Pacte européen sur la migration et l’asile: l’illusion de la forteresse imprenable

Pacte européen sur la migration et l’asile: l’illusion de la forteresse imprenable

 

Les Européens ont démontré à travers ce Pacte que la question migratoire ne répond désormais plus à aucune prérogative à part celle d’entretenir une illusion. L’illusion de l’union et que l’efficacité administrative et l’expulsion systématique des migrants économiques auront raison de la volonté des femmes et hommes qui bravent le danger à la recherche d’un avenir meilleur.

Non satisfaits d’avoir largement dominé l’élaboration du Pacte Mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, pour le réduire à sa version minimaliste, les pays européens se taillent un nouveau pacte sur mesure. L’UE confirme le choix de traiter le dossier migratoire dans une logique de crise migratoire permanente et de criminalisation des migrants et ce malgré les dénonciations des organisations de droits humains du Nord et du Sud et de toutes les consultations en œuvre ces dernières années. Une surenchère qui s’inscrit dans la continuité des logiques populistes et qui, cette fois, érige sans complexe un nouveau slogan : « Pour plus de cohésion, plus d’expulsions ».

Le Pacte prend la forme d’un message destiné aux européens et aux non européens : avec force et intransigeance, ils finiront par comprendre et se détourner de nous ! Comme si le réfugié qui fuit la guerre ou la misère allait se raisonner face à l’efficacité administrative et l’uniformisation des procédures. Qu’à cela ne tienne, cette intransigeance sera imposée par la force avec le concours des pays d’origine car ils n’auront pas d’autre choix (s’ils veulent des visas et continuer à entretenir des échanges économiques avec nous en d’autres termes). Un chantage, d’une violence inouïe encore inconcevable il y a 20 ans, désormais justifier sans complexe pour « prémunir l’UE de l’imprévisible ». Une recette dont seuls les fonctionnaires européens ont le secret pour faire perdurer une politique migratoire jusqu’au boutiste largement dopée au populisme et à la peur. L’imprévisible est pourtant figé dans la logique actuelle : une fois dressée face à l’humain une frontière entièrement militarisée, il ne restera que la répression et la violence d’Etat.

Ce qui est alarmant, c’est que ces mesures interviennent au moment où les pays d’Afrique vont subir les répercussions d’une crise économique et sociale d’une ampleur jamais connue et que l’UE exigera et imposera à ces pays d’empêcher la mobilité humaine. En tant qu’organisations de droits humains, nous faisons le constat que la situation va se dégrader d’une manière vertigineuse dans les mois et années à venir et la pression (ou l’entente) entre dirigeants du Nord et du Sud ni fera rien car ils seront incapables d’apporter des réponses aux femmes et hommes à la recherche de dignité. La pression sociale et la colère vont aller crescendo au risque de nous faire basculer dans la violence et l’autoritarisme et la logique sécuritaire et militaire au cœur de ce Pacte ne fera qu’aggraver la situation. Mais rassurez-vous, nous continuerons à accueillir votre élite et les talents utiles !

Le Pacte européen n’est pas une politique migratoire en soi, il n’y aucune mise en relation transversal des enjeux économiques et sociaux, aucune mise en relation entre l’intérieur et l’extérieur de l’Europe, aucune prise en considération des intérêts des pays voisins. Il prend la forme d’une boite à outils interne ayant pour but de perfectionner une tendance déjà amorcée, à la recherche d’une cohésion politique artificielle qui restera fragile et au bon vouloir des populistes. Le système de « parrainage » des expulsions, ADN du lien solidaire entre pays européens, ne suffira pas.

Il suffit de se tourner un instant vers le Nord pour comprendre la vitesse à laquelle nous allons assister à la détérioration de la situation. Le Brexit ouvre une brèche au cœur de l’Europe avec une Grande Bretagne qui désormais exigera de la France les mêmes choses que l’Italie à la Tunisie. A une distinction près, le rapport de force n’est pas le même et la négociation, sur fond de revanche de « no deal », sera probablement extrêmement violente. Une violence que les migrantes et les migrants, réduits à de simples figurants dépourvus de droits fondamentaux, paieront au prix fort.

Désormais, les migrants qui arriveront à mettre le pied en Europe ne seront pas considérés être en Europe. Ils feront l’objet à la frontière d’une procédure de filtrage à vitesse grand V qui ne s’encombrera pas des détails pour trancher les décisions, permettant aux Etats de déroger aux conventions de droit international qui s’appliquent. Cela donne également une idée sur la militarisation de ces centres de « tri » vers laquelle nous nous acheminons pour réduire à néant les éventuelles évasions de migrants, argument mis en avant pour évaluer l’efficacité du système.

La cohésion des pays européens ne tiendra qu’à une seule condition : un niveau de coopération élevé de plusieurs pays du Sud de la Méditerranée. L’architecture du Pacte n’est possible que si les pays d’origine et de transit endiguent le maximum d’arrivées sur le territoire européen pour éviter la saturation des centres et des procédures de « parrainage ». Les couloirs des chancelleries des pays d’Afrique vont raisonner aux pas des délégations et autres ministres européens en visite « d’amitiés » pour exiger les accords de réadmission en échange d’hypothétiques canaux de migration choisie. Dans certains cas, la délocalisation de ces centres de « tri » dans les pays tiers sera mise en œuvre et mon pays la Tunisie, jeune démocratie du Sud, sera inévitablement sur la liste des candidats forcés.

Pour conclure, le pacte n’est pas une politique en soi, juste une valise de procédures pour améliorer le contrôle externe des frontières, une sorte de système de gestion de crise migratoire permanente. Quel que soit la version finale du document et même s’il ne répond pas aux exigences des pays européens exposées en première ligne, il est déjà acquis que sa crédibilité auprès des membres reposera exclusivement sur le principe d’expulsion de toute personne en situation irrégulière. Un principe qui sera appliqué aux frontières et inévitablement, par contamination, aux sans-papiers qui ont réussi à pénétrer la forteresse.

Un dernier point, aucune information sur les budgets que représentent les dépenses que vont engendrer les retours systématiques, la militarisation des centres, la mobilisation des forces sécuritaires des pays du Sud, les moyens à la disposition du Return Coordinator au sein de Frontex et de son réseau de partenaires dans les pays voisins. La dimension financière du Pacte ne semble constituer qu’un détail car en situation de guerre, la cohésion européenne n’a pas de prix.

Sami Adouani – Membre du bureau directeur du FTDES

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