Mezri Haddad: «Un démocrate ne peut pas cautionner un coup d’Etat »

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Depuis un mois, il ne se passe une semaine sans qu’il ne soit au centre de l’actualité, que ce soit en Tunisie ou en France. Il y a eu d’abord le procès qui l’oppose à la chaîne qatarie Al-Jazeera, ensuite sa déclaration sur France24, selon laquelle le général Rachid Ammar a été contraint à la démission par Rached Ghannouchi, ce que Rafik Abdessalem a démenti.

Il y a eu, depuis une semaine, son « Appel en 7 points », vieux d’une année, que les réseaux sociaux se partagent massivement, compte tenu des événements qui viennent de se produire en Egypte.

Plus grave que tout cela, il y a eu récemment  le confidentiel d’Afrique-Asie suivant lequel Mezri Haddad aurait rencontré il y a deux mois deux officiers de l’armée tunisienne, aux frontières d’un pays voisin.

L’ancien ambassadeur qu’on ne présente plus à nos lecteurs, a bien voulu répondre à nos questions pour clarifier point par point tout ce dont on l’accuse, à juste titre ou exagérément.

Comment s’est déroulé le procès en diffamation que la présentatrice d’Al-Jazeera, Khadija Benguenna a intenté contre vous ?

Il s’est déroulé comme je m’y attendais, puisque la Justice française est sérieuse et indépendance. Le Tribunal a examiné la plainte de cette personne représentée par ses trois avocats, et il a écouté mes arguments ainsi que la plaidoirie de mon avocat. L’affaire a été renvoyée à septembre prochain et je ne m’inquiète plus du tout quant à son dénouement.

Indépendamment de ce procès, c’est à Al-Jazeera de se faire des soucis quant à la baisse vertigineuse de son audience, aux démissions en cascade de ses journalistes et correspondants, au renvoi et à l’humiliation de Youssef Qaradaoui, et à la purge que va bientôt affecter Al-Jazeera, suite à la déchéance de Hamad Bin Khalifa et Hamad Ben Jassim, que j’espère voir juger par un tribunal pénal international, pour crime contre l’humanité en Irak, en Libye et en Syrie. En attendant, j’espère la fermeture des bureaux en Tunisie de cette chaîne de propagande islamo-terroriste.

Dans une interview à Attounyssia, Rafik Abdessalem a publiquement démenti vos déclarations sur France24 au sujet du départ de Rachid Ammar. Qu’en pensez-vous ?

Je n’en pense rien du tout ….Je maintiens et réitère ce que j’ai déclaré, à savoir qu’avec la complicité active de Moncef Marzouki, Rached Ghannouchi a obligé le général Ammar à quitter le bateau ivre tunisien pour le confier à la protection des marabouts ! Le président très provisoire et le chef des Frères musulmans en Tunisie savent très bien ce qu’ils font.

Votre « Appel en 7 points » qui remonte à un an semble retrouver son actualité après le coup de force de l’armée égyptienne contre Mohamed Morsi. En clair, il s’agit d’un appel au putsch, ce que beaucoup de Tunisiens ne souhaitent pas. Etes-vous toujours sur la même position que l’année dernière ?

Etes-vous si sûr d’abord que la majorité des Tunisiens ne souhaite pas retrouver la souveraineté, la sécurité et l’honneur de leur pays ? Ce sont mes adversaires et les ennemis de la Tunisie qui y ont vu un appel au putsch, mais pas les patriotes qui assistent au naufrage de leur pays. Dans ma déclaration du 13 juin 2012, j’ai en effet appelé nos forces armées à prendre le pouvoir, à constituer un gouvernement provisoire de coalition nationale, en attendant d’organiser dans les six mois des élections législatives et présidentielles sous le contrôle exclusif des Nations Unies.

J’ai appelé à la dissolution immédiate de l’assemblée constituante, qui est une escroquerie à tous points de vue. C’est exactement ce que les Egyptiens ont osé faire récemment, en dépit du fait que Morsi a été démocratiquement élu, à l’inverse de Marzouki, et qu’ils ont adopté une nouvelle constitution contrairement à l’auberge espagnole du Bardo. Je constate d’ailleurs que Béji Caïd Essebsi est aujourd’hui sur la même longueur d’onde que moi il y a une année. Il n’est pas plus putschiste que moi !

« J’étais en Algérie pour des raisons familiales mais rien ne m’empêche de rencontrer des officiers »

Certes, M.Béji Caïd Essebsi a récemment appelé à la dissolution de l’Assemblée Constituante, à la dissolution des ligues de protection de la révolution et à l’organisation d’élections démocratiques, mais il n’a jamais appelé les militaires à prendre le pouvoir.     

Je n’ai pas appelé l’armée à prendre le pouvoir mais à stopper le déclin du pays, à rétablir l’ordre républicain, à restituer la Souveraineté nationale, à mettre un terme à la faillite économique de la Tunisie, et à constituer un gouvernement provisoire, en attendant d’organiser des élections réellement démocratiques et transparentes. Je ne suis pas un putschiste et je rejoins tout à fait Ahmed-Néjib Chebbi lorsqu’il déclare, au sujet de l’Egypte, qu’un démocrate ne peut pas cautionner un coup d’Etat. C’est parce que je suis comme lui un démocrate, mais un peu plus cohérent que lui, que j’ai dénoncé le coup d’Etat du 14 janvier 2011 en Tunisie, et celui du 11 février 2011 en Egypte ! Ce qui a été pris par le mensonge, la manipulation des masses et la désinformation, a été repris de la même façon. Je parle du cas égyptien. En Tunisie, où le coup de force de l’armée était plus légitime qu’en Egypte, j’appelle toujours à la dissolution de l’assemblée constituante et au remboursement par les « élus » du trop perçu depuis le 23 octobre 2012, date à partir de laquelle cette assemblée est illégale et illégitime.

