La Tunisie et le « mythe de la laïcité »
La Tunisie n’a jamais été et ne sera jamais un pays laïque. Il suffirait de se rappeler de quelques aspects simples pour s’en rendre compte.
A titre d’exemple, nos enfants étudient la religion à l’école, nous avons un ministre des affaires religieuses, les instances officielles commencent chaque discours nommant Dieu,« bismillah arrahmane arrahime » , les appels à la prière interrompent la monotonie de la vie quotidienne et même les sommeils nocturnes et le mois de ramadan bouleverse le rythme de vie sociale et économique de l’entière population. Mais l’aspect le plus important quand on parle de laïcité tunisienne c’est que certains semblent oublier que l’islam n’est pas seulement une religion mais une culture qui nous habite. Les simples mots de tous les jours scandent les concepts musulmans, ne fut ce que par nos continus inchallah et hamdoullah.
Le tunisien n’a jamais été laïque. Il est sûrement émancipé, tolérant, il aime vivre et laisser vivre. Avant de parler de la cohabitation entre religieux et moins religieux, il suffit de regarder la cohabitation entre les générations de parents ou de grands parents avec les jeunes. Nos grands-parents étaient décidemment traditionnels mais ceci n’a pas empêché leurs jeunes de vivre libres de choisir. Les petits ou grands prêcheurs d’un comportement plus traditionnel existent aussi dans toutes les familles, un oncle, un grand frère ou un grand-père qui cherchent à éduquer les plus jeunes ou encore les moins jeunes à la bonne voie, « Rabbi yehdikom » étant un des mots clé de notre éducation.
Depuis toujours il y’a eu des tunisiens plus religieux, d’autres plus modérés et encore d’autres qui ne s’intéressaient point à leur religiosité. Mais une des particularités de notre société est celle d’afficher publiquement sa propre religiosité, fréquenter une mosquée ou prier à la maison ne sont point des actes privés et les personnes aiment le raconter. Aller à la Sainte Mecque ne se fait pas dans le silence et la discrétion, mais à travers moments de fête et de retrouvailles publiques, tant qu’on y acquiert successivement le titre de Haj ou Hajja. Le ramadan est aussi un mois où les activités sont communautaires et où la solidarité et la joie sont vécues au-delà du simple jeûne individuel.
La richesse de la société tunisienne est ce prisme où bougent ceux qui prient et ceux qui fêtent en buvant du vin tunisien, où se côtoient les filles portant le voile et celles qui portent des robes frêles. Mais cette cohésion n’a pas lieu seulement parce que nous avions un contrôle policier ou une dictature qui nous maintenaient stables, c’est ce qu’ils voulaient nous faire croire. Il suffit de se rappeler que ces équilibres se vivent surtout dans les familles, où on voit des personnes se comportant différemment depuis toujours mais qui continuent à être ensemble. Les problèmes ne manquent pas mais dans quel monde pluraliste n’a-t-on pas de clashs ?
Quand on parlait du manque de la liberté des femmes dans les pays arabes, je souriais du coin des lèvres, car on ne pouvait en fait même pas parler de la liberté de l’Homme dans les pays arabes. Le discours international était et continue à être : « mais dans les pays arabes les femmes n’ont aucun droit et ceci est dû à des limitations culturelles car l’islam ne peut pas se conjuguer avec l’émancipation des femmes ».
Ce discours continue à omettre que dans les pays arabes, y compris l’Arabie Saoudite, les femmes, les hommes, les enfants, les animaux et tout autre être vivant n’ont ou n’avaient pas de droits. Un pays vraiment libre et démocratique qui garantisse les droits de tous, qu’il soit fait de musulmans, de chinois ou d’esquimaux, sera toujours un pays libre et démocratique.
La Tunisie a été un exemple de pays musulman réformiste et non d’un pays laïque. La femme tunisienne a eu la chance inouïe de pouvoir accéder à ses droits avant certaines femmes européennes. Mais il y’a un hic dans cette histoire. On ne peut pas donner ses droits aux Femmes en laissant de côté certaines : celles qui voulaient porter le voile tout en voulant étudier à l’université ou encore aller travailler. Celles-ci au nom de la « protection du peuple des terroristes islamiques » ont été persécutées et humiliées mais ceci est encore une longue histoire.
La peur des extrémistes religieux, qui en ce moment est en train d’habiter plus d’un est clairement légitime mais est-ce qu’elle justifie le fait de se désapproprier ses propres structures et modèles sociaux. Le défi est celui de continuer à garantir une certaine sécularisation de l’état, ou encore le respect de l’identité de tout un chacun, y compris celle de la majorité et des différentes minorités.
Les intentions sont bonnes mais parfois les méthodes des « laïques » sont plus extrémistes de celles des « religieux ». D’une part ils abhorrent la religion dans l’espace publique et d’autre part ils soutiennent toute manifestation de non-religiosité (qui en fait se rapporte toujours à la religion).
Lutter contre toute forme d’intégrisme violent n’est pas une tâche que nous sommes en train d’inventer. Mais il faudra y repenser et la réinventer car les régimes précédents l’ont fait et il suffit de regarder l’Occident qui depuis 10 ans cherche à combattre le « terrorisme islamique » pour comprendre que ce jeu pourrait nous rendre nous-mêmes extrémistes, liberticides et intolérants. Et tout ceci au nom de cette fameuse laïcité, liberté et tolérance.
Ne confondons pas la bataille pour la « liberté de choisir » avec celle qui tue les choix de tous.
Par Wejdane Majeri