Tunisie-Télé: Un (Grand) Maghreb au Botox version « Ness Nessma » !
« Ness Nessma » l'émission animée par le Tunisien Fawaz Ben Temessek et accompagné par une pléiade de
chroniqueurs tunisiens, algériens et marocains, offre au paysage médiatique maghrébin un nouveau concept qui réussit le métissage entre des reportages culturels et des chroniques panachés avec des sketches… Une véritable foire aux dialectes qui montre la richesse de la culture maghrébine même si parfois on n’arrive pas à suivre la charmante « Kao Zaz » (mannequin marocaine) quand elle se déchaine avec son dialecte marocain, peut être vaut mieux employer l’espéranto pour que tout le monde soit sur la même longueur d'onde.
Une impression de déjà vu... !
Les passionnés des émissions françaises et les fans du zapping ne peuvent pas passer inaperçu devant une émission comme Ness Nessma sans remarquer avec beaucoup de nostalgie, une mosaïque hétéroclite de rubriques déjà vues dans d’autres émissions françaises.
Tout d’abord, le concept de l’émission s’inspire fortement de la célèbre émission On a tout essayé de Laurent Ruquier (sur France 2 du 19 septembre 2000 au 29 juin 2007), diffusée en semaine en Access prime time et qui avait pour but de commenter, de manière tantôt humoristique tantôt plus sérieuse, l'actualité.
Nous n’irons pas jusqu’à comparer Fawaz Ben Temessek, qui fait ses début à la télé, à Laurent Ruquier ou bien à Philippe Gildas, mais il faut tout de même reconnaître que ce nouveau visage (qui nous a tant enchanté sur les ondes de RTCI) fait un bon début.
D'autre part, mention spéciale pour la performance de Sawsen Mâalej et ses personnages si hilarants qui nous rappellent comme par hasard les performances de Florence Foresti avec ses perruques et ses sketches toujours dans l’émission «On a tout essayé » . De même, le personnage d’Amine Idjer qui a été par suite remplacé par le célèbre humoriste algérien Kamel Bouakaz (très bien apprécié en Algérie), ne s’éloigne pas dans la forme des sketches de Johnathan LAMBERT, où il se met dans la peau d'un personnage loufoque en rapport avec l'invité (dans l’émission « On n’est pas couché », chaque samedi soir en deuxième partie de soirée avec Laurent Ruquier) ni dans le contenu des chroniques de Steevy Boulay (connu pour son amour du drapeau arc en ciel !).
Cependant on adore la performance et l’humour typiquement tunisien de Maha Chtourou même si son standard nous rappelle comme par hasard « Le Service Après-Vente des émissions » l'espace sketches de la célèbre émission Le grand Journal sur la chaine cryptée "Canal +" : un centre de réception d'appels pas comme les autres où le duo de choc "Omar et Fred" réagissent sur ce qu'ils ont vu à la télé en se moquant allègrement de ceux qui font l'actualité du petit écran.
D’autre part le groupe de Rock métal présent sur le plateau nous rappelle la musique live composées par Philippe Chany et le groupe de Lol qui habillait l'émission en Live tous les soirs dans l’émission Nulle Part Ailleurs (N.P.A.)
