Nous voulons un Etat fort, juste et équitable, est-ce trop demander ?

 Nous voulons un Etat fort, juste et équitable, est-ce trop demander ?

 

Le Tunisiens sont inquiets, très inquiets. Ce ne sont pas les nouvelles alarmantes sur la propagation du coronavirus qui les inquiètent tant. Ceci est un fléau que la nature leur impose et il finira par s’estomper, même si cela prendra du temps et aura des incidences parfois dramatiques qu’il faut tout faire pour alléger.

Ce qui les inquiète le plus et les rend abasourdis, désarçonnés pour ne pas dire complètement désappointés c’est l’état de leur Etat si on peut dire les choses comme ça. C’est cette entité abstraite mais tellement concrète à leurs yeux qui leur donne de véritables tourments, d’ineffables soucis.

L’Etat, notre maison commune

L’Etat c’est la tente sous laquelle ils s’abritent. C’est la maison commune qui les rassemble. C’est le symbole fort qui leur confère une identité, le ciment qui les unit malgré leurs différences, leur diversité et leur dissemblance et surtout le lien qui fait qu’ils partagent les mêmes joies et les mêmes peines.

C’est cette chose si rare qui donne à la patrie, ce pays de pères, son contour et ses dimensions mais aussi ses lois et ses règlements. Pour un vivre-ensemble pas nécessairement codifié, mais surtout librement et totalement assumé. Les Tunisiens ont mal à leur Etat car il s’agit d’une entité séculaire, qui est le produit d’une histoire ancienne.

Malgré les vicissitudes de l’existence et les aléas de la vie, l’Etat sur cette terre millénaire remonte à des temps immémoriaux. La première constitution jamais déployée par l’homme y a été rédigée et elle reçut l’estime d’Aristote l’un des plus grands penseurs que le monde occidental ait jamais connu. C’est tout dire !

Un Etat malmené, tourmenté

Cet Etat est malmené par les Tunisiens de la plus haute hiérarchie jusqu’au bas de l’échelle par des comportements, des propos et des gestes qui accumulés peuvent mener à sa déliquescence, à son effritement si on n’y prend pas garde. Au sommet de l’Etat, le président de la République, choisi par trois électeurs sur quatre et qui continue de bénéficier d’une popularité qui ne se dément guère, au lieu d’être le fédérateur, le symbole d’un Etat uni et indivisible agit comme un chef de clan.

Dans ses discours il y a « eux » et « nous », les premiers agissant dans les chambres noires, complotant, diffusant des mensonges et des calomnies à tour de bras, alors que lui et ses partisans sont dans la pureté, la probité, l’honnêteté la plus scrupuleuse. En un mot, il y a d’un côté le mal absolu et de l’autre le bien le plus total. Alors que le monde est dans la nuance, Kaïs Saïed semble ne pas accepter le gris de la société.

Agit-il pour autant pour que le bien triomphe du mal. Rien n’est moins sûr puisqu’il semble en campagne électorale permanente, n’ayant pas concédé qu’il est désormais le président de tous les Tunisiens. Ceux-ci attendent de lui des actes, des décisions, des gestes, des initiatives qui viennent améliorer leur quotidien, leur offrir des perspectives, dégager l’horizon si sombre à leurs yeux. Il ne peut invoquer ses prérogatives limitées pour se défiler, car il jouit de ce que tous les hommes d’Etat recherchent, l’adhésion d’une large majorité de ses concitoyens.

Le gouvernement chargé de la conduite des affaires de la nation n’est pas en meilleure posture. Alors qu’il est censé être le chef de la majorité parlementaire et disposer de l’autorité qui en découle, le chef du gouvernement et ce n’est pas le cas de Hichem Mechichi seulement, ne bénéficie que d’une autorité théorique sur son équipe par le force des choses hétérogène. Ni lui, ni ses prédécesseurs n’ont eu le loisir de choisir leurs collaborateurs.

Par les errements d’un régime politique hybride, sinon bâtard, le locataire de la Kasbah qui est le chef en titre de l’exécutif n’a de choix que d’être sous la coupe du président de la République qui l’a désigné dans ses fonctions par le jeu de « la personnalité la plus apte » ou celle d’une majorité au Parlement qui peut à tout moment lui retirer sa confiance. Il n’est pas non plus à l’abri d’être l’otage des partis et blocs parlementaires, si ceux-ci veulent monnayer leur soutien sans lequel il ne peut pas faire adopter les lois et initiatives qu’il veut mettre en œuvre.

Une Assemblée écartelée !

L’Assemblée des représentants du peuple dont le rôle est central en régime parlementaire est de son côté écartelée entre plusieurs groupes qui ne forment ni une majorité solide, ni une opposition crédible. Au gré des moments et des circonstances, les majorités se font et se défont autour de projets et d’idées.

Mais ce que l’opinion publique retient du travail du Parlement ce sont les chamailleries, les disputes, les altercations, les querelles et surtout les marchandages d’un « mercato » à coup de centaine de milliers de dinars selon le témoignage d’un député qui pour sérieux qu’il ait été n’a fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire.

