La Première damnée

Sur des rimes poignantes de Louis Aragon, Jean Ferrat a longtemps martelé que "la femme est l’avenir de l’homme". Dans la même foulée, la sagesse

populaire arabe assénait que "derrière tout grand homme, il y a une femme". Cependant, pour les dictateurs arabes, la femme prend à contre pied ces louables préjugés. La femme est plutôt le mauvais génie, l'âme damnée et la fossoyeuse de l’homme. En quelque sorte, derrière la déchéance d'un homme, se faufile une femme, aurait-on décoché.

On a longtemps péroré que "les femmes seraient charmantes si on pouvait tomber dans leurs bras sans tomber dans leurs mains". Il suffit de constater les faits et méfaits de nombre d'égéries, épouses, maîtresses de dictateurs, y compris Leila Ben Ali et Suzanne Moubarak, juste pour m'en tenir à la région arabe, notamment combien chacune a plombé les ailes de son époux de président, gangrené son pouvoir et précipité sa chute, pour s’en rendre compte.

Nul doute que les despotes arabes n’étaient point des enfants de chœur ou des hommes de cœur. Il n’y a pas de légende pour restituer leur esprit tortionnaire, leurs mains sales, leur cupidité et leur propension à considérer et traiter leur pays et leur peuple comme chasse gardée ou jardin secret. Mais la "première dame" a précipité la déclin puis l'effondrement, parfois fracassant, souvent humiliant, de tels sanguinaires autocrates.

"Cherchez la femme" dit-on dans les coulisses judiciaires, ceci est encore plus vrai dans l'évolution et l'affaissement des dictatures. Cette brochette de "femmes fatales", au propre comme au figuré, n'en font pas dans la dentelle. A trop vouloir taquiner la postérité et la mémoire, à trop prendre leurs vessies pour des lanternes, elles ont glissé au bas-côté de la décence puis au fin fond de la poubelle de l'histoire.

En oeuvrant à trop chevaucher leur mentor, elles ont trébuché, accompagnant, dans leur chute, l'étalon présidentiel et les chevaliers de la république. Beaucoup plus voraces gourmandes que fins gourmets, plus elles tentent d'échapper à leur ombre plus le soleil s'éloigne.

En général, roturière ou sang bleu, au trône ou au gourbi, la femme est avant tout la mère, par nature et essence, nourricière et protectrice. Dépositaire de la maternité, pilier de l'éducation, courroie de transmission des valeurs, cette première école de la vie qu'est la femme ne peut trahir, n'a pas le droit de décevoir. Notre réaction est à la mesure de la charge symbolique et de la dimension d'affiliation que la femme incarne.

Nous ne pouvons forcément leur pardonner, nous les condamnons encore plus que leur époux! "Toutes les femmes sont des putes, sauf ma mère par respect" disait crûment Jean Paul Sartre!En outre, dans nos contrées aux relents encore misogynes et aux réflexes ouvertement sexistes, "la foule, comme les femmes, est faite pour être violée", comme le disait le bon vieux Duce Benito Mussolini. Autrement dit, on ne peut expier ou amender une femme.

Elle est déjà coupable de par son statut, encore plus si elle tente de prendre la place de l'homme ou de manœuvrer pour grignoter sur le présumé propre territoire des hommes. Dans toutes les sociétés, notamment arabo-musulmanes, on peut pardonner aux Chefs d'Etat leurs bourdes politiques ou leurs dérives ou bien leurs extravagants caprices mais jamais leurs actes de corruption et de pillage. Le ressentiment en est nettement exponentiel quand il s'agit de femmes. Il y a une trame de fond œdipienne dans cette assertion.

Dans cette occurrence, je me suis toujours posé deux principales questions: Premièrement, pourquoi les dictateurs éprouvent-ils toujours le besoin d'adosser au corsage de la femme leur édifice despotique? Deuxièmement, qu'est ce qui fait que la première dame, à un certain moment, lâche son armure de femme d'ombre, franchisse le pas pour faire main basse sur le pays et surpasser son mentor?

