Tunisie - Les glandeurs de la Constituante
Quelques jours après le 23 octobre l’Apocalypse redoutée n’a pas encore eu lieu et les élus de la Constituante ont entamé la discussion du «brouillon» de constitution. De longues discussions soporifiques, poussives, sans éclat… Entrecoupées des chamailleries et pitreries d’usage, comme dans tous les parlements du monde. La «légitimité» ne s’est pas évaporée comme un sylphe et le Tunisien contemple le spectacle d’un œil désabusé tout en dévorant une côtelette d’agneau…
Tout avait bien commencé pourtant. Kasbah II a rappelé à l’opinion publique qu’une Révolution qui a fasciné le monde se devait d’avoir ses Cromwell, Jefferson ou Danton. Eblouir les générations futures avec son Bill of Rights ou sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais au final les élections de l’Assemblée constituante organisées le 23 octobre 2011, dans une liesse quasi générale, n’enfanteront pas de génies. Dès les premiers résultats annonçant la Pétition Populaire deuxième force politique du pays et les déclarations de son fantasque leader Hachmi Hamedi, la grâce a laissé place à la désillusion.
Nous aurions pu avoir en Mohamed Abbou, les brillants aphorismes en moins, un digne héritier de Robespierre. La démocratie est à la fois «vertu et terreur» vaticinait le révolutionnaire français... Par un acharnement implacable du destin, les ministres ont démissionné de la Constituante. Nullement pour une position de principe ou un refus de cumuler les mandats. Ça aurait été indécent, d’ailleurs, en ces temps de crise de cracher sur une rente supplémentaire. Mais nos rusés hommes d’Etat ont fini par comprendre que les pleins pouvoirs démiurgiques de la Constituante n’étaient que de la poudre aux yeux. L’Assemblée n’est ni maitre d’elle-même comme on nous le rappelle pompeusement ni des destinées du pays. Après Mohamed Abbou, Moncef Ben Salem, las de bucher sur les dossiers de l’Enseignement supérieur la matinée et de faire la sieste les après-midis au Bardo, a jeté son tablier. Samir Dilou en a eu marre à un moment, lui aussi, de jouer avec son iPad tout neuf au fond de l’hémicycle…
D’aucuns objecteront, à juste titre, que la promotion 1959 avec ses Habib Achour, Hédi Nouira, Monji Slim n’aura pas servi à grand-chose non plus sinon à instaurer la première République bananière. Une assemblée monochrome qui au bout de trois ans s’est contentée de reprendre la constitution de la 5ème république française en l’adaptant pour renforcer l’exécutif et les prérogatives de l’homme fort du pays, Bourguiba. Mais aussi inutiles soient-ils, les élus de la première Constituante portaient beau et savaient se tenir. A voir l’allure débraillée de nos constituants on se demanderait presque si nous ne devions imposés l’uniforme. Veston, cravate ou bien burnous, chéchia qu’importe pourvu qu’on enraille la vague des chemisettes et des poils de torse qui dépassent. On devra, également, expliquer courtoisement à nos élues que le foulard rouge satiné n’est pas le summum de l’élégance et de la coquetterie.
Concernant les écarts de langage rien à faire. On imagine mal Mahmoud Matri traiter Ali Belhouane de «bassas» (péteur au sens propre, frimeur au figuré). Abderraouf Ayadi a plus de mal à se tenir aux règles de la bienséance mais il a dépassé l’âge d’apprendre les bonnes manières.
Nos jeunes élus sont turbulents et nous leur pardonnerions toutes leurs incartades avec une indulgence amusée. Si ce n’est qu’à leur frivolité vient s’ajouter la voracité. Réclamer des revenus et des avantages qui les libèrent des contraintes matérielles pour mener à bien cette lourde entreprise est parfaitement légitime. S’octroyer des augmentations dans l’opacité la plus totale est indigne. Les chefs de classe Mustapha Ben Jaafer et Meherzia Laabidi n’ont pas donné l’exemple. Les élus du bloc démocratique, qu’on préfère appeler les cancres ou les pionceurs, n’ont pas pinaillé comme à leur habitude ni daignés publier leur fiche de paie (seul élu à l’avoir fait : Mehdi Ben Gharbia). Solidarité parlementaire avant tout.
A l’envie et la gourmandise de notre élite révolutionnaire se rajoute entre autres péchés capitaux : la paresse. Karima Souid a réclamé une semaine de repos mensuelle pour s’occuper de sa famille en France. Ou peut-être qu’était-ce pour s’offrir des cours de soutien en arabe. Elle a, même, déteint sur sa camarade Lobna Jeribi, une forte en thème avec une tête de première de la classe pourtant. Le caprice de cette dernière : une crèche à l’intérieur du palais du Bardo.
On ne comprend pas grand-chose à l’évolution politique du pays en suivant les péripéties de l’Assemblé constituante mais on attrape le mal de mer à coup sûr. Roulis et tangage des élus. On se fait élire sur une liste d’Ettakatol (sociale-démocratie) et on atterrit à Nida Tounes (droite pragmatico-nationaliste). Que reste-il des CPR, Ettakatol, PDP, Aridha (on reconnait vite les défenseurs du régime semi-présidentiel) ?
Que dire d’autres sur les frasques de nos surdoués de la Constituante ? Un absentéisme qui n’affecte personne tant les débats sont indigents. Un blâme contre Habib Chourou s’impose après son appel à la crucifixion des sit-ineurs. Un avertissement pour Brahim Gassas qui attaque ses petits camarades avec un stylo à bille. Une remontrance à Taher H’mila et Habib Ellouz qui ne font pas de vagues au sein de l’hémicycle mais se montrent moins disciplinés en dehors. Un bon point pour Habib Khedher tout de même. Le premier à réclamer une séance plénière pour s’offusquer en chœur et rouspéter contre le «film» insultant le Prophète. Avec ses fines moustaches et sa voix chevrotante M. Kheder a le physique de son poste : Rapporteur. Fayot est plus qu’une vocation, un destin.
Nous ne nous attarderons pas sur la première copie de la nouvelle constitution. Celle de 1959 revue à la sauce islamisante. Les petits artistes copient, les grands artistes pillent disait Picasso. Bonnet d’âne et zéro de conduite pour tout le monde. Rendez-vous à la séance de rattrapage. Un petit espoir est permis. Ils ont discuté la loi des finances 2012 en 4 jours rien n’empêche la tenue des prochaines élections en avril, mai 2013 même si ça s’annonce plutôt mal. L’Assemblée constituante n’est pas son propre maitre, aux Tunisiens d’imposer leur tutorat.
Radhouane Somaï