Tunisie-Chine: Des relations ancrées et un partenariat à développer !

Tunisie-Chine: Des relations ancrées et un partenariat à développer !

Par Nour BEN MRAD  

Bien que vieilles de 60 ans, les relations tuniso-chinoises ne se sont jamais élevées au niveau escompté.

En effet, la Tunisie et la Chine ont certes officiellement établi des relations diplomatiques depuis le 10 janvier 1964 et initié depuis lors une coopération multidimensionnelle qui a touché des domaines multiples, mais cette coopération n’a pas encore atteint l’intensité qui correspond aux réelles opportunités de collaboration entre les deux pays amis.

Il faut reconnaitre, dans ce cadre, que l’influence de l’Occident et les choix politiques du Président Bourguiba depuis l’aube de l’indépendance de notre pays ont été décisifs dans le ralentissement des relations Tuniso-Chinoises.

Bourguiba a toujours estimé que le destin et l’avenir de la Tunisie sont intimement liés à l’Occident, avec qui il entretenait des relations diplomatiques et commerciales très denses. Cette politique pro occidentale et anti-communiste, sous l’effet de sa proximité avec la France et les USA , a rendu très difficile tout rapprochement entre Tunis et Pékin. Ce qui a fait que les relations entre les deux pays sont demeurées, à l’image de leur éloignement géographique, distantes durant presque quatre décennies.

Un rapprochement tardif

Cependant, malgré les interférences occidentales, les divergences de positions sur les questions diplomatiques, les différences au niveau des idéologies, du système social, ainsi que leur éloignement géographique, les deux pays ont établi des liens commerciaux depuis 1958 et ont commencé à entretenir des relations bilatérales, grâce notamment aux accords et programmes de coopération, ainsi qu’à la disposition de la Chine d’aider la Tunisie dans la réalisation de certains grands projets.

Le canal Medjerda-Cap Bon, les centres culturels et sportifs de la jeunesse d’El Menzah 6 et de Ben Arous, l’hôpital universitaire de Sfax, les cinq hôpitaux construits au nord-ouest du pays, le siège de l’archive nationale, le Centre sino-arabe de la navigation satellitaire BeiDou (premier centre chinois du genre à l’étranger) et l’Académie diplomatique internationale de Tunis sont, dans ce cadre, des exemples concrets et non exhaustifs de cette coopération à travers ces projets initiés par la Chine en Tunisie, portant sur le domaine du développement de l’infrastructure et la réalisation de nombre d’ouvrages hydrauliques, d’infrastructures ainsi que de bâtiments civils. 

D’un autre côté, depuis plus de 50 ans, les équipes médicales chinoises sont présentes et actives dans notre pays. En effet, la Chine avait mobilisé depuis 1973, 28 missions médicales en Tunisie. Chacune des missions a été envoyée pour une période de 2 ans, mais depuis 2018, chaque terme est passé à 1 an. Ces staffs de personnel médical chinois de différentes spécialités ont fourni un total de plus de 6 millions de consultations et de presque un million de soins médicaux aux malades hospitalisés, notamment dans les hôpitaux de Tunis, Jendouba, Médenine et Sidi Bouzid.

Les membres de ces équipes médicales chinoises sont d’ailleurs devenus des messagers de la santé et des symboles de l’amitié construite progressivement entre les deux peuples.

La révolution renforce les relations tuniso-chinoises

Depuis la révolution de 2011, les relations tuniso-chinoises se sont nettement consolidées. Fortes de piliers solides tels que le respect mutuel, de la non-ingérence dans les affaires internes, des rapports d’égal à égal, de la convergence des points de vues concernant les dossiers internationaux et surtout d’une volonté commune de les renforcer, ces relations sont entrées dans une nouvelle ère.

Avec les changements de sa politique étrangère, son détachement progressif de l’influence occidentale et sa prise de conscience de l’importance du géant asiatique, la Tunisie a clairement affiché sa volonté de développer une coopération plus approfondie et plus fructueuse avec la Chine.

Ces changements ont coïncidé avec la nouvelle politique chinoise qui a accordé depuis 2006, à l’époque de la tenue du 1er sommet sino-africain, une grande importance à l’Afrique et à la Tunisie, au vu de sa position stratégique.

Notre pays a ainsi dévoilé, dès 2017, son intention d’intégrer le projet chinois (Belt and Road Initiative-BRI), des nouvelles routes de la soie, lancée par le président chinois Xi Jinping en 2013, dont l’objectif est de connecter la Chine à l’Europe, l’Afrique et au reste du monde et de viser plus de 68 pays regroupant 4,4 milliards d’habitants et représentant près de 40 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète.

