d'abattage d'arbres centenaires à Ain Draham

 Dix-neuf personnes impliquées dans le crime d’écocide survenu, en avril 2020, à Ain Sallem à Jendouba (nord-ouest de la Tunisie), ont été arrêtées et placées en détention puis relâchés.

Ce crime d’abattage à la tronçonneuse de 403 arbres centenaires de chênes zéen et 600 frênes âgés entre 100 et 600 ans et qui constituent une espèce rare dans l’une des plus verdoyantes forêts du nord-ouest de la Tunisie, a impacté tout l’écosystème.

Dans une déclaration à l’Agence TAP, Hichem Azafzaf, coordinateur des programmes scientifiques à l’Association « Les Amis des Oiseaux » (AAO/BirdLife en Tunisie), a indiqué que depuis ce crime personne n’a été poursuivi, jusque-là.

Et pourtant quelques jours après le carnage en avril 2020, le ministre de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche à l'époque, Oussama Kheriji, avait indiqué lors d’une visite dans la région que le ministère allait demander aux autorités judiciaires, d'inculper les contrevenants, conformément à l’article 14 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Selon le cinquième point de l’article 14 de cette loi, est coupable d’infraction terroriste, celui qui porte atteinte à la sécurité alimentaire et à l’environnement.

 «L’acte de destruction ne s’est pas limité, en effet, à l’abattage d’arbres centenaires qui absorbent quotidiennement une partie du CO2 de l'atmosphère et dégagent de l’oxygène, il constitue aussi un massacre de l'écosystème dans sa globalité, un milieu riche en biodiversité et aussi une avifaune (groupe d'oiseaux d'une même espèce ou d'espèces diverses vivant dans le même milieu naturel ) ou qui prendront des années à être restaurés », estime le coordinateur des programmes scientifiques de cette ONG.

Selon un rapport scientifique sur les dégâts sur l’avifaune de ce crime d’écocide, plus de 800 nids d’oiseaux ont potentiellement, été détruits, ce qui constitue une infraction selon l’article 7 de l’arrêté de la chasse.

Le massacre des arbres, qui a suscité une réaction vive sur les réseaux sociaux, entraînera à lui seul, un changement total du microclimat de l’écosystème susceptible de causer la perte du sous-bois et de nombreuses plantes typiques qui le constituent.

« Ces plantes sont pourtant, une source de nourriture pour de nombreux insectes, petits mammifères, reptiles, etc, qui à leur tour sont consommés par les oiseaux », lit-on, dans le rapport du comité scientifique dépêché sur les lieux.

Il en ressort également, que le prélèvement illégal du bois au cycle naturel de transformation des matières de la forêt ne manquera pas d'influencer la constitution du substrat et du sol, la composition de la végétation et le fonctionnement du réseau trophique, ce qui contribuera à la dégradation du sol et à l’érosion.

Selon les spécialistes dépêchés sur le terrain, la destruction du couvert végétal, et le prélèvement de la matière organique ont des impacts sur le bilan hydrique du site par une plus grande évaporation et ledessèchement du sol.

Dans de telles conditions la dégradation du sol, l’érosion et le risque d’incendies vont augmenter.

Appel à l'utilisation de nouvelles téchnologies de surveillance !

L’AAO recommande, à cet égard, le renforcement des procédures, des moyens et de la logistique de contrôle et de gardiennage des forêts en utilisant les nouvelle technologies de surveillances (caméras pièges, drones, traçage du parcours des gardiens, analyse de données géographiques pour déterminer les zones à plus haut risque, etc.).

Les gardiens des forêts qui interviennent activement, dans la prévention et la lutte contre les infractions devraient bénéficier d’un intérêt particulier selon l’ONG .

Reconduire et réintroduire le bois extrait dans la Forêt d’Aïn Sallem en tant que bois mort et matière organique est aussi une des recommandations du comité scientifique.

Sur un autre plan, les scientifiques dépêchés à Ain Sallem recommandent l’orientation des programmes d’enseignement et de recherche des instituts forestiers, notamment celui de Tabarka, vers l’avifaune et ses habitats forestiers.

Il s’agit également, d’encourager et de soutenir la recherche ornithologique dans le domaine forestier et de faciliter le co-encadrement par l’AAO/BirdLife en Tunisie, de mémoires de masters et de thèses de doctorat sur les oiseaux des forêts tunisiennes.

Un suivi systématique de l’avifaune des milieux forestiers tunisiens, en identifiant les zones les plus riches et représentatives des différentes types de forêts présents en Tunisie et la mise en place d’un protocole de suivi et la publication des rapports annuels sur l’état de conservation de ces zones sont en outre recommandés.

L’AAO, rappelle-t-on, a pris en charge avec la Direction générale des forêts (DGF), le programme scientifique de suivi des oiseaux d’eau en Tunisie et dispose de toutes les informations relatives aux zones humides et aux oiseaux d’eau de 1964 à 2021.

En effet, les oiseaux des forêts de chêne du Nord-Ouest de la Tunisie représentent 70% des vertébrés des forêts, selon des publications nationales traitant de l’avifaune dans les milieux forestiers tunisiens.

Cette richesse montre l’importance des forêts de chêne comme biotope pour la survie et la conservation d’environ un quart des espèces d’oiseaux connues et présentes en Tunisie.

Avant l’abattage des arbres de chêne en avril 2020, la forêt d’Ain Sallem servait de lieu de vie et de reproduction pour 84 espèces d’oiseaux. Parmi ces espèces figurent le Torcol fourmilier, les Tourterelle des bois, le Vautour percnoptère et le Verdier d'Europe. Aussi, au moins 19 espèces d’oiseaux sont susceptibles de nicher régulièrement dans ce biotope.

La Tunisie, pays particulièrement menacé par la sechresse et les changements climatiques gagnerait, pourtant, à protéger davantage ses forêts, si elle projette de réduire son intensité carbone de 45 %, d’ici 2030. Car, les forêts sont les meilleures alliées de l’homme pour le climat.

Elles neutralisent les émissions de gaz à effet de serre et hébergent plus de 80 % de la biodiversité terrestre dont dépendent fortement les systèmes alimentaires.

TAP

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