Serait-ce comme on dit méchamment "il y a chez la femme une dose de fourberie, une fois qu'on l'a mise en route, rien ne l'arrête"? Il est établi que la cupidité et l'omnipotence de la première dame sont inversement proportionnels à son origine sociale et à son niveau intellectuel. Plus elle vient de plus bas, plus elle se démène pour monter plus haut et à brasser plus large.

Plus elle est inculte, plus elle court, à en perdre haleine, derrière les postiches de la connaissance et les artifices culturels ! S'agirait-il d'une manière d'occulter un insignifiant passé et d'éluder une criarde indigence intellectuelle. Dans tous les cas, son dérisoire et non moins grotesque passé la rattrape toujours! Bien sûr, quand "la femme se plie, l'homme se brise"!

Prenons le cas de Leila Ben Ali, à quelques nuances près, la finesse en moins, elle a puisé dans le même arsenal naguère employé par Wassila Bourguiba et Saida Sassi. Les trois femmes, les doigts coincés dans les engrenages de la politique et aspirant au pouvoir, ont été pour beaucoup dans la décrépitude de leur "homme". Sauf que pour Leila Ben Ali, qui a bien voulu porter un habit nettement plus large que sa taille, l’itinéraire était tout autre. Foncièrement ignare et cupide, elle n’a jamais compris le revers de la médaille. Le genre de femelle qui quand on "lui montrait la lune, elle ne regardait que le doigt"!

De la mise en pli à la mise à niveau, de dame de compagnie à la première dame, de la queue de cheval au haras de la république, que de chemin parcouru. Elle a coiffé tout le monde au poteau. Elle a tenu toutes les positions horizontales pour s’offrir une ascension verticale aussi vertigineuse. Un vrai parcours à décoiffer plus d’une mèche et à faire pâlir même Elena Ceausescu, égérie de ce sombre génie des Carpates et Danube de la pensée ! Marie Antoinette en serait sortie à poil !

Tout dans son allure procède du brushing, elle tire par les cheveux même son sourire, toute sa culture ne tient qu’à un cheveu ! C’est le règne de la gomina et du peigne fin. Une fois enfouie dans le plumard moelleux, elle a complètement oublié la natte en crin! C’est ébouriffant! On ne disait pas pour rien que "un cheveu de femme est assez fort pour tenir en laisse un éléphant", que dire quand il s'agit d'une experte en coiffure. Apparemment, Zine El Abidine n'en a vu que du feu!

Tel un cheveu dans la soupe de la république, de mèche avec les barbiers du palais, la régente de Carthage a gravi prestement les échelons jusqu’à lorgner vers le trône, encouragée en cela par une horde familiale de prédateurs et de charognards et par la démission d’un mari beaucoup plus préoccupé à thésauriser la richesse de son pays, à paupériser son peuple et à garnir sa caverne pour s’apercevoir sinon freiner la montée en flèche de sa douce moitié. C'et le cas de le dire pour un nabot comme Ben Ali.

Avec ses faux airs de docte femme, ses diplômes à deux balles, sa démarche empruntée, sa crinière de pouliche mal apprivoisée, la Loulou a laissé pantois alliés et adversaires tellement la bonne femme a usé de manœuvre et de manipulation pour se frayer un chemin au bercail politique et asseoir sa croupe au premier rang de l’Etat, quitte à en déloger son fantasque et non moins illettré époux.

Un proverbe alertait "pour l'amour d'une rose, l'homme devient esclave de mille épines"! Ben Ali, que parents, alliés, homme de main ou de paille en ont constitué les épines, aurait sauvé son règne et son peuple s'il avait effrité puis piétiné, au moment opportun, sa rose de Leila, en prenant l'exemple de son illustre et non moins maître en matière de poigne despotique, à savoir le Tsar bolchevique Joseph Staline, qui a acculé son épouse, Nadia Allilouieva, au suicide. L'amour d'une rose l'a enfin envoyé sur les roses! Ben Ali aura été un piètre jardinier, et ce n’est pas le moindre de ses défauts!

A s’en arracher les cheveux jusqu’aux racines!

Par Jalel Snoussi

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