L'art à la grâce de Dieu

L'art à la grâce de Dieu

 Raoudha Abdallah et Mouna Chtourou, un duo musical productif et proactif. Deux musiciennes diplômées et formées, entre autres, à l'Institut Supérieur de Musique de Tunis.

 Autonomes, elles ont choisi de s'exprimer par leur propre musique, faire entendre une sonorité propre à elles et en toute indépendance, sans chercher d'écho ni de résonnance sauf auprès d'un public qu'elles tentent de cultiver et de conquérir.

Avec bravoure, fierté et en toute civilité, elles ont créé leur propre atelier de création et faisant fi du "système ", ses aléas, tares et ses scléroses, elles se sont mises à frayer, par la force de leur conviction, un chemin propre menant à une destination choisie car réfléchie et ainsi, à défrayer la chronique.

Indépendamment de l'aspect artistique, de leur musique - qui peut plaire ou pas - c'est l'entreprise en elle-même qui est louable, car leur action est guidée par une réflexion et un engagement; et c'est quelque chose.

 Je développe : En 1969, Georges Pampidou a succédé au Général De Gaulle à la présidence de l'État français.

 En 1974, il décède. Il fût l'un des fervents défenseurs de l'art moderne. Le centre qui porte son nom dans le quartier des Halles en plein Paris en est témoin. Chez nous, en 1969, "le collectivisme" met l'économie du pays à genoux.

 Bourguiba en est déprimé et le pays aussi.

En 1975, le "combattant suprême", au lieu de tirer sa révérence, il "s'est plébiscité" président à vie.

 Entre temps, en France, est élu le plus jeune des présidents de son histoire, Valérie Giscard d'Estaing qui n'avait alors que 48 ans.

Alors que la musique sérielle et dodécaphonique bas son plein à Paris, sous la houlette de Pierre Boulez, chez nous, le genre "ya Sayed lasyed" sévit tambour battant.

 Alors qu'en matière de gouvernance, en Tunisie, on est resté coincé dans une impasse historique, en France, chaque président de la Vème république, de De Gaulle à Chirac, était porteur de projet culturel.

Mitterrand a même déclaré que la culture est la base sur laquelle tout se construit. En résumé, en la France de la Vème république, l'Etat est au service de la culture et de sa prospérité.

En la Tunisie "républicaine", le pouvoir a systématiquement mis la culture à son service et les artistes à ses bottes.

 Alors que le premier rôle de l'Etat est de protéger sa population, dans des pays comme le nôtre, "les détenteurs de l'Etat" ne pensent qu'à leur propre protection. La population, dont les artistes, doit se débrouiller pour survivre.

 D'ailleurs, en temps de Covid-19, nous en avons eu les preuves.

De nos jours, des artistes vivent de subventions, se contentent de "cachetons" et finissent dans la dèche alors que ce fût un temps, les artistes tunisiens étaient de dignes militants qui croyaient en l'avenir et en leur pays.

 Au même titre que Jean Gabin et Josephine Baker en France, Chefia Rochdy, chez nous, en est un exemple.

Brave et Charismatique, bravant un conservatisme paralysant d'une société en hibernation, elle fut la première à conduire une "automobile" dans les années trente du siècle dernier et l'unique femme à faire partie du comité constitutif de la Rachidia. Comme bon nombre des artistes patriotes du second tiers du XXeme siècle, elle a activement soutenu la révolution tunisienne contre le colonialisme.

D'ailleurs, sait on aujourd'hui que rien que pour renflouer les caisses de l'action militante, les musiciens et stars de la chanson tunisienne de l'époque organisaient des galas pour collecter les fonds nécessaires .... et sans modération.

Par pudeur, ils n'en parlaient pas. Par ingratitude et ignorance, on a aussi omis d'en parler et de leur donner leur droit d'êtres cités ! Après tout ce n'étaient que des artistes! Toutefois, pour certains, leur art les a immortalisés et imposés dans le récit de l'histoire contemporaine du pays.

 Heureusement pour eux. En la Tunisie indépendante, pour exister, s'exprimer et survivre, les artistes, à quelques exceptions près, devaient se soumettre au régime et se laisser "formater" par le pouvoir en place. Glorifier le possesseur du pays et satisfaire son égo était "l'œuvre obligée " de tout artiste qui tenait à son droit d'exister et de vivre de son métier.

Ainsi, quoique schématiquement, les artistes devaient composer avec les "tuteurs du pays" et solliciter donations et subventions pour pouvoir produire et se produire.

En d'autres termes, et comme pour tous les corps de métiers, les régimes gouvernants les ont réduits à la mendicité, à la soumission et à la survivance à la grâce des "seigneurs au pouvoir."

 Après la révolution, et voyant que le "système" n'a pas tardé à ressusciter,, certains musiciens, perspicaces et lucides, ont choisi de ne pas risquer leur carrière à attendre Godot.

Ils ont compris qu'il ne faut surtout pas faire confiance aux dires des politiques et à leurs promesses et se prémunir de leur savoir-défaire et ne rien faire.

Ils ont pris les devants. Le duo Raoudha Abdallah et Mouna Chtourou en font partie. Seulement, jusqu'où peuvent elles aller, comment peuvent elles résister et jusqu'à quand peuvent elles tenir?

 La révolution s'est avérée un leurre, une grave déception voire une catastrophe sans nom. Le ministère de tutelle, en l'occurrence celui des affaires culturelles, est en réalité obnubilé par ses procédures administratives, leur lourdeur et la routine.

 Ce ministère, en manque de créativité, n'a ni les moyens et ni l'envergure pour jouer son vrai rôle. Sclérosé et grippé par une législation obsolète et inefficace, il est acculé à jouer un rôle plutôt social que culturel.

Ainsi, dans les faits, les subventions servent de saupoudrage et d'aide aux plus démunis du monde du spectacle. La culture et la création, on s'en sert pour embellir les discours et se la jouer "intello", c'est tout.

Pourquoi s'en étonner quand on sait que ni les partis au pouvoir et ni le gouvernement n'ont de politique culturelle.

Ils font juste semblant d'y croire! Alors, à la grâce de Dieu, chères Raoudha et Mouna...

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