J’appelle à la dissolution des ligues de protection de la « révolution » et à leur remplacement par une ligue de « Protection de la réconciliation nationale » dans laquelle aucun parti ne doit être exclu, à commencer par le parti destourien. J’appelle à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques. J’appelle enfin à des élections législatives et présidentielles dans les plus brefs délais. C’est à ces conditions qu’on éviterait à notre pays la somalisation annoncée par le général Rachid Ammar avant sa mise à la retraite.

Puisque vous n’êtes pas un putschiste, pourquoi avez-vous rencontré deux officiers de l’armée tunisienne, si l’on en croit le magazine Afrique-Asie, dont vous n’avez d’ailleurs pas démenti le confidentiel ?

J’ai déjà répondu à un journal algérien que rien ne m’empêche de rencontrer des officiers pour parler de musique, de poésie et de philosophie. C’est pour des raisons familiales que j’ai effectué ce déplacement en Algérie.

« Je n’ai pas d’ambition politique et je ne suis pas derrière Tunisie Secret »



Vous êtes l’une des rares personnalités de l’ancien régime à n’avoir pas disparu de la circulation. Franchement Monsieur Haddad, quelles sont vos ambitions politiques ?

Je sais qu’après la « révolution » dite du jasmin, beaucoup ont souhaité ma mort politique et même physique. D’abord, je ne suis pas de l’ancien régime mais de l’ancien peuple. Sans le moindre regret, j’ai servi un Etat souverain dont le régime n’était certes pas démocratique mais patriotique, depuis 1956. Je l’ai servi en tant que libre penseur réformiste, politiquement et idéologiquement indépendant des partis, des associations, des chapelles et des ONG. Maintenant, pour ce qui est de l’ambition politique, je rassure mes ennemis que je n’en ai aucune. Sur 11 millions d’habitants, il y a 1 million qui veut devenir président, 2 millions qui veulent devenir ministres, 3 millions qui veulent devenir ambassadeurs, et les 5 millions restants, espèrent devenir des hommes d’affaires. J’ai choisi de rester dans un domaine où il n’y a pas de concurrence : celui de l’écriture et de la réflexion philosophique.

Lorsqu’on fume trois paquets de cigarettes par jour, on ne peut pas avoir des ambitions politiques ! Le combat que j’ai mené seul depuis deux ans, contre les traîtres, les islamo-fascistes et le puissant Qatar, c’est ma conscience bourguibienne qui me l’a dicté. Où sont les deux cheikhs Hamad aujourd’hui ? Dans la poubelle de l’Histoire en attendant le Tribunal pénal international pour les crimes commis en Irak, en Libye et en Syrie, ainsi que pour leur soutien au terrorisme. Tous les acteurs de la politique tunisienne depuis janvier 2011 ont pensé que « من تنصره أميركا فلا غالب له ». J’ai toujours pensé que « من ينصره اٱله  فلا غالب له ». Ils doivent savoir maintenant, mieux vaut tard que jamais, que le nationalisme est plus fort que l’islamisme. Au grand dam des impérialistes et des néocolonialistes, les stratèges américains viennent de s’en apercevoir en Egypte. Je vais le dire avec la même franchise que votre question : tant que la Tunisie n’aura pas retrouvé sa souveraineté et que tous les mercenaires du Qatar et des autres puissances occidentales n’auront pas disparu de la scène politique, je m’y maintiendrai.

Pour m’avoir personnellement connu à l’époque de mon exil contre Ben Ali, Ghannouchi, Marzouki et Ben Jaafar connaissent mon obstination et ma capacité de résistance. Je considère que l’avenir appartient aux jeunes et à eux seuls. Je soutiendrai tous les jeunes qui ont du sang patriotique dans les veines. Moi, je n’aspire à rien du tout. Contrairement aux imposteurs de l’islam, obsédés par l’argent et le pouvoir, mon royaume n’est pas de ce monde.

Dernière question qu’aucun journal n’a osé vous poser jusqu’à présent, mais que certains tunisiens se posent : êtes-vous derrière Tunisie-Secret ?

Je ne suis ni derrière, ni devant, ni à gauche, ni à droite de Tunisie-Secret. Je sais qu’un ramassis de cybers-collabos, ceux-là mêmes qui ont été formatés par Freedom House, Open Society et Canvas-Otpor, essaye de propager cette rumeur. Ce site d’information et d’opposition a été créé par des jeunes, dont deux ont été de mes étudiants au début des années 1990, à l’université de droit Paris2-Assas. Je connais toute l’équipe qui, en moins de deux ans, a fait un travail remarquable malgré quelques erreurs déplorables.

J’ai pour eux une grande estime, non seulement parce qu’ils ont été les premiers à me défendre lorsque tout le monde s’est mis à mon lynchage, mais parce qu’ils sont patriotes et bénévoles. Ceux qui ont assisté au procès qui m’oppose à Al-Jazeera ont pu voir et discuter avec Karim Zmerli, Lilia Ben Rejeb et Samira Hendaoui. Ils me consultent pour avoir mon opinion sur tel ou tel sujet, je la leur donne et ils en font ce qu’ils veulent. Je vous souhaite, ainsi qu’à mes compatriotes un Ramadan purificateur et pas du tout boulimique. 

 

Propos recueillis par C. M.