Périodicité des crimes terroristes en Tunisie : Complexité de gestion d’une transition inachevée

Périodicité des crimes terroristes en Tunisie : Complexité de gestion d’une transition inachevée

Presque le même scenario se reproduit périodiquement en Tunisie depuis plus de deux ans, faisant état de dégâts surtout humains, et semble-t-il, il s’agit de l’incapacité à y faire face. En même temps, les mesures simplistes et les propos de compassion ne sont malheureusement pas utiles, car le problème n’est pas si simple.

Je crois que les solutions de facilité, dites urgentes mais précipitées et donc insuffisamment réfléchies, telles que celles limitées aux ‘’raccourcis sécuritaires’’, seraient en dehors de l’actuel contexte de transition et préparent non seulement le terrain fertile à l’endurcissement du terrorisme, pas nécessairement uniquement religieux, mais aussi légitimeraient le retour en force de l’étau serré contre les libertés. Elles pourraient être regrettables au vu de leurs impacts irréversibles. Ceci est plus que démontré par l’histoire. Certes, il ne s’agit pas de sauver vainement la saison touristique, car le terrorisme pourrait s’attaquer à la récolte agricole ! Il s’agit de la coordination entre toutes les institutions en place : éducation, famille, media, marché  de l’emploi,…pour mettre en place une stratégie de sécurité nationale intégrée tant attendue. Cependant, je serais tenté de positionner d’abord le problème.

A l’évidence, les crimes sanglants ayant sévi en Tunisie  profitent au moins à ceux qui :

(1) visent le perpétuel état d'instabilité dans le monde arabe : surtout dans les pays ayant revendiqué le renversement de la dictature, il s’agit presque du même scenario avec des ampleurs différenciées.  Le corollaire en est l’état auto-entretenu d’instabilité socio-politique empêchant les populations d’emprunter le sentier de développement légitime dans ses dimensions multiples : difficulté de gestion des revendications sociales urgentes, des flux migratoires transnationaux bouleversant le statu quo et affectant la délimitation souveraine des frontières nationales, de gouvernance interne, de transactions commerciales internationales, de reformes structurelles nécessaires, de processus de démocratisation. La Tunisie n’en fait pas exception depuis 2011.

(2) se vengent contre la diplomatie étrangère tunisienne : la Tunisie ne devrait pas être prise en dehors d’une cible géostratégique entrainant des intérêts complexes. La simultanéité des trois attentats en Tunisie, en France et au Koweït en est une illustration. Faire face alors aux intrusions terroristes par le seul moyen sécuritaire au sens strict du terme (décisions partielles et administratives), pourrait être limité voire inefficace car cette démarche requiert aussi (i) une augmentation de la capacité institutionnelle en la matière, (ii)  une modernisation du système  gouvernance des dispositifs sécuritaires, (iii) une coordination ferme avec les pays voisins et donc une diplomatie étrangère professionnelle, (iv) une réelle légitimité de la classe dirigeante pour être soutenue par la population. Ceci bien entendu pourrait être réalisé par des politiques crédibles ne creusant pas le fossé entre le discours et les faits, (v) une campagne médiatique patriotique soutenant les valeurs de la révolution ô combien omises, valorisant leurs jeunes auteurs, et insistant sur l’importance de ses acquis.

(3) veulent exporter la crise économique imminente en l'absence de mesures concrètes : il est clair que la situation économique se dégrade partiellement-indépendamment des coups terroristes. La tendance (lourde) défavorable de la croissance économique, de la valeur du dinar, de l’emploi des jeunes, du pouvoir d’achat et des déficits courant et public, face à une inaction notoire de la part des décideurs économiques et sociaux : pas de mesures de régulation conjoncturelles annoncées faisant face aux fragilités macroéconomiques observées, pas de loi de finance alors qu’on est déjà au troisième trimestre, pas de lecture claire sur le développement régional, pas d’initiative de la part des chefs d’entreprises pour recruter chacun UN SEUL haut diplômé rien qu’en guise d’investissement dans la démocratie, pas de solidarité concrète entre les représentativités influentes ( UTICA, UGTT, ..). Ceux-ci  s’ajoutent aux dossiers habituellement lourds à gérer pendant la transition (la justice transitionnelle,…). Ces handicaps et ce retard de mise en œuvre des reformes annoncées pourraient être camouflés par ces actes terroristes et relégués à une  attente d’imputation.

En somme, faire face au terrorisme pendant la transition ne se réduit pas à une package de décisions de courte portée, inspirées du temps révolu. C’est une manœuvre collective, possible à orchestrer quand elle est prise dans son contexte approprié.

Par Professeur Ali Chebbi