Les vrais responsables du « Jeudi noir », selon Habib Achour

Les vrais responsables du « Jeudi noir », selon Habib Achour

Il y a 43 ans, la Tunisie connut sa première grève générale décrétée par l’UGTT et qui avait dégénéré en émeutes.  C’était un jeudi 26 janvier 1978, plus connu sous le nom de « jeudi noir » en référence au « jeudi noir » du krach de 1929.

Cette grève est la conséquence d’une crise entre le gouvernement de l’époque et la centrale syndicale qui a marqué une volonté d’autonomie face au pouvoir en place. Le 24 janvier, suite à l'arrestation du secrétaire général de l’union régionale de Sfax, Abderrazak Ghorbal, Habib Achour lance devant une foule réunie à la place Mohamed Ali, son appel à la grève générale pour jeudi 26 et vendredi 27. Il déclare qu’il « n'y a de combattant suprême que le peuple ». Une offense à l’adresse de son ami de combat, le président Habib Bourguiba et « un crime de lèse-majesté » vis-à-vis de celui qui est communément appelé « Combattant suprême ». 

Pour faire échec à cette grève, le parti au pouvoir, le PSD dont Habib Achour était membre de son bureau politique avant d’en démissionner quelques jours avant la date butoir, appelle ses militants à « descendre dans la rue pour empêcher la grève par tous les moyens ». Toutes les tentatives pour éviter l’irréparable ont échoué.

Le bilan officiel gouvernemental annonçait 46 morts et 325 blessés, alors que selon d’autres sources, le bilan était beaucoup plus lourd.

Plusieurs arrestations ont été opérées dans les rangs des dirigeants syndicalistes et à leur tête le secrétaire général Habib Achour. Déférés devant la cour de sûreté de l’Etat présidée initialement par Mohamed Salah Ayari avant qu’il ne soit remplacé par Mohamed Tahar Boulaaba El Fatimi, ils ont été condamnés, le 9 octobre 1978, à de lourdes peines.  Habib Achour a écopé de 10 ans de travaux forcés, tout comme Abderrazak Ghorbal, le secrétaire général de l’URT de Sfax. Treize autres sont punis de peines allant de huit ans de travaux forcés à six mois de prison, alors que neuf ont bénéficié d’un sursis et sept autres ont été acquittés. Il s’agit de :

-Khereddine Salhi,Hassen Hammoudia, Sadok Besbes:8 ans de travaux forcés.

-Houcine Ben Kaddour, Mustapha Gharbi, Taieb Baccouche, Salah Brour : 6 ans de travaux forcés.

-Mohamed Ezzeddine, Abdelhamid Belaid, Ismail Sahbani, Mohamed Chakroun, Mohamed Néji Chaari, Abderrazak Ayoub: 5 ans de travaux forcés.

-Abdelaziz Bouraoui, Abdessalem Jrad, Said Gagui, Said Haddad, Allala Amri, Noureddine Bahri, Ahmed Kahlaoui, Mohamed SaLah Kheriji, Mohamed Dami : 6 mois de prison avec sursis.

-Sadok Allouche, Messaoud Klila, Béchir Mabrouk, Mohmed Chelly, Hassen Ben Rhouma, Azzouz Dhaouadi: acquittement.

Dans son livre « Ma vie syndicale et politique, enthousiasme et déception, 1944-1981», publié par la maison Alif en décembre 1989, Habib Achour a livré sa version de ces évènements douloureux dont il était l’un des principaux acteurs et qui sont « l'un des deux plus importants de la Tunisie indépendante sous la présidence de Habib Bourguiba avec les émeutes du pain en janvier 1984 ». De sa prison, Habib Achour envoie, le 17 mai 1978, une lettre au Président Habib Bourguiba, dans laquelle il désigne les vrais responsables des événements douloureux du 26 janvier. « Tout au long de l’enquête, écrit-il, j’ai fait ressortir que les vrais responsables des événements du 26 janvier sont du côté du Parti Mohamed Sayeh,  Ameur Ben Aicha, Mohamed Jerad et Habib Fathallah. Du côté du Gouvernement : Hédi Nouira, Abdallah Farhat et Dhaoui Hannablia ».

Cette crise avait abouti à la démission de cinq ministres en décembre 1977, membres des commissions mixtes formées pour tenter de désamorcer la crise. Et alors que les négociations avançaient, Hédi Nouira donna l’ordre à ses ministres de « cesser les discussions. Choqués par cette décision, Mohamed Ennaceur, Mongi Kooli, Habib Chatti, Azzouz Lasram et Moncef Bel Haj Amor donnèrent leur démission ».

Transféré à la sinistre prison de Nadhour, Habib Achour ne se résout pas à cette injustice et continue de recevoir le soutien de plusieurs organisations internationales. Le 3 août 1979, il fut gracié et libéré, officiellement, en raison de la détérioration de sa santé. Mais il a été mis en résidence surveillée.

Le 30 novembre 1980, il est reçu par Habib Bourguiba en présence de Mohamed Mzali et des nouveaux membres du bureau exécutif issu du congrès de Gafsa conduit par le nouveau secrétaire général Taieb Baccouche. Après une discussion assez vive entre les deux leaders, le Président se résout à lever l’exclusive qui frappait son vieil ami et compagnon de lutte.  « L’Ugtt est la vôtre, faites-en ce que vous voulez ».

Habib Achour rejoint alors le conseil national réuni au palais des congrès de Tunis et fut accueilli comme un héros.

Source: Habib Achour, Ma vie syndicale et politique, enthousiasme et déception, 1944-1981, publié par la maison Alif en décembre 1989.

B.O

 

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