La Tunisie, à la recherche d’une identité

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Depuis notre indépendance, nous avons décidé, à juste titre,  de consacrer l’essentiel de nos ressources à l’éducation de notre jeunesse, au détriment de l’équipement guerrier qui avait la faveur de la plupart des pays nouvellement indépendants.

Ainsi, nous avons pu atteindre en moins d’un demi-siècle des niveaux de scolarisation frisant les 100% avec un chiffre record de plus de 400 000 étudiants. C’est pourquoi, le premier théâtre du printemps arabe a été notre pays.

Notre révolution induite ainsi par des jeunes, éduqués, maîtrisant parfaitement les outils de communication les plus modernes et ouverts sur le monde et la diversité des cultures, devient désormais  le fer de lance du changement radical dont fait l’objet tout d’abord notre pays et ensuite  le monde arabe tout entier.

Le Tunisien est intelligent, pacifique, modéré, bon vivant, ouvert, tolérant, farceur, mais aussi fier, narcissique, égocentrique, patriote et débrouillard. Bref, c’est un pur méditerranéen qui a acquis au fil des siècles autant de culture occidentale que moyen-orientale, et ce, malgré la langue et la religion qu’il partage avec ses frères moyen-orientaux. Autrement dit, le Tunisien peut facilement se caser dans un modèle identitaire prédéfini.

Il faut noter que l'identité est ce qui sédimente en nous quand nous nous éloignons de tous les rituels et coutumes du pays (cellule familiale, emplacement géographique et enfin l'école ou lieu d'apprentissage). L'identité tunisienne est de ce fait unique de part le brassage des cultures et des courants qui l'ont confectionné depuis plus que 3000 ans. Elle est par conséquent riche par sa complexité et par ses différentes facettes.
Deux ans après la “révolution du jasmin” qui a suscité beaucoup d’espoir et forcé l’admiration sous toutes les latitudes, les Tunisiens sont plus que jamais à un tournant décisif de leur histoire. Ils cherchent toujours le bon port… Néanmoins, le Tunisien a  peur du lendemain qu’alimentent les difficultés du quotidien, dont l’instrumentation de sin identité.

LE TUNISIEN  EST  A  CHEVAL  ENTRE  DEUX CIVILISATIONS

La question de notre identité ne se posait nullement dans le passé, mais aujourd'hui après la révolution,  celle-ci n'est pas restée inerte  car elle devient un sujet de discorde au sein de cette conjoncture mondiale imprégnée par un choc visible de civilisations. La Tunisie, initialement terre de berbères, a vu passer les dynasties fatimide, hafside et husseinite mais aussi les Phéniciens, les Grecs, les Romains chrétiens et cela est forcément synonyme d’une identité multi-couches, complexe et forte. L'enchevêtrement des apports culturels ajouté à la présence d'identité endogène locale a fait naître une identité tunisienne à cheval entre son appartenance euro-méditerranéenne et ses acquis arabo-musulmans. Cette diversité a été depuis longtemps une richesse formidable pour l'identité tunisienne.

Faut-il le rappeler que le 14 janvier 2011, ce ne sont aucunement les clivages identitaires, ni les différences culturelles entre le Nord et le Sud du pays ou même le statut progressiste de la femme qui nous ont fait sortir dans la rue et catalyser ce changement ; c'était plutôt ce grand amour que nous éprouvons tous pour notre patrie. Contrairement au prétendu choc des civilisations et l’incompatibilité de l’islam avec la modernité, le tunisien moyen n’avait aucun mal à vivre son islam dans la modernité et l’ouverture.

En fait, les Tunisiens ont tissé leur histoire récente en alternant entre la nostalgie à la grande civilisation arabo- musulmane d’antan et les succès fulgurants des derniers temps de la modernité occidentale. C’est justement cette bipolarité qui nous sauve aujourd’hui de l’obscurantisme des premiers et des dérives immorales et des crises sociétales des seconds.

Malheureusement, du jour au lendemain, les Tunisiens découvrent qu’ils sont désormais divisés au moins en deux blocs; d’un côté les «mécréants», les «laïcs», les «mauvais musulmans», les «vendus à l’Occident» ou les «athées» et de l’autre côté, les «bons musulmans», les «pieux» et les défenseurs d’une «véritable» identité arabo-musulmane ». Le plus grave dans cette situation est le fait que le sentiment nationaliste s’effrite parfois au profit d’une allégeance à des pays, des groupes et des idéologies étrangères à notre pays et à son histoire. Autrement dit, les islamistes tunisiens s’opposent aujourd’hui ouvertement à l’émergence au pays de courants progressistes et instrumentalisent politiquement la «modernité ».

Il est trop tôt aujourd’hui pour dire si cette situation est appelée à durer ou si, au-delà des péripéties souvent inquiétantes du moment, la démocratie s’installera durablement dans le paysage politique tunisien. Ce qui est sûr en revanche, c’est que sa pérennité dépend de l’extension de l’espace de la société civile au détriment d’une société politique qui demeure envahissante. Et de la capacité qu’aura cette dernière à intégrer les modérés dans la construction de leur pays, au-delà des engagements partisans des uns et des autres. Dans sa conquête des espaces qui lui reviennent, il manque toutefois à la société civile tunisienne, les instruments endogènes de leur légitimation vis-à-vis de leur propre société et ce afin de partager les valeurs sociétales les plus consensuelles..

La diaspora intellectuelle tunisienne en Occident peut jouer là un rôle décisif  de relais et d’information durant notre révolution, et  peut occuper une place de premier plan dans les gouvernements de transition qui conduisent le pays depuis le 14 janvier 2011.

Heureusement, loin d’être le signe d’une opposition à la civilisation occidentale, la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 était au contraire une appropriation des valeurs universelles qui nous sont communes avec les occidentaux, en rappelant clairement au monde entier que l’appartenance à l’islam n’a rien d’incompatible ni avec notre aspiration démocratique ni avec le moderniste déjà ambiant.

Pour extirper ce cancer de confrontation identitaire et de  combat d'égo auxquels nous assistons aujourd’hui, soyons tous solidaires, ouverts et unis, pour vaincre et sortir à la fin du tunnel de l’obscurantisme angoissant et menaçant !

Hassen CHAARI

Universitaire et  Président de l’Association pour

le développement de la recherche et de l’innovation ADRI