Ghazi Ben Ahmed (Président du MDI): "Nous sommes pour un gouvernement de réalisations économiques et sociales"

Ghazi Ben Ahmed (Président du MDI): "Nous sommes pour un gouvernement de réalisations économiques et sociales"

 

Le  président du think tank  "Président du Mediterranean Development Initiative" et expert en gestion de projets internationaux et de la négociation, Ghazi Ben Ahmed a appelé lors d’une interview accordée à l’agence TAP, le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi à la création d’un gouvernement de réalisations économiques et sociales :

Quel diagnostic faites-vous de la donne économique et financière actuelle ? Et quels sont selon vous les indicateurs les plus alarmants ?

On se souviendra longtemps de l’été 2020. Un moment suspendu. Un temps mort entre une épidémie qui n’en finit plus et une rentrée que l’on redoute, que l’on pressent tel un tsunami engendré par le séisme de la Covid19.

La crise économique qui couvait (croissance économique négative au premier trimestre 2020) a été amplifiée par l’épidémie de Covid-19 dont les répercussions, que l’on découvre encore, risquent fort d’enflammer la colère publique et d’entraîner des troubles majeurs au second semestre 2020 et culminer en janvier 2021.

En effet, le nombre de mouvements de protestations continue d’augmenter considérablement d’un mois à l’autre, comme l’indique le dernier rapport de l’observatoire social tunisien relevant du forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).Les mouvements de protestation ont principalement concerné les travailleurs ayant perdu leur salaire et/ou leur emploi, mais ils ont aussi été observés pour revendiquer le droit de l’accès à l’eau potable et à l’emploi outre les revendications dans les secteurs de santé, de l’éducation et de la sécurité.Et les mouvements sociaux devraient s’emballer au cours des trois prochains mois qui coïncideront avec la rentrée scolaire, universitaire et politique.

Quelles sont les priorités  dans ce cadre ?

Aujourd’hui, comme hier, l’urgence pour les citoyens tunisiens est de nature économique et sociale.La transition démocratique en Tunisie n’est pas heureuse. Les dividendes de la démocratie ne se sont matérialisés, les Tunisiens sont en colère et ne voient pas le bout du tunnel.

La crise sanitaire conjoncturelle s’ajoute à une crise structurelle que vit la Tunisie dont le modèle économique, basé sur une industrie à faibles coûts et une main-d’œuvre à bas salaires, n’est plus adapté. Le pays va connaître sa plus forte récession depuis l’indépendance en 1956. Nous allons probablement avoir 200.000 chômeurs de plus, soit plus de 800 000 au total, un taux de 19 %. Cet indicateur est probablement le plus alarmant avec aussi le taux d’endettement extérieur qui devrait atteindre cette année 110% du PIB de la Tunisie et la dette publique 93% du PIB. Pour rappel, ce chiffre n’était que de 49% en 2010. Mais la Tunisie a dû s’endetter pour payer des salaires, des augmentations de salaires et autres revendications, bref pour acheter la paix sociale. Ces chiffres sont disponibles dans l’annexe au crédit Covid19 attribué par le FMI à la Tunisie en avril 2020. Depuis, la crise politique a aggravé la situation.

La Tunisie aura aussi du mal à boucler son budget. Nous avons besoin encore de 3,9 milliards de dinars (1,2 milliard d’euros), soit 9 % du budget prévu dans la loi de finance 2020, et le déficit budgétaire devrait atteindre 7 % du PIB à la fin de l’année.

Après tant d’années de querelles politiques, pensez-vous que la relance économique et sociale est toujours possible ?

Je pense que les querelles politiques et l’instabilité qu’elles engendrent sont inhérentes à notre transition démocratique, et c’est en quelque sorte le prix à payer. A chaque fois qu’il y a une crise politique ou une crise gouvernementale on apprend, on dépasse l’obstacle et on renforce notre capital démocratique. C’est comme ça que je le vois. Il faut faire avec. Ce n’est pas une donnée que l’on contrôle. Le jeu de la démocratie et des partis, des forces pour et contre, est un jeu salutaire, qu’il faut intégrer dans l’équation. C’est vrai que ça peut retarder la prise de décision, mais cela n’explique pas tout. Pour vous rappeler, la décision de réformer et d’agrandir le port de Radès date déjà d’avant la révolution. Aucun gouvernement post-révolution n’a pris les mesures nécessaires pour améliorer le port de Radès. On est dans une sorte de fuite en avant, de rafistolage et de petites solutions au lieu de prendre des solutions radicales pour améliorer la situation. C’est ce qui doit changer. C’est ce que les tunisiens attendent : de l’audace dans la prise de décision.

