Loi sur la réconciliation économique: Pourquoi ne pas remettre tout à plat dans le respect de la Constitution ?

Loi sur la réconciliation économique: Pourquoi ne pas remettre tout à plat dans le respect de la Constitution ?
Par Dr Hamouda Ben Slama
 
Je pense réellement que ce projet contesté ne passe pas, même si sur le plan de l’arithmétique électorale il a bien au contraire toutes les chances d’être voté et adopté par le Parlement où une majorité confortable semble être en sa faveur ; donc en toute logique il passerait …
 
Mais mon propos se place non pas à ce niveau, bien que la finale doit se jouer à l’ARP, mais plutôt au niveau politique où controverses et polémiques se manifestent à ce sujet à tel point qu’adopter ce projet dans un tel climat de divisions et de tiraillements serait perçu comme un passage en force.
 
Et là évidemment ça ne passe pas ; ce ne serait ni convaincant ni consensuel qu’une initiative d’une telle ampleur, qui vise la réconciliation nationale, initiée qui plus est par le Président de la République, divise au lieu de rassembler et que l’on doit recourir pour la faire passer à la règle de la majorité et de la minorité !...
 
Parce ce que tout passage en force dans la situation actuelle encore critique qui prévaut dans notre pays, même si l’habillage démocratique y est, devrait être évité car il porterait les germes de l’exacerbation des tensions et des réactions …
J’affirme d’emblée en ce qui me concerne que ni le moment ni l’approche ne me semblent opportuns et adéquats pour présenter ce projet de loi qui souffre en plus d’un défaut de pédagogie et de communication.
 
Evidemment, la réconciliation nationale reste malgré tout un objectif majeur. Je rappelle que nous étions bien peu nombreux juste après la Révolution à avoir eu le courage d’essayer d’en faire valoir la nécessité et l’utilité pour rétablir la concorde nationale. Nombreux parmi les protagonistes d’aujourd’hui, défenseurs et détracteurs de ce projet réunis, étaient à l’époque dans le même camp hostile à toute idée de réconciliation qui rivalisaient de tentatives et d’initiatives visant l’exclusion, l’ostracisme et la tentation des punitions collectives et revanchardes … Heureusement que ce climat malsain semble être révolu et que l’on rivalise à présent pour la réconciliation nationale dans le cadre du processus de la justice transitionnelle .
 
On nous rétorquait lorsque nous appelions à la réconciliation nationale qu’il fallait la concevoir et la concrétiser dans ce cadre de la justice transitionnelle pour laquelle un ministère a été mis en place juste après les élections de 2011.
 
Seulement ce processus piétine depuis le début et se révèle extrêmement lent ; la Loi qui l’a instauré en décembre 2013 a pris un retard de deux ans à cause de querelles politiques partisanes stériles ; nombre de ses dispositions souffrent de lacunes qui en rendent problématique la bonne application. Et comme si ces difficultés qui entravent le processus, dont la réconciliation est partie prenante et ultime, ne suffisaient pas, voici que l’Instance en charge du processus la fameuse IVD, est elle aussi au centre de controverses et contestations qui en affectent la bonne marche …
 
Pendant tout ce temps, plus de quatre ans, des compétences nationales parmi les hauts cadres de l’Administration, les opérateurs économiques publics et privés, des entreprises tant nationales qu’étrangères installées en Tunisie, les investisseurs et les promoteurs, attendent eux aussi et piétinent ; le climat délétère et les suspicions souvent injustes et injustifiées dont ils ont été victimes notamment durant les premiers mois après la Révolution ont bloqué l’initiative économique et financière . Il est vrai à cet égard que le point fort positif de toute Loi visant la réconciliation économique serait la levée de ce verrou effectif et psychologique afin que les opérateurs ainsi que leurs partenaires étrangers soient libérés des contraintes qui hypothèquent depuis des années leurs projets et leurs initiatives. 
 
Seulement, et au lieu de penser logiquement à amender et à améliorer dans ce sens la Loi organique de la justice transitionnelle, voici qu’arrive ce projet qui est lui aussi lacunaire et susceptible de rentrer en compétition stérile avec l’actuelle Loi et l’IVD, bien que ses initiateurs s’en défendent et estiment qu’il est plutôt en complémentarité avec la Loi sur la justice transitionnelle .
 
