Taoufik Baccar: Tout sur la crise financière internationale

1- Les raisons du déclenchement et de la propagation de la crise financière

Le déclenchement de la crise financière est en grande partie attribué à la prolifération des crédits hypothécaires à haut risque dits «Subprimes», accordés par les banques américaines à une catégorie de clientèle à faible revenu. Ces crédits ont été octroyés à des taux d’intérêt variables, et largement prisés par les ménages dans un contexte baissier des taux d’intérêt.

Ces crédits se sont largement répandus durant la période 2001-2006 dans le sillage de la forte croissance du secteur immobilier aux Etats-Unis, liée notamment à la politique de détente monétaire conduite par les autorités monétaires américaines qui a ramené le principal taux directeur de la Réserve Fédérale à 1% en juin 2003, contre 6.5% fin 2000.

La genèse de la crise vient de la hausse rapide et importante des taux d’intérêt américains enregistrée depuis juin 2004 dans le cadre de la normalisation de la politique monétaire aux Etats-Unis suite au redressement de la situation économique.

Le renchérissement subséquent du coût des crédits, en raison du caractère variable des taux d’intérêt, a conduit à l’augmentation du nombre des ménages incapables d’honorer leurs engagements, et ce en plus de la chute des prix des maisons à des niveaux inférieurs à la valeur des crédits qui les ont financés.

Cette situation a affecté les bilans des établissement de crédit et a entraîné la faillite de plusieurs institutions financières spécialisées dans les crédits hypothécaires.

La crise s’est muée à un rythme extrêmement rapide d’une crise financière locale liée au secteur immobilier aux Etats-Unis en une crise financière et économique mondiale. Sa propagation est en grande partie attribuée aux opérations de titrisation réalisées par les institutions financières américaines qui ont commercialisé des instruments d’investissement complexes et opaques tant directement sur les marchés financiers internationaux que sous forme d’actifs logés dans des véhicules d’investissement spécialisés, et ce afin de doper les rendements, sans pour autant se conformer aux normes et règles prudentielles requises.

Ces développements ont conduit à une crise de confiance généralisée dans le système financier international et à l’apparition d’une crise de liquidité accompagnée d’une forte baisse des principales places boursières internationales.

Outre les pertes déjà enregistrées qui se chiffrent jusqu’à présent à 500 milliards de dollars, ainsi que les pertes prévisibles, compte tenu des récentes prévisions du FMI qui table sur des pertes totales de 1 400 milliards de dollars, le grand danger de cette crise réside aujourd’hui dans la persistance de l’instabilité des marchés financiers internationaux, du fait du climat de méfiance régnant entre les différents intervenants notamment sur le marché monétaire international.

Ce dernier se trouve presque dans un état de paralysie faute de confiance entre les plus grandes banques internationales et leur réticence à se prêter des fonds, ce qui a entraîné une hausse vertigineuse des taux d’intérêt à court terme.

Cela a contraint les principales banques centrales à procéder à des injections massives de liquidité et à prendre des mesures exceptionnelles visant à freiner l’amplification de la crise, la dernière étant la baisse coordonnée de 50 points de base de leurs taux directeurs, intervenue le 8 octobre 2008.

2- Les facteurs à l’origine de la crise financière internationale sont-ils présents en Tunisie ?

Certainement pas. La situation est totalement différente en Tunisie, et ce pour plusieurs raisons :

D’abord, l’encours des crédits de logement ne dépasse pas 10% du PIB, contre environ 87% aux Etats-Unis.

Ensuite, les crédits de logement sont strictement réglementés. En effet :

-    le montant du crédit de logement ne peut dépasser 80% du prix du logement ;
-     la durée du crédit du logement peut atteindre 25 ans, en vue d’alléger la charge du crédit ;
-    les banques sont tenues d’appliquer un taux d’intérêt fixe, si la durée de remboursement du crédit dépasse les 15 ans, ce qui est de nature à éviter les retombées négatives de la hausse des taux d’intérêt sur le taux du marché monétaire;
-    les banques sont tenues d’informer le bénéficiaire du crédit des risques qu’il encourt en cas d’option pour un taux d’intérêt variable;
-    les taux d’intérêt appliqués aux crédits de logement obtenus auprès de la Banque de l’Habitat sont limités à 6,75% actuellement selon la formule épargne-logement;
-    la marge appliquée sur le taux d’intérêt effectif global a été réduite du tiers au cinquième en vue de plafonner le taux d’usure.

