Quelles solutions pratiques pour la crise budgétaire actuelle ?

Quelles solutions pratiques pour la crise budgétaire actuelle ?

Par Houssem Eddine TAABOURI (*)

La scène nationale est animée ces jours par un débat, fort intéressant,  au sujet du financement du budget de l’Etat pour l’année fiscale 2020 et plus exactement au sujet du financement du déficit public. Le gouvernement, d’une part, et la Banque Centrale (BCT), d’autre part, sont les principaux protagonistes de ce débat.

Le gouvernement voudrait faire table rase aussi bien des dettes engendrées par les subventions publiques (carburant, transport et semoule) que de celles revenant à ses fournisseurs et entreprises privées travaillant pour son compte en les payant d’une seule traite moyennant un financement direct de la BCT alors que cette dernière invoque son incapacité à le faire compte tenu de contraintes institutionnelles, d’une part, et d’éventuelles pressions inflationnistes incontrôlables occasionnées par une injection massive de liquidités sur le marché, d’autre part.

L’ARP s’est naturellement saisie de la question puisqu’il lui incombe d’y statuer à l’occasion  de son examen et son approbation de la loi des finances complémentaire pour 2020 et a convoqué, dans la foulée, le gouverneur de la BCT pour écouter et étudier son argumentaire opposé à l’option gouvernementale.

De quoi parle-t-on ? Quelle est l’étendue des divergences entre le gouvernement et la BCT ? Et quelles seraient les solutions à apporter pour résoudre cette crise institutionnelle ?

Schématiquement, l’Etat a besoin d’environ 10 milliards de dinars de financements supplémentaires pour boucler son budget de 2020. Ce besoin supplémentaire découle de :

(i) l’insuffisance des recettes fiscales de l’ordre de 6 milliards de dinars, conséquence logique de la récession économique due principalement à l’impact du covid 19

(ii)  le paiement intégral des dettes de l’Etat en ce qui concerne les subventions publiques et les fournisseurs et autres entrepreneurs travaillant pour son compte à concurrence de 4,1 milliards de dinars.

Sur la somme totale des besoins additionnels de financements (10 milliards de dinars), le gouvernement a identifié les sources de financement uniquement pour 5 milliards de dinars. 5 autres milliards sont encore en ballotage. Et c’est là la pomme de discorde entre le gouvernement et la BCT. Le gouvernement voudrait une intervention massive de la BCT pour résorber ce gap, alors que la BCT prétend ne pouvoir intervenir que partiellement puisque limitée par ses propres statuts (en termes d’objectifs et de champ d’intervention).

L’objectif de cette réflexion est de contribuer à l’effort intellectuel national pour apporter des solutions pertinentes  qui pourraient aider à faire sortir les institutions de l’Etat de ce blocage.

A ce titre, la solution doit répondre à deux impératifs cumulatifs:

(i) alléger le déficit public et 
(ii) permettre d’honorer les engagements de l’Etat vis-à-vis de ses créanciers en leur permettant ainsi de renflouer leur trésorerie.
La réponse à ces impératifs fait appel à quatre axes d’intervention :
(i) le premier axe prévoit le déblocage immédiat de 1,85 milliards de dinars en faveur de :
- ETAP : à concurrence de 600 millions de dinars soit exactement le montant des appels de fonds de  ses partenaires opérateurs dans les permis pétroliers. Ce déblocage permettra à ETAP d’honorer ses engagements et de maintenir ses programmes de développements de ses activités.
- l’office des céréales : à concurrence de 775 millions de dinars soit 50% de la somme qui lui est due au titre des subventions sur la semoule
- les entreprises de transport public à concurrence de 50 millions de dinars au titre de la subvention sur le transport public soit 50% de la somme totale de ladite subvention
- les fournisseurs et les entrepreneurs de l’Etat à concurrence de 420 millions de dinars soit 50% de leurs créances sur ce dernier. 

Tous ces fonds peuvent provenir soit directement soit indirectement de la BCT (bons de trésor, facilités directes, open market, etc). Le volume total de ces fonds est parfaitement compatible avec les possibilités de l’institution d’émission.

(ii) le deuxième axe préconise l’octroi à ETAP et à l’office des céréales de la garantie de l’Etat pour leur permettre de contracter des crédits syndiqués (crédits octroyés par un pool bancaire) à concurrence respectivement de 1,3 milliards de dinars et 775 millions de dinars soit le montant restant dû par l’Etat à ces entreprises au titre des subventions publiques.
 
Dans cette perspective, l’Etat doit s’engager formellement à payer ETAP et l’office des céréales concomitamment aux remboursements de leurs échéances respectives. Ainsi, ni ETAP ni l’office des céréales ne subiraient les couts financiers engendrés par lesdits crédits syndiqués, pris en charge totalement par l’Etat.

Evidemment, l’octroi de ces crédits doit intégrer la prise en compte des règles prudentielles en matière de concentration des actifs.

(iii) conséquemment aux deux axes précédents, le solde des dettes de l’Etat vis-à-vis des entreprises de transport ainsi que celles des fournisseurs et des entrepreneurs est reporté sur l’exercice fiscal 2021. A cet égard, je pense que le montant de ce report ne semble pas constituer une difficulté majeure pour être résorbé par le budget de l’année à venir (environ 470 millions de dinars).

(iv) lancer un emprunt au profit de l’Etat de 1,6 milliards de dinars soit le montant restant à financer du budget après avoir procéder aux décalages de décaissements découlant des actions précédemment citées. Les options offertes à l’Etat pour combler ce déficit sont multiples :

- il peut s’agir de Sukuks islamiques âprement recherchés par des institutions financières locales et internationales. Le mérite des Sukuks est qu’ils ne sont pas inscrits en dettes. Donc, leur concours n’aggrave pas l’endettement du pays.

- il peut s’agir d’un emprunt national dont une partie serait réservée à la diaspora tunisienne (environ 250 millions d’euros) moyennant des avantages fiscaux (exonération de l’impôt) et de change (liberté des transferts)

- comme il peut s’agir d’une émission supplémentaire de BTA, facilement refinançable auprès de la BCT.

Y-a-t-il un risque inflationniste dû par ce montage ? Je ne le pense pas. En effet, les entreprises citées ci-dessus sont fortement endettées auprès du marché bancaire. Les sommes qui seraient encaissées par ces entreprises iraient directement en amortissement de leurs dettes bancaires et ne seraient pas mises en circulation pour servir à une quelconque consommation.

La conséquence à tout ce qui précède est que toutes les parties s’en sortiraient gagnantes :

- l’Etat pourrait financer judicieusement son déficit arrivant même à le réduire de 2,5% et comptabiliserait la totalité de ses engagement
- les banques amélioreraient leur assises financières par l’entremise de l’accroissement de leurs liquidités
- les entreprises réduiraient leurs engagements financiers et amélioreraient leurs fonds de roulement
- et il n’y aurait pas de pressions inflationnistes.

Le véritable challenge demeure entier pour l’année 2021 : comment et où trouver les fonds nécessaires pour financer le budget de l’Etat pour l’année concernée. On y reviendra.

(*) Houssem Eddine TAABOURI
Expert Comptable
Membre du Conseil des Analyses Economiques  

 

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