Qalb Tounes : les dessous d’une implosion qui couvait déjà

Qalb Tounes : les dessous d’une implosion qui couvait déjà

L’annonce de la démission de onze députés du groupe parlementaire de Qalb Tounes a sonné comme une onde de choc pour les observateurs de la vie politique nationale. La liste comprend notamment le président du groupe Hatem Mliki et le vice-président du parti Ridha Charfeddine. Pour ceux qui connaissent le fonctionnement du parti de Nabil Karoui, cette implosion était en l’air depuis quelque temps. L’implosion couvait depuis plusieurs semaines. Les choses ont commencé à se gâter juste après l’annonce des résultats du second tour de l’élection présidentielle qui a vu Kais Saied remporter largement le scrutin devant Nabil Karoui, à peine sorti de la prison. Donné favori, avant son arrestation rocambolesque, il a subi un véritable lynchage tout le long de la campagne et son parti en a pâti, alors qu’il était donné largement en tête dans les législatives. Mais au final Qalb Tounes n’a remporté que 38 sièges se contentant de la deuxième place derrière le mouvement Ennahdha avec 52 sièges.

Au cours de son épreuve, Nabil Karoui a été soutenu et défendu becs et ongles par les siens. Quelques membres de son parti et ses proches se sont particulièrement distingués et ont monté au créneau pour faire face à la campagne virulente qui l’a visé : sa femme Salwa Smaoui, son porte-parole Hatem Mliki, son soutien Ridha Charfeddine et le chroniqueur attitré de Nessma TV Khalifa Ben Salem. Et même s’il a accepté, à son corps défendant, le résultat de la présidentielle, évitant de se pourvoir en appel devant le Tribunal administratif, Nabil Karoui  n’en garde pas moins une rancœur contre ceux qu’il estimait lui avoir coupé la route de Carthage en sortant à chaque fois un dossier accablant. Après avoir retrouvé ses esprits, il s’est consacré à son parti dont l’instance politique, composé de douze membres choisis par lui, se devait d’approuver ses choix. Les consultations pour la formation du gouvernement Habib Jemli lui a permis de se positionner comme un acteur majeur de la situation, malgré l’opposition du mouvement Ennahdha, surtout.  Le chef du gouvernement désigné et qui a été proposé par Ennahdha avait fini par intégrer dans son équipe des candidats non encartés proposés par Qalb Tounes, promettant de faire entrer d’autres au premier remaniement.

Et alors que le groupe parlementaire du parti devait voter la confiance au gouvernement Jemli, un coup de théâtre s’est produit. Son ennemi juré Youssef Chahed, longtemps accusé d’être à l’origine de son emprisonnement, l’a rencontré et l’a convaincu de faire tomber le gouvernement pour éviter l’hégémonie du mouvement Ennahdha. Et de s’entendre sur un autre candidat qui serait proposé au président de la république. Ce candidat ne devrait surtout pas être Fadhel Abdelkéfi, mais il pourrait être l’ancien ministre des finances Hakim Ben Hammouda. Cette rencontre en tête à tête n’a pas plu à certains ténors du parti, dont Hatem Mliki et Ridha Charfeddine qui voulaient cautionner le gouvernement Jemli. Après une longue nuit de débat, à la veille de la plénière consacrée au vote de confiance au gouvernement, il a été décidé de n’accorder aucune voix à l’équipe Jemli qui, finalement, n’a pas passé.

Mais Karoui et consorts ont été surpris de la proposition d’Elyès Fakhfakh par le mouvement Tahya Tounes à la primature et le soutien que lui a apporté Youssef Chahed qui, encore une fois, a joué un vilain tour à son ennemi juré. Le refus de Fakhfakh, fortement soutenu par le chef de l’Etat, d’intégrer Qalb Tounes dans son gouvernement a fini par discréditer Nabil Karoui aux yeux de certains ténors de son parti qui ont décidé boycotter toutes les réunions de l’instance politique et du conseil national. Le premier à avoir gelé sa participation est Imed Dérouiche, suivi par d’autres. On lui  avait entre-temps proposé de se retirer momentanément de la direction du parti pour se consacrer à ses affaires judiciaires, ce qui le grandirait aux yeux de l’opinion publique. Refus net. De leur côté, Hatem Mliki, remplacé par Sadok Jebnoun au poste de porte-parole, et Ridha Charfeddine n’assistent plus aux réunions du groupe parlementaire en présence de Karoui. Ils avaient auparavant proposé d’accorder quelques voix, en cas de besoin, au gouvernement Fakhfakh et de lui apporter un soutien implicite pour l’intérêt du pays. Et de ne pas entrer en confrontation directe ni avec le président de la République ni avec le chef du gouvernement.

Peu à peu Nabil Karoui a éloigné les personnalités jugées encombrantes et qui pourraient lui faire de l’ombre. Le dernier en date est Khalifa Ben Salem, longtemps proche de lui, et contre qui il s’est fendu d’un communiqué assez virulent qui a déplu à beaucoup.

La goutte qui a fait déborder le vase a été le rejet de l’adoption du projet de loi organique relatif à la convention fondatrice de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lors d’une plénière tenue le 5 mars 2020.

On reproche à Nabil Karoui de gérer le parti comme on gère une entreprise et de se faire entourer de « béni ou-oui ». Et de vouloir imposer son agenda personnel en se positionnât dans une opposition systématique, même quand l’intérêt supérieur de la nation est en jeu.   Les démissionnaires entendent exprimer le refus des positions politiques de Qalb Tounes envers le gouvernement et la présidence de la République. Et un rejet de la gestion actuelle du parti.

Et maintenant que faire ? Karoui a jusqu’à lundi prochain pour dissuader les démissionnaires de se rétracter. Or, ces derniers sont, semble-t-il, décidés de partir. Mais où ? Former un groupe parlementaire ? Fusionner avec le bloc de la Réforme ? Créer un nouveau parti ? Rien n’est clair pour le moment…

 

 

 

Votre commentaire