Enfin, le recours à la titrisation demeure limité. Nous enregistrons jusque-là que deux opérations portant sur un montant global de 100 millions de dinars, sachant que les opérations de titrisation en Tunisie ne peuvent toucher que les crédits sains et ne peuvent en aucun cas concerner les crédits classés.   
     
 3- Quels sont les canaux de transmission possibles de cette crise à la place financière tunisienne ?

Théoriquement, il existe 3 canaux de transmission possibles :

-    les placements des avoirs en devises à l’étranger ;
-    le recours aux marchés financiers internationaux ;
-    les investissements étrangers sur la Bourse de Tunis.

Concernant les placements des avoirs en devises à l’étranger, il est à signaler que ces placements sont effectués principalement à travers la Banque Centrale de Tunisie. Depuis le déclenchement de la crise en août 2007, la BCT a adopté des mesures visant à assurer la sécurité de ses placements, notamment :

-    la réduction de la part des placements auprès des banques internationales de 75% du total des réserves avant la crise à 39% actuellement. L’objectif étant de ramener cette part à 30% à la fin du mois d’octobre;
-    privilégier l’investissement dans les titres obligataires souverains qui présentent le plus haut degré de sécurité;
-    effectuer des dépôts auprès des banques internationales de premier rang. Cela a concerné les banques notées « A » depuis le début de l’année, mesure renforcée depuis le mois d’octobre en se limitant aux banques notées « AA »;
-    limiter les maturités des placements bancaires à 1 mois au maximum, afin de préserver un degré élevé de liquidité, ce qui garantit une meilleure réactivité.

Faut-il noter que jusqu’à présent on n’a enregistré aucun incident de paiement sur nos placements.

Pour ce qui est des banques tunisiennes, il convient de signaler qu’elles ne sont autorisées à placer sur les marchés internationaux que les avoirs en devises des non-résidents.

Ceci étant, la cellule de veille, créée pour la circonstance, a examiné les placements actuels des banques et n’a relevé aucun incident de paiement, sachant que ces placements représentent principalement des dépôts auprès des banques-mères à l’étranger (ATB auprès d’Arab Bank ; Citibank auprès de Citigroup ; ABC auprès de ABC).

En ce qui concerne les investissements étrangers en Bourse, leur part représente 25% de la capitalisation boursière, dont près de 90% sont détenus par des investisseurs de référence, ce qui ne risque pas d’affecter de manière significative le marché.

En ce qui concerne le recours au marché financier international, il convient de souligner la hausse des marges de crédit appliquées à tous les pays et particulièrement aux pays émergents, bien que ces derniers ne soient pas à l’origine de la crise.

La décision de ne pas recourir en 2008 aux marchés financiers internationaux pour la mobilisation de ressources extérieures a permis à la Tunisie d’éviter le coût additionnel lié à l’élargissement des marges de crédit.

De même, et compte tenu de la disponibilité des liquidités sur le marché domestique, qui représente l’alternative au recours à l’endettement extérieur. La même ligne de conduite sera poursuivie en 2009.

De manière générale, on peut dire que les causes qui ont été à l’origine de la crise et de sa propagation n’existent pas en Tunisie. Ceci étant, les dispositions nécessaires ont été prises pour prévenir sa propagation à notre pays, et ce grâce à la maîtrise des différents canaux par lesquels elle est susceptible de se transmettre. En conséquence, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour la place financière tunisienne.

4- La crise de liquidités au niveau des marchés internationaux pourrait-elle affecter le marché monétaire local ?

