Kaïs Saïed, va-t-il laisser la classe politique s’enliser dans des conciliabules sans fin

Kaïs Saïed, va-t-il laisser la classe politique s’enliser  dans des conciliabules sans fin

 

Le président de la République élu, Kaïs Saïed prêtera serment demain mercredi et prendra officiellement ses fonctions à la tête de l’Etat. Les Tunisiens seront suspendus à ses lèvres attendant avec intérêt mêlé de curiosité le discours qu’il va livrer du haut de la tribune de l’Assemblée des représentants du peuple.

Car même s’ils l’ont plébiscité, puisqu’ils étaient autour des trois millions à voter pour lui, les Tunisiens connaissent peu leur nouveau chef de l’Etat. A part sa droiture, son indéniable probité, sa manière de manier un arabe châtié, une proximité avec les jeunes, et une humilité qui ne se dément pas, ses compatriotes connaissent peu l’homme politique qu’est Kaïs Saïed. Ses idées, ses projets restent flous. Sa manière de prendre à bras-le-corps les problèmes du pays l’est tout autant

Son discours inaugural sera-t-il à la mesure des attentes des Tunisiens. Ou aurions-nous un discours convenu où les envolées lyriques sur le peuple qui a émerveillé le monde le disputent à la litanie du « peuple qui veut prendre son destin » et à cette jeunesse qui donnera l’exemple en se mettant à l’avant-garde de la nation.

Certes répandre du rêve, donner des raisons d’espérer et même se permettre quelques utopies pour galvaniser les foules sont indispensables à tout homme politique. Mais ce temps est désormais révolu, car l’on n’est plus à la phase explicative, pour reprendre la formule utilisée par le chef de l’Etat élu pour qualifier la campagne électorale.

Les Tunisiens scruteront avec la même attention l’équipe qu’il va choisir et qui travaillera avec lui et autour de lui. Se défendant d’avoir une équipe de campagne, puisque ce sont des bénévoles qui l’ont aidé à accéder à Carthage plaide-t-il, on est en effet curieux de connaitre les hommes et les femmes qui formeront le premier cercle autour de lui. Le cabinet présidentiel compte en effet un directeur avec rang de ministre ainsi que plusieurs ministres-conseillers, conseillers principaux et conseillers et les titulaires qu’il choisira pour occuper ces postes donneront une idée de la manière dont il compte assumer ses fonctions.

Et ce en attendant le choix qu’il portera aux nouveaux ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères qui sont nommés par le chef du gouvernement en étroite concertation avec le Chef de l’Etat.

Tous les experts le crient haut et fort, la Tunisie passe par une crise multidimensionnelle qui n’a fait que s’aggraver au cours des dernières années. Les récentes élections présidentielles et législatives avec un rejet du système mis en place et la sanction de la classe politique toutes tendances confondues en ont été le révélateur.

Ce que l’on sait au moins c’est qu’un lourd héritage économique et des dossiers sociaux brûlants, dont essentiellement celui de l'emploi, principale revendication des jeunes tunisiens, attendent le prochain gouvernement. Tous les indicateurs sont au rouge avec en premier lieu un endettement qui ne cesse de s’alourdir, avec le risque de porter atteinte à la souveraineté nationale qui sera à la merci des bailleurs de fonds étrangers.

Ce qui est encore plus grave, c’est que cet endettement sert essentiellement à payer les salaires de la fonction publique et à combler les déficits cumulés des entreprises publiques qui au lieu de contribuer à la richesse nationale sont devenues un lourd fardeau aux finances publiques.

L’accession du nouveau président, Kaïs Saïed à la fonction suprême survient non seulement dans cette conjoncture particulièrement délicate mais elle est concomitante d’un moment particulièrement sensible de l’année, puisqu’elle coïncide avec la période consacrée chaque année à la discussion et à l’adoption du budget de l’Etat et de la loi des Finances pour le prochain exercice. Des documents d’une extrême importance qui déterminent l’action des pouvoirs publics pour les douze prochains mois.

