Tunisie - Le ministère de la santé publique et le travail forcé
Depuis le 14 janvier 2011, les jeunes médecins sont en émoi. Eux d’habitude si timorés se sont révoltés plusieurs fois et ont osé défier l’autorité. Ils ont multiplié les grèves, créé des syndicats et des associations. La révolution tunisienne semble bien avoir ouvert la boîte de Pandore et libéré les maux passés sous silence dans l’univers clos et mystérieux de la médecine tunisienne.
La bombe explosa suite à la troisième tentative de mettre en application une loi votée pendant les derniers mois du règne de Ben Ali. Elaborée sous la forme d’un nouveau service national, cette loi mettait les jeunes médecins spécialistes à la disposition du ministère de la santé publique et les privait de tout recours légitime. Tout médecin poursuivant ses études au-delà de 28 ans était obligé de servir le ministère de la santé publique, même s’il était reconnu « soutien de famille parce qu’il avait la charge effective de faire vivre une ou plusieurs personnes qui se seraient trouvées privées de ressources suffisantes du fait de son incorporation. » De plus, le ministère de la santé publique a rejeté les accords qu’il a précédemment signés avec les syndicats des médecins et ne compte plus tenir ses engagements. Enfin, suivant en cela le sordide exemple israélien, le gouvernement fait désormais aussi appel aux femmes pour effectuer le service civil dans le cadre de la nouvelle loi sur le service national.
Le 3 octobre 2012, Abdellatif Mekki, actuel ministre de la santé publique a enfoncé le clou. Parlant à des représentants de l’Union des médecins spécialistes libéraux, il a déclaré vouloir imposer prochainement un « service obligatoire de deux ans dans des hôpitaux de l’intérieur pour les médecins avant leur installation. »
La Tunisie a adhéré en 1956 à l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Parmi les 58 conventions de l’OIT ratifiées par notre nation, la convention n° 105 stipule que « tout membre s'engage à supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n'y recourir sous aucune forme, [notamment] en tant que méthode de mobilisation et d'utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique. »
Par ailleurs, la convention n° 29 de la même organisation définit le « travail forcé ou obligatoire » comme « tout travail exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». Le service militaire obligatoire en est naturellement exclu (c’est-à-dire les travaux d’un caractère purement militaire), mais pas le service civil ou les fameuses deux années de « service obligatoire » du ministre de la santé publique.
Le ministère de la santé tunisienne ne considère pas les jeunes médecins spécialistes comme des citoyens libres qui ont chacun une histoire. Il faut savoir qu’à plus de trente ans, ce sont souvent des pères et mères de famille, pour lesquels un tel travail forcé représenterait un drame familial.
Le ministère de la santé publique ne respecte même pas les lois internationales qui régissent le travail obligatoire. La convention n°29 de l’Organisation Internationale du Travail ratifiée par la Tunisie en 1962, ajoute en effet que seuls les adultes du sexe masculin peuvent être assujettis au travail forcé ou obligatoire. Ce travail ne peut dépasser soixante jours par période de douze mois. De plus, l’exécution de ce travail ou service ne doit pas obliger les travailleurs à s’éloigner du lieu de leur résidence habituelle. Enfin, les travailleurs forcés doivent être rémunéré en espèces et à des taux qui, pour le même genre de travail, ne doivent être inférieurs ni à ceux en vigueur dans la région où les travailleurs sont employés, ni à ceux en vigueur dans la région où les travailleurs ont été recrutés.
Adam Chabane