Quatre ans après, faut-il réviser la Constitution ?

Quatre ans après, faut-il réviser la Constitution ?

Quatre ans après, faut-il réviser la Constitution ?

Il y a quatre ans jour pour jour, la Tunisie s’est dotée d’une nouvelle Constitution fruit d’un consensuel général entre les différentes parties, politiques et de la société civile. C’était le 27 janvier 2014 à l’aube quand les constituants avaient adopté le nouveau texte par 200 voix pour, 12 contre et une seule abstention. Applaudie par les Tunisiens et saluée dans le monde entier, la nouvelle Loi fondamentale a inauguré une nouvelle ère dans l’histoire de la République tunisienne laquelle ère a commencé par l’organisation des élections législatives et présidentielles qui ont permis pour la première fois une alternance pacifique dans le pouvoir digne des grandes démocraties. Toutefois, à peine entrée en application, elle se trouve déjà contestée et des voix se sont élevées pour appeler à son amendement, alors que d’autres pensent qu’il est encore trop tôt pour y toucher.

Dans un Spécial de 10 pages, le journal la Presse a célébré, ce samedi 27 janvier, à sa manière le 4ème anniversaire de la Constitution. Il a donné la parole à plusieurs experts, d’éminents professeurs de droit et à quelques Constituants et a, notamment interviewé le président e l’Assemblé Nationale Constituante Mustapaha Ben Jaafar. Ce dernier défend son « produit » qu’il considère comme un texte « sacré indemne de tous les griefs ».  « Cette Constitution qui a été saluée un peu partout dans le monde pour son contenu progressiste et même avant-gardiste, vaut surtout par son caractère participatif et consensuel », at-il souligné. Il regrette que quatre ans après l’adoption de la Constitution, nous fonctionnons encore dans le cadre des dispositions transitoires avec l’article 148, qu’aucune des institutions prévues par la Constitution n’a été mise en place à part l’Isie qui a précédé la Constitution ».

Les appels à la révision de la Constitution, sont, pour le député Habib Khdher, qui en a été le rapporteur général sont « prématurés » et « sonnent comme une volonté de défendre un point de vue qui était déjà là avant même l’adoption de la Constitution. A peine la Constitution adoptée que certains ont demandé sa révision ». Et d’expliquer « certains se focalisent sur le régime politique. Ils pensent, en effet, que le régime politique s’arrête au pouvoir exécutif. Leur problème s’arrête en la définition des prérogatives du chef du gouvernement et celles du président de la République. Le régime politique ce n’est pas cela, il est beaucoup plus large. Dans le régime politique tunisien il y a 5 pouvoirs. Dont au moins deux ne sont pas encore entré en vigueur : Le pouvoir local, les instances constitutionnelles, le pouvoir judiciaire (absence d’une Cour Constitutionnelle). Dans ces conditions, comment peut-on se permettre d’évaluer le régime politique ? C’est la même orientation précipitée de sortir avec une évaluation négative, afin de pousser vers l’amendement de la Constitution. Je ne crois pas que cela serve les intérêts de la transition démocratique dans notre pays ».

En face de lui, le professeur de droit public, Ridha Jenayeh pense « la Constitution souffre, dès l’origine, de plusieurs maux qu’il faudra bien penser à corriger si on veut lui permettre de répondre à sa fonction première qui est de réaliser l’idée de justice et d’assurer un fonctionnement régulier des pouvoirs réguliers.  Les maux dont il sera question en raison du cadre limité de cette présentation seront circonscrits à l’ambiguïté des dispositions relatives au modèle sociétal et aux déséquilibres des pouvoirs générés par une organisation défectueuse des pouvoirs publics ».  Il explique qu’à « la lecture du préambule de la Constitution et des principes généraux , on se rend compte que le pouvoir constituant  n’a pas voulu trancher la question explosive de la place de l’Islam au sein de l’ordre constitutionnel, source de divergences irréductibles entre les forces politiques et des fracture profondes au sein de la société ». Il s’est, en effet, contenté  d’éluder le problème afin de dégager un consensus affirmant une chose et son contraire dans les différentes dispositions consacrées à cette question  : l’attachement du peuple aux préceptes de l’Islam, mais aussi aux principes universels des droits de l’Homme dans le Préambule, l’affirmation de la Tunisie en tant qu’Etat libre et souverain, mais aussi le caractère civil de l ’Etat fondé sur la citoyenneté et la souveraineté du peuple (Article

