L’avocate Samia Maktouf fait le choix de Nabil Karoui « contre le pire »

Dans une tribune publiée dans Jeune Afrique( N° 3063 du 22 au 28 septembre 2019), l’avocate Samia Maktouf, installée à Paris, fait le choix de Nabil Karoui au second tour. « Triplement tunisienne », femme, avocate et citoyenne, » comme elle se définit, elle a parlé « à cœur ouvert. Le second tour de la présidentielle en Tunisie met le pays face à un risque aussi grave qu’inédit ».
Elle explique que l’un « des deux qualifiés-Kais Saied- souhaite instaurer la primauté juridique de la charia, renforcer la peine de mort, criminaliser l’homosexualité et révoquer les élus au profit d’une démocratie directe façon « gilets jaunes ». C’est une remise en question profonde des acquis de la République, renforcés et rehaussés par les idéaux de 2011. Avec cet ultraconservateur ouvertement opposé à la réforme pour l’égalité dans l’héritage, c’est aussi notre héritage collectif, celui de Bourguiba, qui est en danger.
Face à lui, un homme certes emprisonné et décrié comme une incarnation du système. Mais il est présumé innocent et, quand bien même : l’alternative promet-elle mieux ? Le moment de son arrestation, à la sortie d’un meeting, pose en soi question. Accusé de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale, peut-il constituer un tel danger pour l’ordre public qu’il faille l’interpeller et l’emprisonner avec tant de hâte ? L’État de droit voudrait-il que les échéances électorales ne puissent jamais mettre à l’heure l’horloge judiciaire ?
Pourtant, l’exemple de la récente présidentielle au Brésil offre un précédent, celui d’un candidat, ancien chef de l’État, incarcéré et invalidé d’office malgré l’avis du Comité des droits de l’homme de l’ONU, et celui d’un procureur qui se disait indépendant mais qu’un Jair Bolsonaro, candidat d’extrême droite victorieux, a depuis nommé ministre de la Justice. Non, la justice n’est pas aveugle, en tout cas pas à la politique.
Je fais confiance à la justice pour appliquer à Nabil Karoui les mêmes procédures qu’à un autre si des faits précis étayent les accusations portées contre lui. En attendant, comme le confirme l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), la loi électorale tunisienne prévoit les cas où l’élection peut être perturbée ou interrompue, notamment par la maladie ou la mort d’un candidat. À ce jour, la détention provisoire, sans condamnation, n’en fait pas partie.
Et puisqu’il ne doit exister aucune peine sans loi, rien n’interdit à Nabil Karoui de faire campagne, ce dont s’est chargée avec bravoure son épouse, Salwa Smaoui. Que pouvait-on attendre de moins d’une « fille de Bourguiba » ? Quiconque ignore les acquis précieux de la République et les droits fondamentaux arrachés depuis l’indépendance ne peut évidemment le concevoir… »
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