Scrutin municipal : l’oublié de la transition démocratique

Scrutin municipal : l’oublié de la transition démocratique

« Le droit de vote, ce n'est pas l'expression d'une humeur, c'est une décision à l'égard de son pays, à l'égard de ses enfants. » Jacques Chirac

En décembre 2017, la Tunisie s'apprêtera à vivre sa première expérience d'élections municipales postrévolutionnaire. Il s'agit de la désignation de citoyens qui auront l'honneur et le privilège de diriger la destinée des 350 municipalités pour les cinq prochaines années e. Ces élections entament les premiers pas des politiques de décentralisation qui ont pour objectifs d’améliorer le cadre de vie des Tunisiens qui s'est nettement dégradé ces six dernières années.

Ces élections sont non seulement une obligation constitutionnelle, c'est un besoin, parce que le citoyen tunisien a besoin d'avoir des municipalités efficaces, légitimes et élues au suffrage universel pour qu'elles puissent réellement réussir leur mission. Ce n'est pas normal du tout qu'on ait des structures provisoires qui dépassent les six ans et qui fonctionnent mal.

« Si vous demandez aux Tunisiens ce qu’ils attendent des prochaines élections municipales, 99 % diront espérer une amélioration de leur environnement ». Pour Morched Garbouj, le président de l’association SOS Biaa (SOS environnement), un écologiste convaincu.

L’environnement est « une affaire locale une affaire de proximité » par excellence. La gestion des déchets, l’assainissement, la gestion des parcs et des espaces verts,  la gestion et l’entretien des routes de la ville, de  la circulation dans les villes, l’aménagement des plages, la police municipale  doivent être  des compétences  déléguées aux municipalités. Nous pouvons rajouter d’autres compétences, les maisons de Culture et de Jeunesse, les bibliothèques médiathèques municipales, les crèches et les assistantes maternelles, les cinémas municipaux, les centres aérés, le plan local d’urbanisme et la mise en œuvre de l’Agenda 21.

Le calendrier

L’enregistrement des électeurs a démarré le 19 juin 2017 et se poursuivra durant 53 jours, jusqu’au 10 août 2017.L’ouverture des candidatures est fixée pour le mardi 19 septembre 2017 et se poursuivra jusqu’au mardi 26 septembre 2017.

  • La campagne électorale démarrera le samedi 25 novembre 2017 et se poursuivra jusqu’au vendredi 15 décembre,
  • Tandis que le scrutin ou le suffrage universel aura lieu le dimanche 17 décembre 2017, précédé le 10 décembre par le vote des sécuritaires et des militaires.
  • Les résultats préliminaires seront proclamés, au minimum, le jour même du vote général, dimanche 17 décembre 2017, et au maximum le 20 décembre 2017.
  • Les résultats définitifs seront proclamés au minimum le 23 janvier 2018 et au maximum le 24 janvier 2018.

Faible affluence aux bureaux d'enregistrements : Inscrivez-vous citoyens

Seuls 5,4 millions de Tunisiens sont inscrits sur les quelque huit millions que compte le corps électoral. Les jeunes et les femmes représentent les deux catégories de population votant le moins. Jusqu'au 10 août, l'ISIE va tenter de convaincre les quelque trois millions restants de s'enregistrer.

L’opération d’inscription des électeurs a débuté lundi 19 juin 2017. Le nombre des bureaux de vote s’élève à 642 répartis dans les locaux des municipalités, de la poste tunisienne, certains hôpitaux et des hypermarchés, en plus des équipes mobiles qui seront présentes dans les festivals, les plages et les zones rurales.

Le nombre des électeurs inscrits, à trois jours de la fin de la période, n’a pas dépassé le s300.000 sur un total de trois millions de non-inscrits. Très en deçà des objectifs assignés. Nabil Baffoun, membre de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), a affirmé l’absence des partis politiques et le faible engagement de la société civile dans la sensibilisation à l’enregistrement aux élections municipales de décembre 2017.

Plusieurs facteurs expliquent l’inquiétante faiblesse des inscriptions sur les listes électorales. D’abord, la période d’inscription choisie n’est pas adéquate dans la mesure où elle coïncide avec la fin du mois de ramadan, la période des examens, les fêtes et les vacances d’été et la non mobilisation des partis. Il est encore temps de s’inscrire et d’être électeur acteur lors des prochaines échéances électorales.

Les conditions requises pour pouvoir se porter candidat

L’annonce de l’ouverture des candidatures intervient après la publication au Journal Officiel de la République Tunisienne, en date du 28 juillet, de la décision de l’ISIE fixant les règles et procédures de candidature pour les élections municipales : 

  • Le candidat devant être un électeur de nationalité tunisienne, inscrit dans la circonscription pour laquelle il est candidat et doit être âgé de 18 ans au moins au moment de présenter sa candidature. Par ailleurs, les candidats ne doivent pas être inéligibles par la loi.
  • Dans la catégorie des personnes interdites de se présenter aux élections : les militaires, les forces de sécurité intérieure, les membres de l’ISIE, de son conseil ou de ses instances sectorielles.
  • Les juges, les gouverneurs, les premiers délégués, les secrétaires généraux des gouverneurs, les délégués, les Omdas, les comptables financiers municipaux et régionaux, les agents des municipalités, des régions, des gouvernorats, des délégations permanentes et les contractuels ne peuvent pas se présenter dans les circonscriptions où ils exercent leurs fonctions ou dans celles où ils ont exercé l’année précédente.

