Retour sur ce baiser qui a mené à la prison

Retour sur ce baiser qui a mené à la prison

 

Nessim Ouadi est un Franco-algérien, âgé de 33 ans, venu passer quelques jours de vacances en Tunisie. Sorti d’une boite de nuit, à Gammarth, il échange un baiser avec son amie.

La police est sur les lieux et demande au couple leurs papiers d’identité. Nessim Ouadi avait son passeport dans la valise. Les agents de la police ont fouillé toute la voiture, même sous le tapis, et décident de laisser le couple s’en aller.

Nessim Ouadi pensait être en France et a décidé de menacer les policiers : « Vous pensez que ça va s’arrêter là? Je veux vos noms et vos immatriculations. J’ai l’intention d’en parler à mon ambassade. »

C’est là que les choses se corsent pour le couple. Nessim Ouadi passe devant le juge du tribunal cantonal de Carthage avec des chefs d’accusations importantes comme outrage à la pudeur, outrage à un fonctionnaire et refus d’obtempérer. Il écope de 4 mois de prison ferme. Quant à son amie, elle écope de 3 mois de prison ferme.

La version de l’avocat de Nessim, Me Ghazi Mrabet

Dans un statut publié sur sa page Facebook, l'avocat Ghazi Mrabet s'isurge contre ce qu'il apppelle pratique policière. Il ecrit: «  Elle est tunisienne. Cadre dans une entreprise à Tunis.

Lui est franco-algérien. Cadre dans une société marseillaise. Il est arrivé à Tunis le vendredi dernier vers 22h30. Il rejoint ses potes(avec sa petite valise) au Yuka à Gammarth. Il y retrouve son amie vers minuit. Ils commandent deux bières chacun. Elle n'en boit qu'une et demie. Ils quittent ensemble le Yuka à 2h. Ils s'arrêtent rapidement pour discuter sur la route touristique de Gammarth. Au bout de deux minutes, une voiture de police arrive. Les flics leur demandent leurs pièces d'identité. Elle prend son sac. Elle remet sa carte d'identité. Le franco-algérien ne parle pas un mot en arabe. Son passeport est dans sa valise dans le coffre arrière. Les policiers lui crient dessus de suite, l'insultent et le font descendre de force. Il leur remet son passeport. Ils fouillent ses bagages puis la voiture partout même en dessous des tapis. Ils sont conduits au commissariat de police. Au bout d'une vingtaine de minutes, l'un des policiers vient vers eux pour leur annoncer qu'ils peuvent rentrer chez eux. Fin de l'histoire? Non! Elle vient de commencer. Le franco-algérien se croyant en France ou dans un film dit aux flics: « Vous pensez que ça va s'arrêter là? Je veux vos noms et vos immatriculations. J'ai l'intention d'en parler à mon ambassade. » Et c'est là que leur vie va basculer.

Un PV est rédigé de suite. Ils les lui font signer sous la menace. « Vous ne signez pas, départ pour la case prison ». Ils demandent à avoir l'assistance d'un avocat, de pouvoir contacter un proche. Rien... Tout leur est refusé. Ils insistent. Refus catégorique ponctué par des cris d'insultes. Ils finissent par céder et signent le PV. Ils sont transférés en matinée à la maison d'arrêt de Bouchacha. Ils y passent la nuit du dimanche. Ils comparaissent devant un substitut du procureur le dimanche à 9h du matin. Oui! J'ai bien écrit dimanche alors que le délai de détention est toujours en vigueur et une prolongation de détention préventive est possible. Le substitut du procureur les auditionne. Ce n'est qu'à cet instant qu'ils apprennent ce que la police leur reproche. Il mentionne le fait que le franco-algérien ne comprend pas langue arabe. Il qualifie les faits et décide d'émettre un mandat de dépôt contre les deux. Voici les charges retenues contre eux: atteinte à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, ébriété sur la voie public, tapage, refus de se conformer à un ordre et outrage à un fonctionnaire public pendant l'exercice de ses fonctions. Ils passèrent trois nuits en prison, lui à la prison civile d'Elmorneguia, elle à la prison des femmes de la Manouba.

Leur audience s'est tenue devant la juge du tribunal cantonal de Carthage. Ils ont été défendus par deux avocats. Le franco-algérien a fini par avoir un traducteur. Au début de l'audience, le frère de la femme a pris la main de sa sœur pour l'embrasser longuement. Je n'oublierai jamais ce moment de tendresse et d'immense tristesse à la fois. La juge les a longuement auditionnés. Ils ont nié les faits. Ils n'ont reconnu que d'avoir bu une toute petite quantité de bière. Après délibération, la juge les condamna à de la prison ferme.

2 mois chacun pour atteinte à la pudeur et 15 jours pour refus d'obtempérer à un ordre

15 jours pour la tunisienne pour état d'ébriété

2 mois pour le franco-algérien pour outrage à un fonctionnaire public et atteinte aux bonnes mœurs.

Soit au total 3 mois fermes pour elle, 4 mois et demi pour lui.

Au-delà des vices de procédures qui se ramassent à la pelle, rien de ce qu'a mentionné la police dans le PV n'est véridique. Une affaire montée de toute pièce. Une machine de l'enfer est mise en place. Une machine dont la police est le principal acteur trainant avec elle une justice dépassée, conservatrice, d'une autre époque. Une justice qui viole souvent les textes de loi et au meilleur des cas finit par user le justiciable. Ce même justiciable ne demande pas grand-chose. Il veut tout simplement avoir à bénéficier de son droit.

Ces deux personnes sont victimes d'un système qui perdure malgré les avancées. Un système où la police confortée par une mentalité de plus en plus conservatrice rejette la construction démocratique et le progrès. Ce genre de violation de la loi n'est pas anodin.

Nos condamnés « pour un petit moment de discussion dans la voiture en fin de soirée » ont fait appel de leur jugement. Une audience en appel aura lieu dans les prochaines semaines. Il faudra non seulement les libérer mais également les débouter parce que le dossier est vide juridiquement au-delà des vices de procédures qui pourraient tout annuler.

Nos victimes comptent sur la mobilisation de la société civile. De chacun d'entre vous. 

Ce qui arrive aux autres n'arrive pas qu'aux autres. Nous sommes les autres de demain. »

La mère de Nessim, Leila Haouala, a été contactée par des journalistes en France. Elle affirme que depuis une semaine, elle ne dort plus et elle ne mange plus. Elle ne connaît pas les conditions et la situation des prisons en Tunisie. Elle est inquiète pour son fils.

Les médias français se sont concentrés sur cette affaire qui touche à l’un de leur compatriote.

Abdessatar Klai

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