Le phénomène Kaïs Saïed, quelle vague le porte?
Il ne fait pas de doute, il y a dans cette élection présidentielle anticipée prévue le 15 septembre 2019, un phénomène qui s’appelle Kaïs Saïed. Le candidat qui a annoncé son intention de briguer les suffrages des Tunisiens bien avant tous les autres figure toujours parmi les favoris de ce scrutin sans avoir fourni le moindre effort à cet effet.
Les autres ont beau mouiller la chemise et se démener comme des diables, ils n’arrivent pas à décoller alors que lui, pépère trône dans les intentions de vote. D’ailleurs ses concurrents se posent la question de savoir comment il a fait pour en arriver là et s’y maintenir contre vents et marées.
Kaïes Saïed n’a pas mené de campagne pré-électorale comme l’ensemble de ses concurrents. Pendant tout l’été, on ne l’a pas vu sur les plateaux de radio ou de télévision et les seules déclarations qu’on lui connait, il les a faites en juin dernier au journal « Acharaa Al-Magharibi » et elles ont suscité une vive controverse.
Se voulant original, il a fait savoir qu’il ne votera pas pour lui-même et qu’il glissera, dans les meilleurs des cas, un bulletin blanc. Il a enfoncé le clou en ajoutant qu’il ne demandera pas aux électeurs de voter pour lui. Il s’est, par ailleurs, prononcé en faveur de la suppression des élections législatives. Il propose, de ce fait, des élections « allant du local au central », le Parlement étant l’émanation des conseils locaux et non du suffrage universel qui serait ainsi aboli. D’autre part, Il s’est dit favorable à la peine de mort, contre la dépénalisation de l’homosexualité, et opposé à l’égalité successorale telle qu’elle est proposée dans la COLIBE.
Devant le tollé qu’ont suscité ces déclarations, on lui a conseillé, semble-t-il de se taire, car depuis lors il a observé un mutisme qu’il n’a rompu qu’à l’ouverture officielle ce lundi de la campagne électorale. Le candidat Saïed intrigue, car il se présente en indépendant et refuse le soutien d’un quelconque parti.
Considéré par certains observateurs de la scène partisane comme « un lièvre » lancé par Ennahdha pour dégager la voie à son candidat qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur de ce parti, il a démenti ces supputations. Car même en présence du candidat officiel du mouvement islamiste, Abdelfattah Mourou il n’a pas été détrôné de sa position d’un des favoris de l’élection présidentielle devançant d’ailleurs le vice-président d’Ennahdha.
Comment expliquer cette énigme ? A 61 ans, cet enseignant de droit international qui n’a pas fini sa thèse de doctorat est « une coqueluche des jeunes ». Médiatisé après la révolution, il a sillonné le pays pour donner des conférences.
En 2014, « des jeunes de toutes les régions » auraient réuni 17 000 parrainages pour qu’il se présente à la présidentielle, mais il aurait décliné. Cette fois-ci la pression semble avoir été plus forte, surtout de la part d’une frange de la jeunesse islamo-conservatrice et même salafiste qui ne se retrouve pas dans le parti Ennahdha.
Ce sont les activistes parmi cette jeunesse qui lui ont rassemblé les dix mille parrainages populaires qui lui ont permis d’être présent dans la course à cette élection. Du reste quelques jours avant la clôture du dépôt des candidatures, un de ces activistes Ridha Mamoun, a annoncé que, près de 5000 parrainages en faveur de Kaïes Saïed se sont « évaporés » et que les personnes censées les collecter les ont «vendu » à d’autres candidats.
Alors qu’il risquait de se retrouver éliminé de la course, ses soutiens ont réussi à lui rassembler les parrainages qui lui ont permis de présenter sa candidature dans les délais. Ce qui en dit long sur la force des appuis qui lui sont accordés et qui veulent coute que coute le mener jusqu’au Palais de Carthage.
Celui que l’on surnomme « Robocop » pour sa diction d’automate usant d’un arabe classique et d’un air savant pour exprimer des idées communes, ne veut pas être le candidat d’un quelconque parti, surtout pas celui d’Ennahdha. Il nie aussi tout lien avec le « Mouvement des jeunes tunisiens » qui, pourtant l’appuie.
Candidat de l’antisystème, il veut surfer sur la vague qui l’a porté jusqu’ici, celle de la promesse d’un nouveau système, tourné vers les jeunes.
Cet enseignant de droit veut aller directement de son amphithéâtre aux lambris de la République. D’après lui, il a été pressenti pour être président de l’ISIE, un poste qu’il a, selon ses dires décliné, comme il refusé le poste de ministre de la Justice et même celui de chef de gouvernement en 2013.
Pour autant, a-t-il les capacités d’assurer les fonctions de chef suprême des forces armées, d’inspirateur de la politique étrangère et de président du conseil de sécurité nationale ? Au vu de son cursus, il est permis d’en douter.
RBR
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