L’éventuelle application des dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne

L’éventuelle application des dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne

Les déclarations du Président Kais Said, lors de sa rencontre avec le Président de l’Assemblée des représentants du peuple Rached Gannouchi ainsi que ses deux adjoints Samira Chaouachi et Tarek Fetiti, a suscité de nombreux commentaires et de fécondes réflexions.

Suite aux évènements que connait le pays pendant ces dernières 48 heures notamment le grabuge sous la coupole du parlement, le Président de la République a précisé que « la Tunisie connait actuellement les moments les plus critiques depuis l’indépendance et qu’il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde de l’Etat et de ses acquis ».

 Il a ajouté qu’il dispose des moyens juridiques nécessaires pour faire face à cette situation, des moyens qu’il a comparé à : « des missiles installés sur leurs bases de lancement ».

Tout le monde s’est précipité vers la Constitution tunisienne à la recherche desdits « missiles ». En effet, il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour remarquer que la majorité des obervateurs ont estimé que le Président, en évoquant l’expression « missiles constitutionnels », faisait allusion aux dispositions de l’article 80 lequel article précise : 

« En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple.

Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente. Dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le Gouvernement.

Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours. 

 Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République adresse à ce sujet un message au peuple. »

Force est de constater que l’article cité ne brille pas par sa clarté, mieux encore, dans les circonstances actuelles il pourra aboutir à un blocage puisqu’il ne porte pas dans son sillage expressément et clairement  « la solution efficace et immédiate »  au regard des tunisiens et celle conforme à leurs attentes.

Cependant, ce qui a amené la foule à se concentrer sur  les dispositions de l’article 80 c’est peut être parce le texte évoque la notion de « péril imminent ».

La question qui se pose serait donc celle de savoir ce qu’il peut être qualifié de « péril imminent » afin de permettre au Président de prendre toute mesure qu’il juge nécessaire à la sauvegarde de l’intégrité nationale et la sécurité du pays.

La Notion de « péril imminent » nous renvoie à la notion « d’urgence » qui est le caractère d’un état de fait susceptible d’entrainer, s’il n’y est porté remède à bref délai, un préjudice irréparable[1] ce qui justifie en droit civil à titre d’exemple, l’intervention du juge pour la conservation d’un droit ou la sauvegarde d’un intérêt.

En droit constitutionnel, l’urgence prend naissance d’une crise politique[2]. En effet, il peut survenir des crises politiques qu’il serait urgent de régler, dès lors qu'elles se manifestent, pour assurer la continuité de l'État.

Il est évident qu’une constitution, même la mieux pensée et rédigée, ne peut prévoir et prévenir toutes les situations d'urgence.

Incontestablement, le pays connait aujourd’hui une crise politique sans précédent après la démission du président du gouvernement. Cette crise s’est accentuée par le dépôt de la motion de censure contre le Président de l’ARP et par les sit-in observés au sein du Parlement, par les députés du PDL, qui empêchent le fonctionnement normal de cette institution.

La situation s’est aggravée davantage à la suite de la survenance de multiples altercations entre des parlementaires dont certains ont été à l’origine d’agissements contraires à la morale et à l’éthique. Au surplus, nous avons assisté à la suspension des séances plénières à maintes reprises.

Le constat est édifiant, les circonstances sont confuses!

La situation, telle qu’elle se présente, ne serait-t-elle pas à l’origine d’une crise politique ? « Un péril imminent » au sens de l’article 80 de la constitution entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

La réponse peut être par l’affirmative car « le péril imminent » ne peut se limiter à un danger extérieur ou à une menace terroriste mais à notre sens il peut être tout évènement pouvant menacer l’intégrité de l’Etat et paralysant le fonctionnement normal de ces institutions[3] et dont la continuité pourrait amener à une situation préjudiciable pour le peuple et une atteinte grave à l’ordre public.

Dans cet ordre d’idées, et si nous considérons que la crise politique actuelle que connait le pays, permet au Président de prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, il sera intéressant d’imaginer ce que pourraient bien être ces mesures surtout que la dissolution du parlement est une hypothèse écartée par le texte de l’article 80.

Les rédacteurs de la Constitution de 2014 ne pouvaient imaginer que le pays allait traverser de telles turbulences sinon on aurait trouvé une liste de mesures à même de garantir le rétablissement de l’odore.

Néanmoins, le paragraphe deuxième de l’article 80 de la Constitution avance un élément caractéristique permettant d’identifier les dites « mesures » à savoir « avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».

Il va sans dire que la mesure que pourrait prendre, éventuellement, le Président, doit obligatoirement garantir un retour à la normal dans l’hémicycle du parlement.  Ce dernier, dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer la mesure nécessaire au maintien de l’ordre et de la sécurité comme il dispose d'une latitude d'appréciation de l'opportunité de la mise en œuvre des dispositions de l’article 80 de la Constitution.

Etant le principal garant du respect de la Constitution, le Président de la République, a précisé qu’il ne restera pas « les bras croisés » face aux abus constatés par tous les tunisiens ayant amené à une situation chaotique.

Verrons-nous, dans les heures à venir, le Président agir afin de calmer le vent de fronde qui souffle sur l’assemblée des représentants du peuple ?

Sarra Ben Sedrine Chabir(Avocate)

 

[1]- G. Cornu, «Vocabulaire juridique », Association Henri Capitant, 5ème édition 1996

2-J.Robert, « les situations d'urgence en droit constitutionnel » In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 42 N°2, Avril-juin 1990. Etudes de droit contemporain. pp. 751-764;

3- Faut-il rappeler que le sit-in du PDL a causé l’annulation des élections de la Cour constitutionnelle tant attendu.

 

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