La signature, le 11 juillet 2018, d’un mémorandum d’entente scellant l’adhésion de la Tunisie à ce projet chinois du siècle, a donc marqué une nouvelle étape dans les relations tuniso-chinoises et a ouvert de nouvelles opportunités de coopération économique, commerciale, touristique et au niveau de l’investissement .

Parallèlement, les relations diplomatiques entre les deux pays ont connu une évolution régulière et continue avec l’intensification du dialogue politique, l’organisation des réunions des grandes commissions mixtes et le renforcement de la présence diplomatique et consulaire de la Tunisie en Chine.

Par ailleurs, le volume des échanges commerciaux entre la Tunisie et la Chine n’a pas cessé d’évoluer et ce pays s’est hissé au rang de quatrième partenaire commercial de la Tunisie après la France, l’Italie et l’Allemagne.

Autre signe de ce rapprochement, le nombre de touristes chinois ayant visité la Tunisie s’est lui aussi nettement élevé pour atteindre 32 000 visiteurs en 2019.  

Beaucoup reste à faire et des horizons très prometteurs

Malgré cette consolidation de la coopération entre la Tunisie et la Chine, beaucoup reste à faire surtout que le potentiel d’échange et les perspectives de partenariat entre les deux pays montrent une possibilité de réaliser des exportations tunisiennes additionnelles estimées à plus de 200 millions de dollars (600MD), soit 4 fois plus la valeur des exportations actuelles, sans parler de la croissance des investissements Chinois en Tunisie.

Néanmoins, le développement des relations commerciales nécessite principalement la consolidation du secteur du transport.  La création d’une ligne maritime directe entre la Tunisie et Shanghai est nécessaire, tout comme le développement des capacités des ports tunisiens, qui ne peuvent recevoir les gros navires de porte-conteneurs. La réalisation d’un port en eaux profondes semble actuellement nécessaire et la solution pourrait venir des compagnies chinoises qui ont, depuis 2018,  dévoilé leur intention de développer un port en eaux profondes de troisième génération à Enfidha ou à Bizerte.    

Tout comme la construction du nouveau terminal de 80000 m2 de l’aéroport de Tunis-Carthage doté d’une capacité d’accueil de 8 millions de passagers par an, qui portera la capacité d'accueil de l'aéroport à 13 millions de passagers par an.

Dans le domaine de l'investissement, le potentiel de développement entre les deux pays est aussi énorme et il faut, dans ce cadre, faciliter l’installation d’industriels chinois spécialisés dans les industries lourdes et à fort potentiel technologique en Tunisie et particulièrement dans le sud du pays.

Par ailleurs, l’ouverture d’une ligne aérienne directe entre Tunis et Pékin est plus que jamais nécessaire pour renforcer la coopération entre les deux pays surtout au niveau du tourisme.  En effet, avec plus de 150 millions de vacanciers qui voyagent chaque année, les Chinois sont les citoyens qui voyagent le plus au coude au coude à coude avec les touristes américains. Ils sont à l’origine de 20% des dépenses touristiques dans le monde.

En raison de l’amélioration du niveau de vie en Chine, ces chiffres sont appelés à s’accroître d’une manière substantielle au cours des prochaines années et la Chine sera, pour très longtemps, le marché le plus émetteur de touristes dans le monde.

Face à ces données, la Tunisie doit établir en urgence une stratégie concrète pour séduire les touristes de ce pays et booster la coopération tuniso-chinoise dans le secteur touristique.

La levée très tardive au mois d’octobre 2023 des visas d’entrée des touristes chinois en Tunisie demeure très insuffisante et elle doit être accompagnée par l’organisation d’actions promotionnelles en Chine pour mettre en exergue les principaux points d'attraction de notre pays, l’engagement de partenaires locaux pour promouvoir l’image de la Tunisie, la recherche d’influenceurs pour aider à le faire.

Ces actions de marketing nécessaires pour espérer se positionner comme une destination de choix pour les touristes chinois et bénéficier ainsi du flux lucratif que représentent ces voyageurs dépensiers et ultra-connectés, pourraient être accompagnées par l’encouragement des grandes chaines hôtelières chinoises à venir s’installer en Tunisie, particulièrement à Djerba.

Beaucoup de choses restent aussi à faire au niveau des relations culturelles pour rapprocher les deux peuples amis, avec notamment la mise en œuvre de programmes de coopération à long terme et l’édification d’espaces culturels Chinois en Tunisie

En définitive, on peut dire que la coopération sino-tunisienne, longtemps dominée par des insuffisances multiples, demeure encore fragile et sous-exploitée. Avec les changements de politique étrangère de Tunis et la main tendue de Pékin, elle s’annonce désormais prometteuse et fructueuse, surtout si on lui assure une mise à niveau permanente et une recherche continue de solutions pouvant articuler la spécificité de chaque partenaire.   

 

 

 

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