Le 6ème Califat en Tunisie ?!

Depuis leur succès aux élections de l’Assemblée Constituantes, le 23 Octobre 2011, les barons d’Ennahdha multiplient les sorties médiatiques

tonitruantes et controversées. Est- ce par maladresses que l’euphorie ambiante a engendrées ? Est-ce pour annoncer d’ores et déjà la couleur à travers des messages bien huilés en termes de continu et de timing ?

Les barons d’Ennahdha ont-ils tiré les enseignements nécessaires, de leurs points de vue,  de l’ère mauve de triste mémoire, à savoir, construire le pouvoir sur les sentiments de peur et de persécution et ainsi mieux asseoir leur diktat sur la société tunisienne. Il est bien établi, et l’histoire en témoigne, que la peur est le principal allié de la dictature.

Il ne s’agit pas de faire un procès d’intentions ni de pratiquer la diabolisation à deux balles, mais de constats, certes amers mais combien tangibles. Quand Hamadi Jebali parle de 6ème Califat, ce n’est point un lapsus, comme s’efforcent de l’expliquer les fantassins soucieux beaucoup plus de nettoyer le « lieu du crime » que de rassurer l’opinion publique, car l’affirmation s’inscrit dans la droite lignée de la littérature nahdhaouie, notamment la pensée de leur idéologue en chef Rached Ghannouchi. Il est donc bien clair que la ligne de rupture entre la doctrine religieuse et la conception politique n’a pas été consommée, contrairement au discours livré par Ennahdha, qui  se répand, en façade, à revendiquer un régime républicain et un Etat civil.

D’ailleurs, je me grille les neurones pour comprendre pourquoi 6ème Califat ? J’aurais admis l’argument de lapsus si Hamadi Jebali avait évoqué uniquement le terme califat, mais lui adjoindre le mot 6ème, ceci ne peut être fortuit ou accidentel, car le 6ème Califat a une signification bien précise dans l’Islam. En effet, je sais que les khoulafah Rashidun, califes bien guidés, successeurs du prophète dans l'exercice politique du pouvoir, sont au nombre de quatre, dans l'islam sunnite. Les exégètes  et autres historiens de l’Islam ont désigné Omar Ben Abdelaziz, cinquième calife bien guidé, en reconnaissance de sa piété, son impartialité et sa frugalité et par considération à sa lignée descendante directement d’Omar Ben Khatab, imam des justes et premier amir al-mûminîn « prince des croyants ». Donc, 14 siècles après,  le règne d’Ennahdha serait le 6ème Califat et Hamadi Jebali le digne successeur autoproclamé d’Omar Ben Abdelaziz.

Au moins, sur cette question, « Hezb Ettahrir » (NDLR : non autorisé en Tunisie) a le mérite d’être clair et non moins direct, il ne change pas de discours. Les pieds bien dans ses bottes, il ne module ni modèle son message selon l’auditoire et le timing. On peut rejeter ou combattre sa ligne pure et dure et son cap anachronique et obscurantiste,  mais personne ne lui ôtera  sa droiture.

D’ailleurs, Hamadi Jebali, sous ses grands airs de démocrate, n’est pas à son premier coup. Dans une interview exclusive accordée à "Réalité" le 17 Février 2011, il disait en gros qu’après la stabilité et l'enracinement de la démocratie,  la Chariaâ sera appliquée. Celle-ci  est dixit « un texte divin et Dieu ne peut prescrire l’iniquité pour les humains ». Ennahdha « n’interdira pas le licite permis par Dieu lui-même, sinon nous ne serions plus un mouvement islamiste ».

Avant que Hamadi Jebali n’ait dégainé  sur la question  du Califat, son maitre à penser, l’insondable Rached Ghannouchi a bien flingué l’adoption, employant des  termes aussi dégradants que "laqit". Dans la foulée, la sulfureuse et sulfurique Souad Abderrahim, Taliban en jupe, a usé de son sabre médiéval pour décapiter les mères célibataires  leur déniant tout droit ne serait-ce que d’exister. Il est à relever que contrairement à l’image pieuse, solidaire des moins nantis, qu’Ennahdha cultive, ses barons ont pris pour premiers cibles les groupes vulnérables déjà honnis par la société. Le paradoxe est très saisissant et non moins délétère.

On ne mène pas un État avec des lapsus mais avec des certitudes, et en politique il n’y a pas de bonne ou mauvaise foi, encore moins de profession de foi, il y a des intérêts en particulier partisans, donc idéologiques. La peur est un instrument dont ont usé et abusé tous les régimes despotiques. Et même si les tunisiens ont défoncé le mur de la peur il n’en demeure pas moins qu’une certaine crainte gronde contre le double discours d’Ennahdha et les envolées d’un autre âge de leurs barons !

Jalel Snoussi