Nouvelles règles mises en place par la nouvelle loi électorale

De nouvelles règles ont été mises en place par la nouvelle loi électorale :

  • Les partis devront respecter une parité horizontale sur les listes : en clair, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes qui se présentent.
  • Les listes et les partis politiques ayant reçu moins de 3 % des voix aux dernières élections, de présenter un récépissé de leur remboursement de la subvention publique dont ils avaient bénéficié pour pouvoir se représenter. La somme à rembourser à l’État pour les élections de 2011 et de 2014 s’élève à 5 millions de dinars (2 millions d’euros).
  • Les conditions de candidature sont plus restrictives qu’en 2011 et 2014 : il faut entre douze et soixante candidats minimum par liste. Et les jeunes doivent être parmi les premiers sur les listes, tout comme les personnes porteuses de handicap. Ainsi  il y aura forcément une sélection au sein des indépendants et des partis.

Sans Code des Collectivités Locales (CCL) l’élection est faussée

Les élections ne sauront se tenir sans le vote du code des collectivités locales qui devrait notamment garantir une autonomie financière et administrative des collectivités.

« Si on ne vote pas ce nouveau code avant les élections municipales alors c’est comme si on élisait une assemblée sans Constitution. Le code des collectivités régit les municipalités et les dote de responsabilités. Ne pas le voter avant les élections, ce serait nous condamner à rester dans un système défaillant », ajoute Chaima Bouhlel présidente de de l’ONG Al Bawsala.

Le gouvernement s’est engagé  à assurer toutes les conditions exigées par l’ISIE en vue de l’organisation des élections le 17 décembre 2017. Il s’agit notamment de la dissolution des délégations spéciales, le découpage des circonscriptions municipales, l’affectation du budget nécessaire à l’opération, la promulgation du décret fixant le plafond du financement de la campagne électorale, outre la création des chambres de première instance et d’appel nécessaires pour le tribunal administratif, le recrutement des juges et le renforcement de la Cour des comptes et des tribunaux ordinaires, ainsi que la mise en place de tous les moyens logistiques et matériels pour l’organisation des élections.

Outre la promulgation du décret présidentiel pour la convocation du corps électoral, il devient urgent de procéder à l’examen et à l’adoption du code des collectivités locales par l’ARP avant la fin du mois d’août 2017. La Commission Parlementaire chargée de discuter le projet fondamental pour une véritable « décentralisation », vient de reporter à septembre l'adoption du Code des Collectivités Locales. Ce code ne comporte pas moins de 360 articles et la commission parlementaire n'a pas encore discuté la trentaine de décrets d'application nécessaires à l'entrée en vigueur du CCL. Pour que ce dernier puisse entrer en application, il ne faut pas moins de six mois si tout se déroule dans de bonnes conditions!

Si les élections aient lieu à la date fixée au 17 décembre prochain, les municipalités fonctionneront  avec la loi de 1975 qui ne donne aucune indépendance aux équipes municipales totalement sous la coupe du ministère de l'intérieur. D'ailleurs le projet CCL, si on ne prend pas garde, comporte un article qui donne encore au gouverneur un droit de regard et même un droit de veto sur les budgets municipaux. Bref, on veut décentraliser... mais pas assez. Le Code des Collectivités Locales est une loi 75 bis un peu plus amélioré dans la délégation des compétences.

Quid des compétences déléguées et des finances allouées ?

Le pouvoir central va-t-il lâcher du laisse et mettre fin aux freins de la mauvaise gestion des communes due à la centralisation qui date depuis l’indépendance ? Aujourd’hui tout est flou et rien n’est précisé.

La réponse devrait être fournie par le code des collectivités locales et ses textes réglementaires.  Si tout se passe bien, elle ouvre la voie à un profond bouleversement de la répartition des pouvoirs au profit des acteurs locaux. Les documents devraient opérer un transfert massif et progressif du pouvoir, de l’État avec ses ministères et ses agences centrales vers les collectivités locales communes, régions, et districts.

Selon Mokhtar Hammami, le directeur général des collectivités locales, le gouvernement a déjà dénombré plus de 1652 services de proximité qui devraient être transférés des ministères l’Environnement, mais aussi de la Santé, de l’Équipement, de l’Éducation et du Transport aux conseils municipaux et régionaux élus. Espérons que ce ne sont pas que des promesses. 

L’abstention annoncée  premier parti de la Tunisie!!!

On est à moins de cinq mois des élections et rien n'est encore clair et précis. Ni les partis, ni le gouvernement, ni le Parlement et encore moins l'ISIE, ne semblent prêts à cette échéance. La veulent-ils réellement ? La question reste posée.