C’est une question de mentalité aussi. Le 12 septembre 1962 le président américain John Fitzgerald Kennedy prononce un discours sur l'effort américain dans le domaine spatial."Nous avons choisi d'aller sur la lune, non pas parce que c'est facile, mais parce que c'est une mission extrêmement difficile".Les américains ont compris dès cet instant que concevoir le futur dépendrait de la manière dont ils pouvaient le décider.C’est ce que le philosophe français Michel Serres appelait « l’optimisme de combat ». 

Face à cette situation inédite, la Tunisie a le potentiel pour s’en sortir. Le futur gouvernement aura un certain nombre de priorités à respecter. Il devra continuer à protéger les citoyens sans immobiliser le pays au point où il s’effondrerait. C’est une ligne de crête délicate qu’il faut suivre au moment où l’épidémie semble redémarrer. Un peu trop d’insouciance et c’est le nombre d’infections qui repart. Un peu trop de prudence et c’est l’ensemble du pays qui s’enfonce.

La relance économique et sociale nécessite deux prérequis au moins.

+ Eviter l’effondrement de notre société en maintenant des liens sociaux forts, comme le préconise aussi l’économiste BrankoMilanovic dans une tribune du Wall Street Journal. Cela implique arrêter en priorité l’hémorragie en faisant tout pour éviter un chômage de masse, donner du répit aux entreprises et faire un moratoire sur le remboursement des crédits comme y incite la CONECT (la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie des Chefs).

+ Etre conscient qu’un plan de relance économique ne peut se baser que sur les ressources propres du pays. Faute de moyens et faute de temps aussi. Il faudra forcément recourir à l’endettement.

Selon vous quelles devraient être les priorités du prochain gouvernement ?

Face à cette pandémie d’ampleur inégalée et de durée incertaine, envisager une quelconque relance économique comme une priorité immédiate ou une continuité d’avant la crise est irréaliste et illusoire.

Et le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi l’a bien compris en évoquant pour objectif de son gouvernement avant tout autre chose d’arrêter «l’hémorragie au niveau des indicateurs économiques et sociaux» et de ne parler de décollage économique que plus tard. « On ne prétend pas qu’on va sauver l’économie mais on veut au moins rétablir les équilibres globaux au niveau du budget et des fondamentaux économiques du pays. Après un an et demi ou deux ans, on pourra parler de relance économique grâce notamment à une stabilité politique»

Et il n’a pas tort, une destruction importante de notre tissu économique empêcherait tout rebond et tout élan vers l’avenir. Il faudra agir à la fois en aidant les entreprises afin de sauvegarder l’appareil de production, et dans la mesure des moyens soutenir la consommation. De plus, une forte augmentation du chômage et des troubles sociaux rendrait inaudibles les enjeux de plus long terme que sont pour nous un nouveau modèle de développement basé sur des emplois à forte valeur ajoutée, une économie plus soucieuse des enjeux environnementaux et un développement inclusif visant à stopper le creusement des inégalités et à les réduire.

Tout comme il faut protéger l’appareil de production, il faut aider les jeunes car c’est eux les acteurs de l’indispensable transformation économique, sociale, technologique et écologique de la Tunisie. C’est de leur énergie et de leur créativité que nous avons besoin pour imaginer et concevoir un nouveau modèle tunisien et ne plus compter sur l’assistance internationale.Il faudra pour cela redonner de l’espoir aux jeunes et stopper la fuite des cerveaux.

Nous appelons aussi à la mise en place d’un plan de sauvetage des entreprises publiques à travers une conférence nationale organisée par le gouvernement conjointement avec l’UGTT. Il faudra envisager la privatisation de certaines entreprises publiques afin de recueillir des fonds susceptibles d’aider à rééquilibrer les finances publiques et sortir quelque peu le pays de la crise. Nous préconisons notamment une augmentation du capital de Tunisair et la privatisation partielle du port de Radès. Ces deux entreprises ont besoin de partenaires étrangers stratégiques.

Il semble que le MDI (Mediterranean Development Initiative) est entrain de réfléchir à l’élaboration de deux mégas projets de développement au nord-ouest et au sud du pays ?

Oui le think tank que je préside, le MDI (Mediterranean Development Initiative), a commencé à réfléchir à deux méga projets de développement régional intégré d’intérêt national, l’un pour la région nord-ouest et l’autre pour le sud, dans le cadre de la route de la soie. Chaque projet impliquera les députés et des ONGs des régions concernées et répondra aux besoins en infrastructures, projets, investissements et énergie.Ce genre de projets peuvent redynamiser ces régions trop longtemps négligées, dans un contexte difficile où le marché financier international devient prohibitif et les partenaires traditionnels subissent de plein fouet l’impact économique et financier de la Covid19.

 

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