Projet de loi de finances 2026 : une lecture préliminaire critique du professeur d’économie Ridha Chkandali

Projet de loi de finances 2026 : une lecture préliminaire critique du professeur d’économie Ridha Chkandali

À quelques jours  de la présentation officielle du projet de loi de finances 2026, le professeur d’économie Ridha Chkandali livre une première lecture. Pour lui, le texte, tel qu’il circule actuellement, le projet manque de clarté, de cohérence et surtout de vision.

Un document incomplet et une transparence absente

L’universitaire souligne d’emblée que cette lecture reste « préliminaire », en attendant la version finale accompagnée des hypothèses économiques et des résultats d’exécution budgétaire jusqu’à fin septembre 2025.
Or, à ce jour, les chiffres officiels publiés ne vont pas au-delà de mars, un retard que le professeur juge « incompréhensible » à l’approche de la fin de l’année.
Si la version transmise aux députés est bien celle diffusée dans les médias, avertit-il, « la situation est préoccupante ». Dans ces conditions, le Parlement ne serait pas en mesure de débattre sérieusement des objectifs ni des politiques du projet, « à supposer qu’il en contienne réellement ».

Un texte déconnecté du nouveau plan 2026-2030

Selon Ridha Chkandali, le projet de loi de finances 2026 aurait dû marquer une rupture avec les exercices précédents. Il s’inscrit pourtant dans la continuité d’une logique budgétaire classique, sans prise de risque ni orientation nouvelle.
Or, cette année revêt une importance particulière : elle correspond à la première année de mise en œuvre du nouveau plan économique et social 2026-2030, censé fixer les grandes orientations de l’État pour les cinq prochaines années.
« Une première année de plan doit démarrer avec force, par des politiques audacieuses capables de provoquer un sursaut dans une économie engluée depuis trop longtemps dans la stagnation et l’inflation », insiste l’économiste.

Absence de coordination entre les ministères

Plus grave encore, Chkandali constate une absence totale de cohérence entre les trois documents censés guider l’action publique : le plan quinquennal, le cadre macroéconomique et la loi de finances.
Cette incohérence révèle, selon lui, un manque de coordination entre le ministère des Finances et celui de l’Économie et de la Planification, chacun travaillant dans son couloir sans concertation.
Il appelle la Présidence du gouvernement à assumer pleinement son rôle de chef d’orchestre pour rétablir l’harmonie et la complémentarité entre les différents départements ministériels.

Des ambitions déconnectées des moyens

Ridha Chkandali déplore un fossé béant entre les ambitions affichées et les moyens proposés. « Les objectifs sont placés très haut, mais les politiques censées les atteindre sont faibles et incohérentes. C’est comme vouloir aller sur la Lune avec une charrette », ironise-t-il.
Certes, le texte reprend des slogans chers au président de la République, tels que la souveraineté nationale et l’autonomie économique, mais il échoue à les traduire concrètement.
Pour l’économiste, les rédacteurs du projet semblent d’ailleurs conscients de cette contradiction : « ils se contentent d’accompagner les mots d’ordre officiels sans y croire vraiment ».

Un rôle social réduit et mal conçu

Le volet social du projet de loi se limite, selon lui, à trois mesures principales :

L’emploi dans la fonction publique, notamment pour les diplômés chômeurs, les contractuels et les enseignants suppléants.
Or, avertit-il, le véritable emploi créateur de richesse se situe dans le secteur privé, pas dans un appareil administratif déjà hypertrophié.
La fonction publique, devenue un « fardeau » pour la collectivité nationale, freine désormais l’investissement et l’initiative privée. Certains observateurs parlent même d’un « parti de l’administration » pour désigner son pouvoir d’inertie.

La hausse des salaires pour la période 2026-2028, décidée sans véritable dialogue social.
Le ministère des Finances pourrait, selon lui, limiter ces augmentations sous prétexte de préserver les équilibres budgétaires, sauf si le président impose une revalorisation significative.
Pour Chkandali, il faut surtout rompre avec la logique inflationniste du duo « hausse des prix — hausse des salaires » et plutôt améliorer la qualité et le coût des services publics (santé, éducation, transport). « C’est la seule voie pour redonner un véritable pouvoir d’achat aux citoyens », souligne-t-il.

Le soutien aux régimes de sécurité sociale à travers une série de nouvelles taxes : sur les enregistrements fonciers, les recharges téléphoniques, les jeux, les factures des grandes surfaces, etc.
Ces taxes multiples, explique-t-il, traduisent « l’incapacité de l’État à s’attaquer aux causes structurelles du déficit des caisses sociales ».
L’État, rappelle-t-il, est lui-même l’un des principaux débiteurs de ces caisses et de plusieurs entreprises publiques comme la STEG ou Tunisair, qu’il devrait pourtant soutenir par l’exemple.

Un financement périlleux et une logique dangereuse

Mais le point le plus préoccupant, selon le professeur, reste le choix du financement du budget.
Le projet prévoit en effet un emprunt direct d’un montant équivalent au déficit budgétaire — soit 11 milliards de dinars — pour boucler l’exercice 2026.
Une option qu’il qualifie de « mésaventure périlleuse », car elle risque d’accentuer la crise de liquidité, d’assécher le financement du secteur privé et de détourner les fonds vers les dépenses publiques au détriment de l’investissement productif.
Dans un contexte où l’épargne nationale est déjà très faible, ce mécanisme reviendrait à « priver le secteur privé de ses ressources naturelles pour les transférer à l’État ».

Un risque majeur pour la croissance

Pour Ridha Chkandali, le véritable danger de cette approche est de vouloir substituer les entreprises communautaires au secteur privé plutôt que de les envisager comme des acteurs complémentaires.
« Cette logique va à l’encontre de l’intérêt national. Elle risque de bloquer la croissance et d’étouffer la création de richesse productive », conclut-il.

Traduction & développement par Esapace Manager

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