Les différents sondages laissent croire que le prochain scrutin municipal sera marqué par un taux d’abstention très élevé.  Cette abstention profitera aux grands partis et non aux listes indépendantes au regard du mode suffrage choisi la proportionnelle au plus fort reste déjà utilisée lors des législatives de 2014. 

L'abstention peut ainsi être considérée comme un aiguillon démocratique. Mais il ne faudrait pas que la défiance vis-à-vis de la politique finisse par déboucher sur une coupure entre les citoyens et leurs représentants. Si la représentation politique n'a plus de légitimité, le risque serait alors grand d'une rupture du pacte démocratique lui-même. Et d'un retour à d'autres formes de régimes politiques, autoritaires, dictatoriaux. Il y a donc urgence à recrédibiliser l'action politique.

« Les sondages ne votent pas, ce sont les gens qui votent » disait Hillary Clinton. Inscrivez-vous et voter le 17 décembre pour les faire mentir encore une fois. Voter, ce n'est pas « donner sa voix à... », C’est choisir une liste, des candidats et un programme.

Ennahdha, Nidaa et FP le trio gagnant des sondages !

Les enjeux politiques autour de cette élection sont très  importants vu qu’elles se déroulent à mi-mandat des dernières élections de 2014, et sont  un tour de chauffe pour préparer celle des 2019. Les résultats de ces élections fixeront le poids réel de chaque force politique.

Selon les sondages, 35,8% des Tunisiens disent avoir l’intention de voter Nidaa Tounes aux prochaines élections municipales, contre 29,7% pour Ennahdha. Distancié par un énorme gap, le Front Populaire, 3ème, ne recueillerait quant à lui que 7,6%.

Nidaa la première force électorale en 2014 a explosé entre temps,  divisé et affaibli depuis l’élection de BCE à la Présidence. Ce parti tente de gagner du temps pour remettre de l’ordre dans une maison délabré et repartir dans de bonnes conditions.Le parti appelle  les coordinations régionales et les commissions électorales à accélérer la Constitution des listes électorales dans toutes les 350 circonscriptions.

Depuis 2014, seule Ennahdha  est restée unie autour de son chef lors du congrès de 2016,  a montré qu’elle reste la seule et unique force politique bien structurée dans le pays. Le parti compte participer dans toutes les circonscriptions et municipalités, à travers l’établissement de listes électorales communes composées à 50% par ses adhérents et à 50% par des compétences locales indépendantes. Les listes électorales seront prêtes au plus tard fin août, soit quelques jours avant l’ouverture des candidatures aux municipales prévues le 10 septembre prochain par l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE).

Le Front populaire l’opposant permanent à la politique libérale menée par la coalition Nidaa Ennahdha repart en campagne en laissant le sujet de  constitution des listes ouverts. Trois scénarios sont possibles pour les municipales: le Front présentera ses propres listes, s’y engagera dans le cadre d’une large coalition civile et politique ou à travers des listes indépendantes incluant ses militants. Ce dernier scénario est envisageable dans certaines régions où le FP ne pourra pas se présenter selon les deux premières formules. Selon Hamma Hammami  lors d’une conférence de presse tenue , mardi 1er août 2017, le Front populaire (FP) reste attaché aux dates fixées pour la tenue des élections municipales.

Pour Machrou3 Tounes, nouveau-né  sur la scène joue son baptême de feu,  sa première participation à une élection au suffrage universel. Le mouvement participera aux élections municipales avec des listes privées dans toutes les régions.  

Voter C’est un devoir civique et un pouvoir en même temps

Voter est un devoir civique. Il faut savoir que dans certains pays, on se bat encore pour l’avoir. C'est un droit qu'il ne faut pas négliger, même si beaucoup pensent que c'est inutile.  Des hommes et des femmes se sont battus pour l’obtenir. Il est important d'exprimer ses choix qui vont engager la vie de la commune pour les cinq prochaines années.

Les Tunisiens manifestent un certain dégoût mêlé de déception vis-à-vis de la politique, certains pensent que le résultat du vote ne changera pas leur vie quotidienne de toute façon. C'est vrai, et les responsables politiques doivent répondre à ces sentiments qui les interpellent.  Un affaiblissement de la norme civique attachée au vote. Aujourd'hui celui-ci est considéré comme un droit plutôt que comme un devoir. En particulier par les jeunes générations. 

Jacques Chirac avait raison de rappeler que “Le droit de vote, ce n'est pas l'expression d'une humeur, c'est une décision à l'égard de son pays, à l'égard de ses enfants.”

Allez aux urnes citoyens, on ne boude son plaisir d’être acteur dans la vie de sa commune en espérant que le Code des Collectivités Locales soit discuté, voté et promulgué à temps, garantir des élections libres et transparentes et que les partis politiques se mobilisent fortement pour bien mener une vraie campagne à la hauteur des enjeux de ce premier acte de décentralisation qui est une chance réelle pour améliorer le cadre de vie de nos concitoyens dans nos villes.

A.Klai

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