Les partis politiques qui en forment l’ossature et qui ont pour fonction d’organiser et d’encadrer la vie politique sont de leur côté totalement discrédités. Les Tunisiens ne leur prêtent aucune attention tant ils sont persuadés qu’ils n’agissent que pour leurs intérêts étriqués et non dans l’intérêt supérieur de la communauté.

Un autre pouvoir est venu encore compliquer les choses et rendre la gouvernance du pays plus complexe. Il s’agit du pouvoir local qui agit en toute indépendance et parfois en dehors du regard de l’autorité publique.

On vient d’ailleurs de prendre conscience des dysfonctionnements qui peuvent découler de cette situation à l’occasion d’un événement tragique survenu à Sbeitla du gouvernorat de Kasserine, celui de la mort d’un homme sous les décombres de son « kiosque » construit de façon anarchique. Alors que la décision de démolition a été prise par le président du conseil municipal, ce sont le gouverneur, le délégué, le chef de secteur de la sûreté et le chef du poste de la police municipale qui ont été sanctionnés.

Il s’agit à n’en point douter d’une tragique bavure consécutive à un sérieux dysfonctionnement des services de l’Etat. Le chef du gouvernement a-t-il bien fait de limoger tous ces responsables ? La question mérite d’être posée car on voit mal dans l’avenir de hauts cadres de l’Etat prendre des décisions de cette nature qui risquent de retourner contre eux. L’immobilisme et l’inertie ne sont-ils pas de cette façon encouragés. Surtout lorsque des sanctions aussi fortes sont prises, à chaud, dans le feu de l’action sans enquête au préalable qui aurait dû être menée pour connaitre le fin-fond des choses.

Quid de la cohésion nationale ?

Si tel est l’état de l’Etat, si l’on peut s’exprimer ainsi peut-on s’étonner que la cohésion nationale soit mise à mal. Que l’unité de l’Etat soit contestée. Que des voix s’élèvent çà et là pour mener à un fractionnement de cette entité si chère qui constitue la patrie et dont l’Etat est le gardien de ses institutions et le garant de son indépendance et de sa souveraineté.

Les deux exemples que constituent le blocage de la production de phosphates dans le Bassin minier de Gafsa et la fermeture de la vanne d’expédition de la TRAPSA qui achemine le pétrole de la région de Tataouine vers le port de la Skhira sont emblématiques de la situation d’incapacité de l’Etat à mener ses fonctions économiques, sociales et régaliennes. Car dans ces deux dossiers ses différents aspects se tiennent.

Puisque des entreprises économiques sont à l’arrêt et risquent la faillite. Des travailleurs sont au chômage ou menacés de perdre leur emploi du fait de ces agissements. De même la sécurité n’est pas assurée puisque les droits au travail, au déplacement et à la jouissance des ressources nationales ne sont pas garantis.

Ces deux dossiers sont de véritables épreuves de la capacité de l’Etat à prendre le dessus. L’Etat ne négocie pas, il exerce ses fonctions. Il ne conclut pas des accords, il impose sa loi. S’il ouvre des brèches, c’en est fini de son autorité. Car s’il s’engage dans l’engrenage, rien de bon n’en sortira et l’exemple risque de faire tâche d’huile ce dont tout le pays souffrira. Une reprise en main est plus que nécessaire avant qu’il ne sera trop tard.

Le brigandage n’est plus toléré

Il s’agit rien moins que du brigandage même s’il n’est pas commis avec violence comme le terme l’induit, car il peut mener à de fâcheuses conséquences. Si Gafsa veut s’approprier le phosphate et Tataouine le pétrole puisqu’ils se trouvent dans leur sous-sol, qui peut empêcher le Nord-ouest qui est le château d’eau de la Tunisie de priver le reste du pays des ressources aquifères.

On peut multiplier les exemples à l’envi pour se retrouver en fin de compte dans un pays morcelé et une patrie divisée en autant de fractions que d’entités économiques, sociales sinon tribales et ethniques. C’en serait fini avec la patrie indépendante et souveraine et d’un Etat uni et indivisible.

Ce dont nous avons besoin ce n’est pas de fractions de patrie, ni d’un Etat morcelé. Les Tunisiens sont attachés à leur patrie pour laquelle nombre d’entre eux se sont sacrifiés afin qu’elle puisse conquérir de haute lutte son indépendance et sa souveraineté. Ils ne peuvent accepter que leur Etat se dépérisse ni qu’il entre en déliquescence.

C’est un Etat fort qu’ils veulent construire même si cela va leur en coûter. Un Etat fort, c’est surtout un Etat respecté, un Etat où chacun a sa vraie place. C’est un Etat juste qu’ils ambitionnent de mettre en place. Car une justice véritable est le gage que l’arbitraire, les abus, le favoritisme pour ne citer que ceux-là n’ont point de place dans la société. C’est enfin un Etat équitable qu’ils appellent de leurs vœux. Un Etat où la probité, l’impartialité et la droiture sont au-dessus de toute autre considération.

Pourquoi ne pas faire que ces valeurs cardinales soient satisfaites, quand bien même on peut rétorquer que la société de la vertu n’est pas de ce monde. Mais à contrario, ce serait le dépérissement de l’Etat, ce dont personne n’en sortira indemne.

RBR

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