Compétition ou complémentarité entre ce projet et la Loi sur la justice transitionnelle ? Ce seul questionnement traduit un déficit flagrant de communication devant précéder et accompagner la mise sur orbite de ce projet . A cet égard l’on est en droit de s’interroger sur le silence assourdissant de la majorité censée supporter le projet pour s’assurer non pas tant l’adhésion des élus que celle des relais habituels de l’opinion publique, des sceptiques et des opposants …
 
Ce silence traduirait-il une gêne perceptible au sein même de certaines franges des partis politiques de la majorité supposés défendre le projet ? 
 
La pédagogie fait elle aussi défaut dans l’accompagnement des travaux de promotion du projet . Les défenseurs du projet  qui en parlent semblent préférer l’attaque et le déni à la limite du dénigrement de leurs adversaires, en les qualifiant par exemple de pseudo révolutionnaires, de personnes de mauvaise foi ou encore de ‘blessés des élections’… Cette stratégie de l’arrogance ne convient pas et ne peut être que contre productive ; ne serait-il pas plus adapté de faire preuve d’humilité, de modestie voire d’autocritique pour instaurer un dialogue franc et respectueux avec les autres ?.
 
L’approche pédagogique lorsqu’on défend un projet que l’on sait contesté c’est de respecter les critiques, de ne pas personnaliser et à la limite de tolérer que l’on vous dise vous avez tort même si vous avez raison. Mais c’est peut être trop demander à des acteurs politiques qui ne semblent pas avoir réalisé qu’ils ont changé de statut, qu’ils sont maintenant au pouvoir, et dont la vocation est de rassembler, transcender, arbitrer… Il est temps que certains se mettent à la hauteur de leur tâches … 
 
Ceci étant , et tout en rappelant que c’est au sein de l’ARP que cette question sera finalisée et que les députés sauront se mettre à l’écoute des arguments et aussi des craintes des uns et des autres tels qu’exprimés surtout en dehors de son enceinte, un ensemble de propositions en lien avec l’état de la question pourraient contribuer à rapprocher les points de vue et infléchir les antagonismes  :
 
1-Il convient de prendre le temps de la concertation, de la négociation et de la recherche de ce fameux consensus qui nous a permis ces derniers temps de mettre un terme à des blocages et crises politiques entravant le processus de la transition démocratique et induites notamment  par la bipolarisation de la vie publique .
 
2-Etant donné que l’exposé des motifs du projet en question se réfère à la justice transitionnelle et déclare être en conformité avec l’article 148 de la Constitution et la Loi sur la justice transitionnelle, et étant donné que cette loi ainsi que le projet sont lacunaires ; pourquoi ne pas imaginer un amendement de la loi et qui inclurait les dispositifs du projet améliorés et expurgés des anomalies qui font l’objet de nombreuses critiques dont notamment celles ayant trait à la Commission de réconciliation prévue par l’article 3 et au défaut de recours des décisions de la dite commission prévue par l’article 5 du projet ?...
 
3-Concomitamment il faudrait s’entourer des garanties nécessaires pour que les bénéficiaires de cette réconciliation ainsi que les candidats à l’enrichissement illicite et facile avec l’argent indument pris au contribuable ne puissent plus se dire :  « avec cette loi on efface tout et puis...on recommence » ! Il faut mettre un terme au processus de corruption et empêcher les tentations du retour aux pratiques mafieuses et spéculatives qui ont gangréné le système économique et financier et l’Administration pendant des décennies. S’engager résolument dans la lutte contre la corruption et en faveur des réformes structurelles telles que la réforme fiscale, la réforme du système bancaire et financier notamment dans le secteur public, la réforme de l’Administration, etc…sont les principaux garants à mettre en place pour sécuriser l’opinion publique . 
 
L’argument le plus fort des détracteurs de ce projet est incontestablement cette crainte, ô combien justifiée et légitime, de voir cette loi non pas uniquement affranchir des voleurs mais en plus et surtout leur permettre de voler de nouveau ! Il convient de sécuriser vite et fort et de faire de telle sorte que la loi, quelle que soit la formule qui serait adoptée, soit claire et ferme à cet égard ; et dans tous les cas le législateur devrait s’aménager des voies de recours possibles car la confiance absolue ne règne pas ;  il faut le comprendre…
 
En définitive, ce projet, aussi limité soit-il, est à mon avis le premier test important en matière de respect de la Constitution et des Instances Constitutionnelles, qu’il convient de mettre à l’abri de toute tentation et tentative de stigmatisation et d’instabilité institutionnelles. La crédibilité de la Constitution doit rester le principal garant et le pôle de référence de la deuxième République.
Dr Hamouda Ben Slama