Mornag : pourquoi l’Etat veut-il réaliser une route à travers des terres irriguées contre le gré des citoyens ?

Mornag : pourquoi l’Etat veut-il réaliser une route à travers des terres irriguées contre le gré des citoyens ?

Depuis 2014, des habitants et des agriculteurs de la région de Mornag, gouvernorat de Ben Arous ont formulé des objections concernant le tracé de la route de ceinture du Grand Tunis dans sa partie traversant leur région.

Dès lors, ils ont lancé divers mouvements avec le concours d’organisations nationales dont on peut citer l’Union Tunisienne de l’Agriculture, le Syndicat des Agriculteurs et d’autres organisations de la société civile.

Ils n’ont pas manifesté leur rejet catégorique de ce projet national qui présente sans nul doute des avantages pour ses usagers, mais leurs objections concernaient les trois tracés proposés par le bureau d’études italien en partenariat avec un bureau tunisien du fait que ces tracés n’étaient pas réalistes et qu’ils allaient causer de graves dommages pour les habitants et notamment les agriculteurs, ainsi que pour l’économie nationale.

La route traverse en effet le périmètre irrigué qui assure presque 30% des fruits sur le plan national dont particulièrement les pêches et les raisins de table, d’après les représentants des parties concernées. Celles-ci affirment que la route envisagée (dans sa partie concernant la région de Mornag) va prélever 1000 hectares de leurs terres irriguées situées dans la plaine de Mornag qui a été créée autour du Canal Medjerda/Cap Bon pour lesquelles l’Etat a dépensé des milliards pour leur mise en valeur et leur équipement en matériel d’irrigation, outre le renouvellement de leurs canalisations qui démarrera à la fin de l’année en cours.

Ce qui est surprenant et plutôt étrange d’après certains, c’est que l’étude a été faire à travers Google-Maps sans enquête sur le terrain. En effet selon le bureau d’études, il s’agit de « terres impropres aux cultures sur lesquelles on trouve quelques équipements ».

L’étude supposée n’a pas pris en compte les incidences sociales et économiques pouvant résulter de la réalisation du projet dans sa configuration actuelle. Une étude complémentaire a été réclamée dans le but de l’éloigner du périmètre irrigué. Cette étude a été effectuée par le bureau d’études qui a proposé un nouvel itinéraire longeant la montagne.

Cette proposition s’est révélée raisonnable, car elle évitait tout préjudice et tout problème ne présentant un intérêt pour personne. Les parties concernées déplorent qu’on cherche à compliquer les choses alors que la logique voudrait qu’elles soient simplifiées au vu des solutions et des propositions concrètes avancées, lesquelles ont fait l’objet de correspondances adressées aux autorités concernées, ainsi de réunions tenues avec toutes les parties impliquées dans la réalisation du projet, particulièrement le gouverneur de la région, les ministères de l’Agriculture et de l’Equipement et les députés de la région.

Ces derniers avaient déclaré qu’ils n’approuvaient pas un projet qui causerait de graves préjudices aux agriculteurs et à l’économie nationale. Mais ce qui est vraiment troublant, c’est que le nouveau directeur régional de l’équipement, selon nos interlocuteurs, a blâmé les parties intéressées en leur disant textuellement : Pourquoi vous ne nous aviez pas adressé des correspondances ? , alors qu’en fait les courriers et les contacts directs n’ont pas été interrompus depuis 2014.

Ceci pose des interrogations : si un responsable change, n’y a-t-il pas de continuité de l’Etat, ou bien le responsable emporte-t-il avec lui les dossiers en dehors de l’administration où il exerce ?

De plus, toujours selon nos interlocuteurs, l’ancien gouverneur de Ben Arous était le seul haut responsable de ce rang en Tunisie à avoir signé un décret d’expropriation de force alors qu’il avait rassuré les citoyens que le projet ne se ferait pas aux dépens du périmètre irrigué à n’importe quel prix.

Le président du groupement de la zone sud de Mornag a précisé d’ailleurs à titre d’exemple que le ministère de l’Agriculture refuse que le projet traverse une partie des terres domaniales alors qu’il « incite avec enthousiasme » pour que le tracé travers les terres des particuliers.

Il a affirmé aussi que la différence de coût entre l’itinéraire auquel l’autorité est attachée et celui proposé (adjacent à la Montage) n’est pas élevé puisqu’il ne dépasse pas les 50 millions de dinars en ce qui a trait au coût financier et à peu près 7 kilomètres supplémentaires sur la route envisagée.

Par un simple calcul, il a démontré que l’Etat serait le premier bénéficiaire du changement du tracé. En effet l’autorité publique serait amenée à débourser pas moins de 80 millions de dinars (L’Etat ayant fixé le prix de l’hectare de terre fertile à 80.000 dinars alors qu’il vaut 200.000 dinars, alors que la superficie à exproprier contre le gré de leurs propriétaires s’élève à 1000 ha).

En revanche, si le nouveau tracé est agréé, l’Etat ne débourserait que 50 millions de dinars tout en préservant la zone irriguée. De ce fait l’Etat ferait un gain de 30 millions, indépendamment du fait qu’en s'éloignant du périmètre irrigué on évitera les tensions et la confrontation avec les citoyens qui ressentant l'injustice et l'iniquité, ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté de tout faire pour défendre la source de leurs revenus, leur gagne-pain et celui de leurs familles.

N’eut été l’intermédiation de certains «sages» qui œuvrent à apaiser les esprits parce qu’ils croient toujours que la porte du dialogue peut conduire à une solution qui satisfasse tout le monde, les choses auraient pu dégénérer.

En résumé, ces citoyens tunisiens ne demandent qu’à l’État d’écouter sérieusement leurs propositions, qu’ils considèrent comme les plus bénéfiques et les plus satisfaisantes pour tous. Ils ont bon espoir que l’État ne va pas s’obstiner à imposer un projet d'intérêt national, qui conduira à une catastrophe sociale s'il est mis en œuvre dans son état actuel.

Il existe des solutions raisonnables et des propositions qui sont finalement dans l’intérêt de tous, il suffit de prendre en compte les intérêts de ces citoyens, car au final ils ne sont pas isolés de l’intérêt général du pays mais sont au centre de ses préoccupations.

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