Un air d’union libre
L’idée de créer une émission destinée aux téléspectateurs des pays du grand Maghreb reste une très belle initiative. Sauf que le concept nous rappelle aussi une autre émission française : Union Libre, créée et animée par Christine Bravo et diffusée sur France 2 entre 1998 à 2002 et qui a eu un remake en 2005 nommé Encore plus libre d'abord présenté par Nagui puis ensuite par Karine Lemarchand. Sa version polonaise "Europa da się lubić" animée par Monika Richardson est très populaire. L’émission avait comme but de réunir des chroniqueurs des pays de l’union européenne comme : Ray Cokes (Grande-Bretagne), David Lowe (Grande-Bretagne), Maria Martin (Espagne), Luis Martinez (Espagne), Louisa Mac Mahon (Irlande), Ilario Calvo (Italie), Nikos Aliagas (Grèce), Dominique Dislaire (Belgique), Jorge Silva (Portugal), Anette Burgdorf (Allemagne), Martineke Kooistra (Pays-Bas), Erik Svensson (Suède), Heikki Cantel (Finlande) et d’autres…
Les Gaffes de la rédaction
D’autre part, alors que les propriétaires de la chaine expliquent que le concept est destiné aux téléspectateurs des pays du Grand Maghreb, beaucoup de points d’interrogations émergent : Pour trois tunisiens (Fawaz Ben Temessek, Sawsen Mâalej et Maha Chtourou), trois chroniqueurs marocains (Youssef Mirigue, Oussema Ben Jalloun et Kaoutar Boudarraja), et jadis, un algérien (Amine Idjer), on se demande où sont les chroniqueurs libyens et Mauritaniens ? Peut-t-on dire que l’émission sollicite un audimat du Maghreb des années 70 constitué des 3 pays : Maroc, Algérie et Tunisie ? En outre, comment ça se fait qu’on ait pu ignorer à un certain moment l’humour algérien au début? Heureusement que l’émission a été sauvée par la présence de Kamel Bouakaz. Certes, en suivant l’émission depuis ses débuts, le spectateur Maghrébin a dû remarquer que la langue officielle sur le plateau est le francarabe (un amalgame entre le français et l’arabe).
Alors que doit faire le spectateur libyen pour décrypter les propos énoncés en français ? Est-ce qu’on oublie toujours que nos voisins libyens ont été colonisés par les armées de Mussolini et que le français reste pour eux du chinois ? En revanche, tout le monde sait que la scène artistique, et culturelle de la Libye (Cheb Jilani, Mohamed Hassan, Hamid Chaâri etc..) et de la Mauritanie (les Dada, les musiciens gnawa etc.) est très riche. Ainsi, on se demande : quand est ce qu’on aura des invités de ces deux pays?
Sinon le public libyen et mauritanien va se sentir exclu de cette fête maghrébine. En plus, lors de l’épisode qui a accueilli l’actrice algérienne "Biyouna", comment ça se fait que le reportage dédié aux monarchies du Grand Maghreb, a pu oublier les Pachas de la Lybie (Youssef Pacha et sa flotte qui anéanti celle des américains), la Dynastie des Qaramanlis et la confrérie al-Sanoussiya? Où sont passés les émirats de : Idawiich, Trarza, Brakna, Tagant & Adrar ainsi que les tribus berbères de : Sanhadja, les frères ennemis Maghfras et Zouaya et l'empire Almoravide de la Mauritanie ?
Et le comble, avec des invités de marque comme Jean Marie Bigard, Laurent Baffie ou encore dernièrement Jamel Debouzze beaucoup se demandent pourquoi la rédaction n’a pas pu envisager de mettre un sous-titrage en arabe destiné aux téléspectateurs arabophones? Une telle émission ne peut réunir que des acteurs de la scène culturelle et de la « jet set » (Afef Jnifen, Saïd Taghmaoui, Tarek Ben Ammar etc) ? Alors qu’en occident des émissions de ce genre invitent des personnages de la scène politique, des économistes, des écrivains etc, Ness Nessma invite essentiellement les artistes.
En tant que citoyen maghrébin, je me demande si la touche glamour : papillons, paillettes et non solo moda reflète-t-elle vraiment la réalité de notre Maghreb ? Un Maghreb déchiré par plusieurs problèmes. Une frontière fermée entre le Maroc et l’Algérie à cause du Polisario, une UMA (union du Maghreb arabe) en stand by depuis plusieurs années et une culture amazigh et berbère méconnue du grand public…Ce que l'émission nous a déjà proposé jusqu'à cet instant n'est autre qu'un (pseudo) Maghreb très loin de sa réalité. Un Maghreb qui a subi des piqures de Botox (un produit tendance pour les fans du relooking et de la chirurgie esthétique des Docteurs Troy & McNamara de la série Nip/Tuck) afin de gommer les rides de sa désunion.
Tout en espérant que la rédaction de Ness Nessma rectifie le tir et se souvienne que le grand Maghreb est formé de 5 pays, rappelons que ce programme évolue au fil des émissions et offre au paysage médiatique audiovisuel une matière différente des pâles clichés des « talk shows » tunisiens… Bon vent.
Abdel Aziz Hali