L'impertubable Kais Saied jusqu'où peut-il aller?
Quelques jours nous séparent de la fin de l’état d’exception annoncé par le président de la République Kais Saied, dans la soirée du 25 Juillet dernier, conformément à l’article 80 de la Constitution. Les mesures prises et qui concernent le gel des activités de l’ARP, la levée de l’immunité parlementaire de tous les députés et le limogeage du chef du gouvernement, ont pris de court tous les observateurs de la scène politique tunisienne ainsi que les chancelleries étrangères. Et si elles ont suscité la ferveur populaire, elles ont été mal accueilles, notamment par le mouvement Ennahdha qui a remué terre et ciel pour faire passer la thèse du coup d’état. Sans y arriver.
Au cours de ses interventions, le chef de l’Etat a toujours dressé un constat sans appel de la situation du pays qui s’enlise de jour en jour dans une crise qui a touché tous les secteurs. Une crise morale aussi qui n’a pas épargné le citoyen lambda incrédule, un citoyen déboussolé face à un paysage politique déliquescent, marqué par une sorte d’embrouillamini de plus en plus épais et par des dissensions qui approfondissent un fossé déjà béant entre les acteurs de la scène nationale dont certains ont donné, à l’intérieur de l’hémicycle, une piètre image de politiciens à la limite du « dévergondage». Une crise morale qui a eu un impact sur le comportement des Tunisiens, leur culture et leur vivre-ensemble.
Le « saveur »…
Du coup Saied, naguère brocardé, s’est hissé au rang du Messie qui va sauver le pays de la dérive, le débarrasser des malfrats et des pillards de ses richesses, avant de le remettre sur la bonne voie.
Au cours des dernières semaines, le président s’est montré très actif dans la lutte contre la pandémie. Avec l’arrivée des aides de plusieurs pays : vaccins, équipements hospitaliers, oxygène…la campagne de vaccination s’est accélérée. A la date du 18 Août 2021, près de quatre millions de personnes ont reçu au moins une dose de vaccin contre la Covid-19, soit environ 40% de la population tunisienne et l’on espère atteindre un taux de 50% d’ici fin Septembre. Ce qui place notre pays à la deuxième place en Afrique, avec un taux de vaccination total parmi les plus élevés du continent (18% à la date du 18 août), derrière le Maroc avec un taux de 32%.
Le Président a lancé une autre campagne contre la corruption et l’impunité. Elle a ciblé, presque tout le monde : hommes d’affaires, politiciens, députés, juges, hauts cadres de l’administration…Il s’est attaqué à l’épineux dossier du phosphate et plusieurs arrestations ont été opérées dans les rangs d’anciens responsables. Trois députés sont écroués, alors que d’autres, ceux d’al Karama notamment, continuent de narguer tout le monde y compris le chef de l’Etat lui-même. Et l’on ne sait trop sur leur situation.
Par contre, Ennahdha, accusé de tous les maux du pays, se trouve pour le moment épargné. Un seul de ses dirigeants, l’ancien ministre Anouar Maarouf, a été assigné à résidence surveillée. Des dossiers brûlants comme le transfert des jeunes dans les zones de conflit, les assassinats politiques, l’appareil secret du mouvement Ennahdha, l’implication de certaines parties dans le terrorisme et d’autres ne semblent pas avoir la priorité de Kais Saied. Du moins pour le moment.
D’où la déception d’une grande partie de l’opinion publique qui s’attendait à ce que les ténors du mouvement islamiste soient cloués au pilori. Sont-ils, à ce point, intouchables ?
Le président, est le symbole de l’unité nationale et il est le garant de la stabilité du pays et de son intégrité. Et c’est à ce titre qu’il n’a de cesse de le répéter. En décidant de prendre le taureau par les cornes, il a démontré qu’il n’hésite pas devant l’avenir. Il a eu le courage de prendre les décisions qu’il fallait pour sauver le pays de la dérive, redresser la situation et éviter le pire.
Pendant ce temps…
Mais attention ! Si le bon peuple vibre comme un carillon à cette chasse contre les corrompus, et appaludit à chaque déclaration du chef de l’Etat contre les comploteurs de la nuit, il risque de se réveiller demain sur une dure réalité : un pays à genoux.
La guerre contre la corruption est une guerre de longue haleine, voire une guerre d’usure. Mais elle ne saurait occulter le désastre économique et financier qui se profile à l’horizon.
Car, pendant ce temps, le pays fait face à une crise sans précédent. L’économie est exsangue à cause de la pandémie notamment, avec une dette extérieure qui a franchi le cap des 90%, le glissement du dinar qui ne pèse plus rien devant les principales monnaies, une balance commerciale largement déficitaire, une inflation qui frôle les 6% et des prix qui suivent une courbe ascendante. En plus de la montée du chômage surtout parmi les jeunes (plus de 30%) et l’appauvrissement des populations. Le budget de 2021 n’a pas encore été comblé et les négociations avec le Fonds monétaire international sont au point mort. Elles ne reprendront qu’à la suite de la formation d’un gouvernement capable de rassurer l’opinion publique nationale et internationale, et en mesure de mener des réformes courageuses.
Les Tunisiens qui ont souvent comparé leur pays à « un bateau ivre au milieu de fleuves impassibles », celui que décrivait Rimbaud dans son poème qui porte le même titre et publié en 1871, un bateau sans maître, chahuté par les flots, qui risque de couler, semblent avoir trouvé en l'imperturbable Kais Saied, un maitre à bord. Mais le « sauveur », ne doit pas s’occuper des vétilles.
Le chef de l'Etat a ouvert plusieurs fronts. Mais en a-t-il les moyens? Car, un homme seul, fut-il le très intègre Calife Omar, à qui il s'identifie, ne saurait résoudre tous les maux du pays. Et gouverner seul.
B.O
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