Cette période de transition entre deux systèmes et deux gouvernements est particulièrement délicate et elle requiert du nouveau locataire de Carthage des efforts particuliers pour que la perte de temps soit amoindrie et que le pays ne s’engage pas dans une longue phase d’incertitude liée aux conciliabules autour de la formation du prochain gouvernement.

En effet si l’élection présidentielle a été couronnée par un plébiscite sans appel en faveur de Kaïs Saïed, le scrutin législatif a donné une chambre atomisée au sein de laquelle le premier parti en l’occurrence Ennahdha n’a recueilli que moins du quart des sièges.

Cette situation inédite mérite une solution qui l’est tout autant. Si personne ne peut contester le droit du parti islamiste à nommer l’un de ses dirigeants à la tête du gouvernement, ce même parti doit prendre en considération la réalité de la scène politique telle qu’elle se présente et entamer les consultations avec les autres politiques sur cette base. C’est son droit aussi d’exclure qui il veut de ces consultations mais il doit assumer les risques d’une telle position sur sa capacité à rassembler une majorité à l’équipe qu’il compte mettre en place.

Il est évident qu’avant de penser aux personnes, il faudrait mettre noir sur blanc un programme du nouveau gouvernement ainsi que des délais pour la réalisation de chaque point convenu. Ceci nécessitera un long temps pour sa rédaction, d’où l’urgence de rentrer rapidement dans le vif du sujet.

Fort de sa popularité, puisqu’il a rassemblé autour de son nom plus de Tunisiens que tous les députés dans les 33 circonscriptions à l’intérieur et à l’extérieur du pays, personne ne peut croire que Kaïs Saïed se désintéressera de la formation du nouveau gouvernement et laissera la classe politique s’enliser dans des conciliabules sans fin pour sa formation.

Car sa réussite dans ses fonctions dépend largement de l’équipe gouvernementale avec laquelle il est obligé de travailler et de composer. Certes, il respectera scrupuleusement, comme il en a pris l’engagement, les termes de la Constitution qui définissent les conditions de la nomination du gouvernement, mais il pourra jouer les facilitateurs pour trouver les voies et moyens en vue de hâter la formation de la coalition gouvernementale qui prendra les rênes du pays.

Il importe que le pays évite de perdre un temps précieux. Car si on laisse les choses se faire dans le climat pollué par les conflits entre les partis politiques, on risque de se retrouver sans gouvernement deux mois après la désignation d’un premier candidat à la tête de l’équipe gouvernementale, ce qui a va amener le président de la République à choisir la « personnalité la plus apte » à former le gouvernement.

Pourquoi dès lors ne pas faire l’économie de la perte de ce temps précieux. Et surtout ne pas donner des arguments à ceux qui veulent un changement total de système avec les risques que cela peut avoir sur les équilibres déjà fragiles du pays.

Aucun Tunisien sensé ne peut croire que l’on soit amené dans quatre mois à retourner aux urnes, car tel sera le cas si l’on échoue à mettre en place un gouvernement dans les délais constitutionnels impartis.

Car cette jeunesse qui a permis à Kaïs Saïed d’accéder à la plus haute charge de l’Etat ne pourra pas assister les bras croisés à la classe politique prendre le pays en otage de ses ambitions et de ses contradictions. La révolution par les urnes qui s’est déroulée lors des deux tours du scrutin présidentiel a toutes les chances d’emporter la classe politique si celle-ci n’en prend pas garde et ne s’adapte pas à la situation nouvelle ainsi créée.

L’antisystème qui a pris le pouvoir avec le nouveau président de la République élu ne baissera pas les bras. Aux partis politiques de se mettre en adéquation avec cette situation nouvelle. La jeunesse impatiente qui a hissé Kaïs Saïed à la tête de l’Etat n’est pas encline à laisser ces partis lui voler sa victoire. Cela semble une évidence, à moins que l’on veuille se voiler le visage devant cette réalité.

RBR

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