La santé publique, une catastrophe annoncée, un secteur gangrené

 La santé publique, une catastrophe annoncée, un secteur gangrené

 

Plus le temps passe, plus on se rend compte de l’ampleur de la catastrophe Ce n’est pas le bilan qui fait le plus mal même si un nourrisson mort, c’est en soi un drame, mais c’est l’état de la santé publique qui suscite un terrible choc.

Car on est dans le cas d’une catastrophe annoncée que beaucoup voyaient venir mais les responsables au plus haut niveau n’ont rien fait pour l’arrêter, ni du reste à la prévenir. Tant ceux-là avaient la tête d’ailleurs. Certains mettaient en place un parti du gouvernement pour espérer se maintenir au pouvoir, d’autres se chamaillaient sur des prébendes qu’ils ne veulent pas perdre, d’autres enfin, jetaient des accusations à tout-va pour émerger comme les partisans de la probité et de la propreté qu’ils ne sont pas.

La mort de tout-jeunes nourrissons dans le centre de maternité et de néonatalogie de la Rabta, quel qu’en soit le nombre et il faut espérer qu’il n’augmentera pas comme certains le laissent présager, est un événement cruel qui ne doit passer sans que l’on n’en tire toutes les conséquences.

Certes le ministre de la Santé, alors en exercice, Abderraouf Chérif s’est empressé de démissionner pour assumer la responsabilité politique du drame. C’est tout à son honneur d’avoir pris le geste qu’il faut même si lui n’est pas directement impliqué. Mais il ne faut pas qu’il soit le bouc émissaire de ce drame.

Car par un retournement de l’histoire c’est l’ancienne secrétaire d’Etat à la Santé de septembre 2017 à novembre 2018, Sonia Ben Cheikh, qui a été appelée à assurer l’intérim du ministre de la Santé en plus de ses fonctions de ministre de la jeunesse et des sports.

Médecin elle-même, haut cadre du département où elle a passé plus de vingt ans de sa carrière, elle connaît mieux que quiconque l’état de la santé publique. Ayant ainsi été un acteur en son sein, elle n’a pas éludé qu’elle est aussi responsable de la situation sinon plus que son prédécesseur.

De ce fait est-elle en mesure de diagnostiquer les maux du secteur ou bien va-t-elle gérer ce drame, comme un fait divers sur lequel l’opinion publique va se concentrer un moment avant de l’oublier.

En appelant à ce qu’il n’y ait pas d’instrumentalisation politique du drame, elle a certainement raison mais dans un pays où tout est d’essence politique sinon politicienne on ne va pas attendre de la classe politique de ne pas faire ses choux gras de cette tragédie.

Pour les uns, l’occasion est trop bonne pour ne pas la saisir, alors que pour d’autres, il importe d’en minimiser la portée en faisant le dos rond avant que le ciel ne se dégage de nouveau. En période pré-électorale, il ne fallait pas s’attendre à moins.

Le sujet est pourtant trop grave pour qu’il soit laissé à la seule discrétion des politiques. La santé publique est un secteur sinistré qu’il faut prendre à bras-le-corps si on veut le sauver et lui rendre son lustre de fleuron de la Tunisie indépendante.

C’est nous dit-on un secteur gangrené par la corruption. Ce n’est pas le manque de moyens qui est pointé du doigt. En effet, le budget qui lui est alloué est conséquent puisque c’est un département qui se situe dans le peloton de tête au titre des allocations budgétaires, mais c’est l’usage que l’on fait de ces moyens qui pose problème.

Tout le monde s’accorde à dire que nos hôpitaux et nos centres de soins sont dans un état lamentable à tous les points de vue. Certains vont même jusqu’à laisser entendre que la mise en coupes réglées de la santé publique est le prélude à l’essor des cliniques privées dont le développement ces dernières années a été remarquable.

Mais sans une santé publique performante, on ne peut espérer mettre en place des services de santé de qualité, car c’est dans les établissements publics que l’on s’adonne à la recherche et c’est là que les techniques de pointe peuvent être mises en œuvre.

S’il y a un élément essentiel en matière de santé qui fait l’unanimité c’est que le pays dispose de médecins de qualité remarquable. Leur formation au chevet du malade est parmi les meilleures au monde. Il ne faut surtout pas que des drames comme celui que nous venons de vivre soit l’occasion pour pointer du doigt et encore moins mettre dans le box d’accusation ces praticiens de grande valeur.

Bien au contraire, il nous faut rendre hommage à leur dévouement et à leur engagement au service de la santé publique malgré un environnement de travail défavorable et des conditions pour le moins déplorables.

Si nombre d’entre eux ont quitté la santé publique et même le pays ce n’était pas de gaieté de cœur. Si du reste, ils sont stigmatisés comme on l’a fait à tort ces derniers, il ne faut point espérer voir de jeunes médecins se dévouer au service de la santé publique.

Secteur sinistré, la santé publique l’est aussi en raison d’un banditisme syndical qui a pris parfois des proportions alarmantes sinon caricaturales.

On se rappelle que l’ancien ministre de la Santé Saïd Aïdi a été vilipendé et insulté même, parce qu’il a déclaré la guerre aux lobbies qui ont mis la main sur la santé publique.

Lorsqu’il a nommé un médecin militaire à la tête d’un CHU de Sfax, il a été attaqué de toute part parce qu’il a osé marcher sur les plates-bandes d’un syndicat tout puissant qui faisait la pluie et le beau temps au sein des établissements de santé publique de la seconde ville du pays.

C’est d’ailleurs sa détermination à aller jusqu’au bout dans sa politique de réforme de la santé publique qui a fini par lui valoir de perdre son poste. A son départ, tout ce qu’il a entrepris a été remis en cause et les personnes sanctionnées pour manquement ont retrouvé leurs fonctions comme si de rien n’était.

C’est d’ailleurs l’instabilité à la tête du ministère de la Santé qui est à l’origine des maux que connait ce secteur sinistré. La ministre intérimaire Sonia Ben Cheikh est la douzième première responsable du département depuis le 14 janvier 2011.

En huit ans c’en est trop puisque chaque ministre n’aurait disposé que de quelques deux cent jours, ce qui est très peu pour concevoir une politique et la mettre en œuvre.

Certes, l’instabilité gouvernementale est le propre de la Tunisie post-révolution mais dans un secteur comme c’est la santé publique, cette mobilité ne peut signifier qu’une aggravation des maux du secteur. Si on lui ajoute l’incompétence et les tiraillements partisans, l’image devient encore plus brouillée et le rendement du secteur est davantage amoindri.

Il est urgent que le secteur dans son intégralité soit mis à plat et que des états généraux de la santé publique soient organisés avec la participation de toutes les parties prenantes en vue de mettre en place un système de santé débarrassé de toutes les scories.

RBR

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