L’hommage d’Olivier Poivre d’Arvor à Leila Menchari

L’hommage d’Olivier Poivre d’Arvor à Leila Menchari

Une très grande Tunisienne est partie ce samedi 4 avril. J’ai connu Leila Menchari, à Paris, alors qu’elle était la décoratrice attitrée d’Hermès, fidèle aux quatre rendez-vous annuels de la vitrine la plus magique de la capitale, celle du 24 Faubourg Saint Honoré. Je l’ai invitée à la radio, alors que je dirigeais France Culture, j’ai partagé des moments avec elle et Jeanne Moreau, alors même que Josée Dayan réalisait un étonnant entretien entre les deux femmes: M par M, ou Jeanne Moreau et Leila Menchari. La veille de mon départ comme ambassadeur en Tunisie, fin août 2016, j’ai passé la soirée chez Azzedine Alaïa, à ses côtés, à boire et à l’écouter longtemps. Amoureux sans réserve.

Elle m’a parlé cette nuit-là de sa mère, Habiba Menchari, féministe accompli, qui savait aller plus loin dans ses engagements que Bourguiba, d’Abderrahman, son père juriste, de ces années trente à Tunis, à l’école des sœurs missionnaires d’Afrique à Carthage, dans la médina, lorsque naissant, la petite Leïla découvre un pays fait de murmures, d’ombres et de lumière. Une enfance et des voyages sur la côte, les parfums des fleurs d’oranger du cap Bon et comme elle le raconte à Michèle Gazier dans le très beau livre «Leïla Menchari, la Reine Mage», un monde de contes et de légendes «les histoires que nous racontaient ma tante, le soir, pour nous endormir, étaient parfumées d’ambre et de tabac».

Sa Tunisie natale était présente à chaque moment de sa vie et de sa création: l’amour des artisans tunisiens, les chansons à la mode, les forgerons du boulevard Bal El-Menara, les plages de la banlieue sud, alors les plus belles, où, sublime de beauté, elle va nager, puis l’Ecole des Beaux-arts de Tunis où elle est la première femme étudiante.

A peiné arrivé en Tunisie à l’automne 2016, je suis allé sur ses indications au Jardin, à Hammamet, où elle avait sa maison. Dans ce paradis végétal, dans la mémoire des grands visiteurs de la Tunisie d’avant, les Flaubert, Gide, Wilde ou Klee, elle allait rencontrer, pendant les vacances scolaires, Jean Cocteau, Serge Lifar, Man Ray, Cecil Beaton, Luchino Visconti… chez celui qui allait devenir un ami  très cher, Jean Henson, et chez qui elle apprendra le dessin, l’amour des bouquets, des compositions, des couleurs. Une maison, un Jardin, qui inspireront fortement Michel Tournier lorsqu’il écrira ses Météores.

La Tunisie, c’était son pays. Mais pour elle, les frontières n’existaient plus, elles étaient devenues des cicatrices de l’histoire. Elle se savait également française. Ferida, sa grande sœur, l’avait précédée sur la rive nord de la Méditerranée, elle l’avait naturellement suivie, pour rejoindre l’Ecole des Beaux Arts de Paris où elle restera quatre ans, sans rejoindre la Tunisie, sans son Jardin, sans les amis Eyquem, Zehrfuss… Leïla deviendra rapidement, par sa beauté et son élégance, l’égérie de Guy Laroche, et son mannequin préférée. Sa rencontre avec Annie Beaumel, la décoratrice d’Hermès, sera déterminante. Elle lui succèdera dans les années 70, et réalisera des dizaines de vitrines, dont l’exposition «Les Mondes de Leïla Menchari» nous rappellera à l’automne 2017 au Grand Palais l’extrême beauté.

Mon dernier souvenir, alors que je veux rendre un hommage affectueux à cette très grande Tunisienne, c’est cette soirée, à Aix en Provence, le 6 juillet 1998, lorsque dans la programmation du festival d’art lyrique, le metteur en scène, Marcel Bozonnet monte «Didon et Enée» d’Henry Purcell. Leila Menchari est là, dans les coulisses, elle a fait les costumes de la reine Didon, sa compatriote, une robe magnifique en étamine de laine brodée, comme ceux de tous les chanteurs et acteurs du spectacle. Un petit verre réunit les artistes à la fin de cette bouleversante représentation. Je vois, sans la rencontrer, pour la première fois, Leila Menchari, rayonnante.  Je la dévore des yeux. Elle m’aimante. De ce jour, tu resteras, Leïla, ma plus belle tunisienne, ma reine de Carthage.

Olivier Poivre d'Arvor

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