L’ancien ministre de la justice, le professeur de droit Hafedh Ben Salah, se demande « Faut-il, aujourd’hui, regretter la constitution du 1er juin 1959 ? La nouvelle constitution a-t-elle réussi à encadrer l’exercice du pouvoir politique, à contenir le malaise politique et à surmonter les difficultés institutionnelles ? Quel est son apport ? Quels sont les reproches qui lui sont adressés ? Sont-ils assez pertinents pour nécessiter une révision constitutionnelle même prématurée ? ». Pour lui, « la constitution de 2014 a été votée dans l’enthousiasme général par une majorité très confortable ( 200 voix pour, 12 voix contre et 4 abstentions ). C’est un texte consensuel, issu d’une large concertation tournée vers les partis politiques, les organisations nationales, les ordres professionnels, l’université ainsi que les associations. Il consacre des valeurs universelles de première importance et instaure un climat de tolérance et de liberté. Toutes les aspirations ont trouvé leur place naturellement ou bien sous la pression des protestataires ». De nouveaux concepts comme « l’Etat civil et démocratique, le traitement humain du détenu ou encore le procès équitable et la libre administration des collectivités locales » ont fait leur entrée dans le texte de la constitution, exprimant ainsi l’adhésion sans réserve des constituants aux standards internationaux ». Il critique le manque de sérieux de députés actuels qui a considérablement détérioré l’image de l’ARP. D’aucuns se demandent aujourd’hui si cette assemblée peut assumer les graves fonctions qui lui ont été confiées par la constitution ». Toutefois, a-t-il affirmé, « la suprématie de la constitution est confortée par une procédure de révision assez bien verrouillée. Il faut que l’initiative de révision soit soumise à l’avis de la Cour constitutionnelle et que la révision soit adoptée à la majorité des deux tiers. Si le Président de la République le souhaite, il peut soumettre la révision au référendum (article 144) ».

Le professeur Rafaa Ben Achour va plus encore en préconisant la mise en place d’un « régime plus efficace ». Il pense que « la nouvelle Constitution n’a pas redonné à la Tunisie la stabilité politique espérée. En effet, et à la fin de l’été 2017, la Tunisie a connu un énième épisode d’instabilité gouvernementale, témoignant à sa manière d’un dysfonctionnement constitutionnel ». Pour lui, « l’agencement constitutionnel des pouvoirs présente de sérieuses lacunes qu’il est nécessaire de combler. Il est urgent de repenser l’hybridation du régime politique et de rééquilibrer les rapports entre les deux pouvoirs institués par la Constitution avec omnipotence de l’organe parlementaire. Non seulement, le régime politique doit être redéfini mais, en plus, le mode de scrutin à la proportionnelle aux plus forts restes doit être revu ». « Aucune Constitution n’est immuable, quelle qu’en soit la perfection supposée. L’argument de la nouveauté de la constitution est fallacieux. En France, 4 ans après son entrée en vigueur, la Constitution du 4 octobre 1958 a été révisée en 1962. Son inspirateur, le Général de Gaulle, s’est rendu compte que l’élection du Président de la République au suffrage universel indirect ne donnait pas au PR la légitimité nécessaire pour prendre des décisions capitales, notamment sur la question algérienne. L’on comprend que l’idée de réviser un texte fondamental qui n’a que quatre ans d’existence pose problème, mais il ne faut pas sacrifier la nécessaire efficacité et célérité du travail gouvernemental sur l’autel de la nouveauté de la Constitution ».

De son côté, le professeur Salsabil Klibi considère que « la révision du mode du scrutin est une urgence » et non pas « la révision de la Constitution ». En effet, ,  car il «  conduit non seulement à une représentation plurielle (à outrance) au sein du parlement, mais aussi et peut-être surtout pousse à des coalitions fondées, non sur des affinités politiques mais sur les contraintes des résultats des élections, est la principale cause de cette instabilité gouvernementale qui génère à son tour une incertitude politique ».

La députée Bochra Belhaj Hmida va dans le même sens. Elle considère   qu’il « est encore très tôt » de parler de révision de la Constitution, « car il y va de la stabilité politique du pays, compte tenu d’une conjoncture économique et sociale pour le moins difficile. Plutôt que des révisions apportées au texte, j’opterais pour le changement du mode de scrutin. Il faut un parti gagnant avec une majorité confortable pour pouvoir gouverner, conformément à sa propre approche de l’exercice politique, un exercice adapté aux exigences de l’étape ainsi qu’à la relève du pays. Autrement, on ne peut pas évaluer une Constitution dans une conjoncture difficile et une ambiance peu sereine. Il faudrait laisser au temps sa chance, celle de l’accomplissement, sans pour autant se figer dans la résignation ou l’attentisme stérile. »

B.O

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