« Men Qaa el Khabia » : le patrimoine musical tunisien revisité à la manière Garfi

 « Men Qaa el Khabia » : le patrimoine musical tunisien revisité à la manière Garfi

La 59e édition du Festival international de Carthage s’est ouverte le 19 juillet à l’amphithéâtre romain avec un spectacle d’exception : « Men Qaa el Khabia », dirigé par le maestro Mohamed Garfi, en présence de la ministre des Affaires culturelles, Amina Srarfi.

Fidèle à son intitulé – littéralement « sorti du grenier » –, le concert s’est donné pour mission de faire revivre des morceaux oubliés du patrimoine musical tunisien, fruits d’un patient travail de recherche et de restauration.

Malgré une affluence modérée, le public présent a chaleureusement accueilli le maestro et docteur Mohamed Garfi, à la tête de l’Orchestre symphonique tunisien, tous vêtus de noir, accompagnés d’une chorale aux voix harmonieuses. Ensemble, ils ont ouvert la soirée avec des airs emblématiques tels que « Slem el Bey », « Wedoouni », et « Yeli boadak dhayaa fekri ».

Le comédien Jamel Madani a assuré le fil narratif du spectacle, invitant les spectateurs à un voyage musical à travers les décennies, ponctué de souvenirs et d’émotions. La Troupe nationale des arts populaires, en costumes traditionnels renouvelés à chaque tableau, a enrichi l’expérience par des chorégraphies rythmées, en parfaite symbiose avec la musique.

Quatre grandes voix de la scène tunisienne se sont ensuite succédé, interprétant avec justesse et sensibilité des titres intemporels.
Meherzia Touil a ouvert la marche avec « Zaama ysaffi eddahr », une œuvre de Mohamed Triki sur des paroles de Mahmoud Bourguiba.
Hamza Fadhaloui a repris deux classiques de Hédi Jouini, « Eli taada w fet » et « Hobbi yetbadel yetjadded », largement repris en chœur par le public.
En invité d'honneur, Chedly Hajji a soulevé l’enthousiasme de l’auditoire avec « Eli me yaarafch l’hob » avant d’interpréter « Sidi Bou Saïd » d’Ali Riahi.
Quant à Chokri Omar Hanachi, il a revisité « El fajr leh » de Mohamed Jamoussi et « Sea Hnia » de Hédi Jouini.

Entre les performances, Jamel Madani a offert des intermèdes poétiques et humoristiques, en puisant dans les textes savoureux d’Ali Douagi en dialecte tunisien. Il a également interprété deux chansons au ton satirique, agrémentées d’une touche théâtrale qui en a accentué l’ironie.

Le programme a également mis à l’honneur des compositions méconnues ou oubliées de Kaddour Srarfi, Abdelhamid Slaiti, Mohamed Garfi lui-même, ainsi que des frères Rahbani.
Un moment particulièrement émouvant fut l’interprétation en duo de « Omri w omrek » de Kaddour Srarfi par Hamza Fadhaloui et Meherzia Touil. Ensemble, ils ont également livré « Nachid al Hayat », célèbre poème d’Abou El Kacem Chebbi, mis en musique par Abdelhamid Slaiti.

Le concert s’est achevé sur une note poignante avec « Sayf fal Yoch’har », interprété collectivement par les trois chanteurs. Ce final a résonné comme un hommage vibrant à la résilience du peuple palestinien, exprimant son refus de céder au désespoir malgré les tragédies de la guerre.

Sur les écrans géants, les visages des auteurs et compositeurs ont défilé, dévoilant au public les figures emblématiques qui ont façonné l’histoire musicale de la Tunisie. Un hommage visuel a également été rendu aux femmes rurales, à travers des images d’ouvrières agricoles projetées en grand format, ainsi qu’à la cause palestinienne, illustrée par des clichés de manifestations de solidarité.

Ce concert intergénérationnel a su conjuguer respect du patrimoine et modernité d’interprétation, faisant revivre certaines des plus belles pages de l’histoire artistique tunisienne. Chaque morceau a été l’occasion d’une redécouverte, un instant suspendu qui rend hommage à celles et ceux qui ont inspiré et enrichi la musique tunisienne au fil du siècle passé.

À travers ce spectacle, le Festival de Carthage réaffirme une fois encore que le passé, loin d’être figé, peut vibrer avec intensité dans le présent — et que notre mémoire musicale, si riche et parfois méconnue, peut encore émouvoir et inspirer les jeunes générations.

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