L’université tunisienne et le marché du travail: deux mondes parallèles

L’université tunisienne et le marché du travail: deux mondes parallèles

Par Dhouha Nasri

L’employabilité et la productivité de la main d’œuvre sont deux piliers incontournables  du schéma de développement économique du pays. Elles représentent des défis majeurs pour les entreprises dans leurs plans d’investissements, d’expansion et d’internationalisation. 

Avec la montée du nombre des diplômés du supérieur chaque année, l’université  s’impose comme la source principale des ressources humaines sur le marché de l’emploi. Cependant, et depuis plusieurs années, le système éducatif tunisien souffre d’une série des dysfonctionnements majeurs impactant la qualité de produit offert et par conséquent la performance de l’appareil productif et les perspectives évolutives du marché de l’emploi. 

Le talon d’Achille de ce système reste l’inadéquation structurelle entre les profils demandés par les entreprises et les compétences des diplômés de l’enseignement supérieur. Ce gouffre qui pèse lourdement sur l’université, les diplômés et les entités économiques a fait l’objet de plusieurs études et des pistes de réformes, mais l’efficacité de ces mesures reste limitée à l’aune du taux de chômage élevé et de l’insatisfaction d’entreprises de la qualité des diplômes offerts sur le marché de l’emploi.

L’université tunisienne : machine à produire des diplômes

Suite à la démocratisation de l’enseignement en Tunisie, le taux de scolarisation a augmenté considérablement touchant ainsi tous les niveaux d’instruction. Entre 2011 et 2018, le nombre des diplômés actifs a augmenté en moyenne et par trimestre de1.449%.Cette stratégie de la massification de l’enseignement supérieur a été conjuguée à une déconnexion quasi totale entre l’université et le monde du travail.

La résultante directe de ces deux caractéristiques était le décalage quantitatif et qualitatif structurel qui existe entre le produit du système d’enseignement et les exigences du marché de l’emploi : alors que le nombre des postes d’emploi créés est de l’ordre de 63 mille emplois (moyenne annuelle entre2006-2015),le nombre des chômeurs a dépassé 600 mille personnes dont 30.5% sont des diplômés de l’enseignement supérieur(insérer schéma).

Les compétences et le savoir-faire de ce sureffectif de demandeurs d’emploi ne correspondent souvent pas aux besoins d’entreprises qui sont devenues de plus en plus exigeantes pour des raisons de productivité et de compétitivité. 

Victimes d’un système d’apprentissage régi par des méthodologies classiques et en complète déconnexion avec la réalité économique et les mutations que subit le marché de l’emploi, les diplômés de l’enseignement supérieur souffrent d’un manque cruel des compétences nécessaires pour l’insertion du monde professionnel : les méthodes d’enseignement classiques leur ont coûté la rigidité et le manque de souplesse dans la gestion de leur carrière. 

Trop attachés à leurs domaines de spécialisation, ils n’acceptent pas l’exploration d’autres pistes professionnelles afin d’acquérir des nouvelles capacités et aptitudes et élargir leur champ d’apprentissage. La focalisation accrue sur les notions théoriques et la marginalisation des aspects pratiques est la raison principale derrière l’incapacité des demandeurs d’emploi à s’insérer facilement dans le monde de l’entreprise et être productifs dans un laps du temps réduit. 

Alors que les besoins d’entreprises et les exigences du marché de l’emploi sont en train de subir des changements radicaux à cause de la progression technologique et la numérisation de l’appareil productif, l’université est restée enfermée sur elle-même et  incapable d’intégrer ces nouvelles notions dans le processus de développement du capital humain. 

Les étudiants ne savent pas grand-chose sur le monde professionnel et les stages qu’ils font sont souvent improductifs et ne leur permettent pas, dans la plupart des cas, de se doter des qualifications nécessaires pour la réussite professionnelle et la gestion de carrière. La formation fournie par l’université se limite au volet technique et n’accorde aucune importance au développement des compétences personnelles, appelées aussi soft skills comme la communication, le sens d’adaptation, le pouvoir de négociation, le travail en équipe, l’esprit critique et l’innovation.

Ces capacités sont devenues, aujourd’hui, des critères de sélection primordiaux lors des  entretiens d’embauche car elles reflètent la prédisposition  du candidat à la contribution au développement de l’entreprise et à  la création de la valeur ajoutée.

Le rôle de l’université : S’ouvrir pour réformer

Depuis plusieurs années, il y a une  prise de conscience générale de l’importance de la sortie de l’université de sa bulle et de son ouverture sur le monde professionnel à travers l’établissement des liens avec les entreprises  et l’organisation des journées portes ouvertes pour aider les étudiants à avoir une idée claire sur les perspectives professionnelles de leurs domaines de spécialisation et les profils demandés par les entreprises ainsi  que des conseils pour la préparation aux entretiens d’embauche. 

Cependant, ces mesures restent ponctuelles et n’entrent pas dans le cadre d’un dynamisme réformateur structurel et durable. L’université devrait faire participer les entreprises dans l’élaboration des programmes et des méthodologies d’enseignement pour réduire le gap entre les besoins du marché du travail et le produit du système éducatif. 

Faire coïncider les connaissances inculquées aux étudiants avec les qualifications demandées par les entreprises permettrait aux diplômés d’avoir une visibilité sur leur avenir professionnel et de développer des compétences et des personnalités adaptées aux postes souhaités. Le partenariat entre l’école ESPRIT et les sociétés spécialisées dans le domaine IT comme  VERMEG et SUNGARD pour le développement des compétences des ingénieurs est un bon exemple à suivre.

L’autre piste sur laquelle l’université devrait agir est la promotion de la culture de l’entreprenariat et son intégration dans le cursus de l’enseignement pour toutes les spécialités. La coopération avec le ministère de l’éducation dans ce sens est primordiale : l’entrepreneuriat et l’initiative privée devraient être enseignés à partir de niveau primaire pour initier les élèves aux notions de l’innovation, de la réflexion « out of box » et de la prise de risque. Le développement des capacités entrepreneuriales des étudiants devrait être une finalité stratégique pour libérer les diplômés de l’emprise de l’emploi salarial et leur donner d’autres perspectives de carrière. 

Etablir des partenariats avec le tissu associatif pour faire intégrer les étudiants dans ce monde et les aider à sortir de leur zone de confort et contribuer au développement de leur communauté à travers le travail sur des projets à vocation multiples :Le travail associatif permettrait aux étudiants d’acquérir des compétences personnelles qui leur faciliteront par la suite l’insertion professionnelle.
 

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