Au niveau du marché monétaire, la situation des places financières internationales ne peut, en aucun cas, être comparée à la réalité tunisienne :

-    le marché monétaire se caractérise, en Tunisie, par une
surliquidité importante ayant amené la Banque Centrale à intervenir pour éponger l’excédent de liquidité qui s’élève actuellement à 615 millions de dinars auxquels s’ajoute une enveloppe de 915 millions de dinars à titre de réserves obligatoires non rémunérées constituées par les banques auprès de la Banque Centrale. De ce fait, une enveloppe de 1 530 millions de dinars est  disponible pour être injectée en cas de besoin ;
-    les banques continuent à s’échanger les liquidités de manière normale et l’encours moyen de l’interbancaire s’élève à 610 millions de dinars dont 72 % sont à terme. Ceci dénote de l’état de confiance qui règne au sein du secteur bancaire tunisien.
-    le taux auquel se sont effectués ces échanges a été en moyenne de 5,30% au cours de la première semaine du mois d’octobre, taux ne dépassant que de 5 points de base le taux directeur de la Banque Centrale qui est de 5,25%.
 
De ce fait, on est très loin des 500 points de base qui ont caractérisé, par moments, les transactions sur le marché monétaire international, reflet du manque de confiance sur ce marché.

5- Y-a-t-il une explication objective au comportement du marché boursier tunisien au cours des derniers jours ?

A notre avis, il n’y a pas de raisons objectives pouvant expliquer le comportement du marché boursier depuis le début du mois d’octobre et particulièrement au cours des séances du lundi 6 et mercredi 8 octobre.

Premièrement, et comme je l’ai mentionné précédemment, les canaux par lesquels la crise financière internationale pourrait se transmettre sont maîtrisés. La participation étrangère en dehors de celle des actionnaires de référence ne dépasse pas 3 % de la capitalisation boursière tout en signalant qu’une frange de ces investisseurs, constituée de fonds, s’est déjà désengagée de sa participation au cours du mois de septembre.
Ce comportement ne résulte pas d’un manque de confiance dans l’économie tunisienne mais découle plutôt d’un besoin de liquidité face à un marché international asséché.

Deuxièmement, les cours boursiers n’ont pas connu au cours des dernières années d’augmentation excessive pouvant exposer le marché à des corrections, tout en signalant que la capitalisation actuelle est inférieure à 20% du PIB, alors qu’elle dépasse les 100% dans certains pays.

Troisièmement, il y a lieu de noter que les fondamentaux du marché sont sains du fait que les indicateurs afférents aux entreprises de la cote dénotent de la solidité de leur situation financière. En ce qui concerne la situation des banques, elle ne cesse de s’améliorer et le produit net bancaire s’est accru de 12,8% au cours du premier semestre 2008.

De même, la confiance des clients dans le secteur bancaire ne cesse de se renforcer telle que l’atteste l’augmentation de 13,7% de leurs dépôts sur la période août 2008/août 2007.

En outre, l’assise financière du secteur bancaire s’est davantage consolidée à tous les niveaux, sachant que les banques tunisiennes ne recourent pas aux produits dérivés susceptibles de les exposer à des risques démesurés, d’autant plus que leur activité sur les marchés internationaux est bien encadrée.
 
De ce fait, il n’y a pas lieu d’avoir de craintes ou de doutes quant à la solidité des fondamentaux du marché financier et des actifs des sociétés cotées. Dès lors, on ne saurait expliquer ce qui s’est passé le lundi et mercredi que par des facteurs purement psychologiques.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les mesures permettant de nous prémunir contre les risques pouvant résulter de cette crise ont d’ores et déjà été prises, et nous pensons que cette crise n’aura pas d’impact direct sur le secteur financier, à l’exception peut être d’une baisse des produits de placement des avoirs en devises, due au choix privilégiant la sécurité sur le rendement.

Mais, sur le plan économique, et au cas où les prévisions de ralentissement de la croissance mondiale se concrétisent, aucun pays ne pourrait prétendre être à l’abri des retombées de cette crise. Ainsi apparaît l’importance des programmes et des réformes visant à renforcer la croissance et à améliorer la compétitivité de l’économie.

Le budget économique ainsi que le budget de l’Etat pour 2009 se sont basés sur ces éléments. Je suis persuadé que les travaux de la commission qui vient d’être créée sur instruction de Monsieur le Président de la République aboutiront à des propositions concrètes permettant de poursuivre l’œuvre de développement sur des bases solides. 

par M.Taoufik Baccar
Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie