La situation « fragile » de la Tunisie passée au crible à l’Assemblée nationale française

La situation « fragile » de la Tunisie passée au crible à l’Assemblée nationale française

 

Le rapport de de la Mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb a été présenté le 18 janvier dernier devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. Selon ses auteurs*, « ce rapport vise d’abord à comprendre les mutations intervenues depuis 2011 dans cette région, les défis auxquelles elle doit faire face, au plan sécuritaire, politique et économique. Enfin, il vise à analyser sans indulgence la manière dont la France, avec l’Union européenne, a répondu au défi de l’irruption de cette nouvelle donne ». 

Le rapport de plus de 160 pages est le fruit d’un travail de prospection qui a duré environ six mois au cours desquels, la mission a visité tous les pays du Maghreb, rencontré des responsables politiques et de la société civile et enquêté sur la situation qui prévaut dans les cinq pays.

Une démocratie fragile

Le président la mission Guy Teissier et son rapporteur Jean Glavany se sont déplacés en Tunisie du 18 au 21 septembre 2016 et ont rencontré des personnalités politiques, des diplomates français de l’ambassade de France en Tunisie et organisé une table ronde avec des représentés de la société civile.**  

En ce qui concerne la Tunisie, la première à avoir été présentée, parce qu’elle est « devenue le symbole des révolutions arabes », la mission a affirmé qu’elle a achevé « le premier temps de sa transition, sa démocratie reste fragile, au plan social, politique et sécuritaire ». Le rapport explique cette fragilité par le fait que « les revendications de dignité et de justice n’ont en grande partie pas trouvé satisfaction et beaucoup de Tunisiens ont vu leurs conditions de vie se dégrader depuis 2011 ». Il ajoute que « le risque est grand de nouvelles éruptions sociales dans un contexte de « désocialisation » croissante de la colère populaire, et de chômage de masse des jeunes. En janvier 2016, le plus grand mouvement social depuis la révolution, parti de Kasserine, a essaimé dans toutes les régions intérieures, s’est accompagné de violences contre les symboles de l’État, notamment la police. Depuis décembre 2015, les chômeurs de Sidi Bouzid manifestent devant le ministère du travail ; de même qu’à l’usine Petrofac de Kerkennah depuis janvier 2016. Les scandales de corruption dans le domaine de la santé ont aussi nourri le mécontentement populaire ».

Face cette situation, « les autorités tunisiennes peinent à apporter une réponse rapide et efficace aux besoins de la population : le dialogue national sur l’emploi présenté fin mars n’a pas encore rempli toutes ses promesses, et le plan quinquennal censé présenter au public et partenaires internationaux les grandes orientations stratégiques du pays n’a été publié qu’en septembre 2016. Aux attentes de la population s’ajoutent les réformes économiques attendues par les bailleurs internationaux (code des investissements, réforme fiscale, assainissement budgétaire, amélioration de l’environnement des affaires) qui tardent à être mises en œuvre et le sont parfois sans ordonnancement stratégique selon certains. L’adoption d’une loi sur les investissements visant à moderniser et à rationaliser le cadre juridique est cependant un signe encourageant. De même que le véritable succès de la conférence Tunisie 2020 organisée en novembre dernier ».

Ennahdha contrôle l’économie du pays

Au plan politique, « le pays connaît aussi des fragilités : un nouveau gouvernement dirigé par Youssef Chahed a été désigné, au sein duquel l’UGTT et la gauche ont fait leur entrée, et où Ennahda a obtenu des postes importants bien que non régaliens (avec l’économie, le commerce et le numérique, ils seront en charge des secteurs qui représentent près de 60 % du PIB tunisien). Le parti Ennahda, qui demeure le principal soutien du gouvernement, est sans nul doute devenu la première force politique au Parlement et dans le pays, notamment avec l’effritement du « parti » Nida Tounès. Cette coalition de circonstance a été fragilisée par la scission des partisans de Mohsen Marzouk. Or ceci n’est pas sans risque pour la stabilité gouvernementale, alors même que le pays a besoin d’une majorité forte pour mener des réformes urgentes...

Risques de déstabilisation élevés

Au plan sécuritaire, les risques de déstabilisation de la Tunisie sont très élevés : les trois attentats qui ont marqué l’année 2015 en Tunisie, dont certains préparés en Libye et l’attaque de Ben Gerdane en mars 2016, montrent que la situation est encore fragile. Il existe encore des maquis dans le Centre-ouest du pays. Mais la menace prend davantage le visage d’un terrorisme urbain, interagissant avec le djihadisme international et de plus en plus aligné sur la stratégie de l’Etat islamique. La tentative de prise de la ville de Ben Guerdane par un groupe affilié à Daech, préparée de longue date, l’a montré. Enfin, la présence de quelques 1500 djihadistes tunisiens en Libye et la perspective du retour de milliers d’autres en Syrie ou en Irak est un sujet de préoccupation majeur. Les forces de sécurité, malgré un effort de mise à niveau, n’ont pas toujours les capacités ou l’organisation adaptée pour répondre aux menaces terroristes et contrôler leur frontière.

Il est évident que les terroristes veulent voir le modèle tunisien tomber, il faut donc s’attendre à ce que les menaces s’accroissent et il faut accorder un soutien prioritaire au pays ».

* La mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb est composée des députés : Guy Teissier, président(Les Républicains), Jean Glavany, rapporteur(Socialiste, écologiste et républicain), Nicole Ameline(Les Républicains), François Asensi(Gauche démocrate et républicaine), Valérie Fourneyron(Socialiste, écologiste et républicain), François Rochebloine(Union des démocrates et indépendants) et Michel Vauzelle(Socialiste, écologiste et républicain).

**Les personnalités rencontrées en Tunisie :

M. Abada Kefi, président de la Commission permanence des droits, libertés et relations extérieures ; M. Jalel Ghedira, président de la commission permanente de l’organisation de l’administration et des affaires des forces armées ; M. Lotfi Nabli, président de la commission spéciale de la sécurité et de la défense, en présence du président du groupe d’amitié Tunisie-France, M. Houcine Jaziri

– S.E.M. Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur de France en Tunisie

– Table ronde avec des représentants de la société civile tunisienne

– M. Hocine Abbassi, Secrétaire général de l’UGTT

– M. Radhouane Ayari, Secrétaire d’Etat à l’immigration et Tunisiens à l’étranger

– Mme Lobna Jribi, ancienne députée, présidente de Solidar Tunisie, perception des négociations de l’ALECA par la société civile

– M. Paulo Serra, conseiller sécurité du RSSG, et M. Anwar Darkazalli, adjoint au chef de la section politique de la MANUL

– M. Patrice Bergaminile chef de délégation de l’UE

– M. Patrick Flot, Conseiller de coopération et d’action culturelle, sur la politique culturelle de la France en Tunisie

 

 

 

 

 

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