Tunisie: Un pays qui s'embrase, entre souffrances et finances !

Tunisie: Un pays qui s'embrase, entre souffrances et finances !

 

On s’en était douté , un autre clou a été fiché dans le cercueil du Confinement .Les quatre jours  de débrayage  ordonnés lors de ce 14 Janvier se justifiaient non pas par l’état de pandémie, mais par celui de non état dans lequel le pays s’était installé bien avant les élections , et qui s’est aggravé depuis  , avec , outre les actuels affrontements dans les rues de plusieurs villes, celui entre le Président  du Gouvernement soutenu par celui de l’Assemblée des Représentants du Peuple,  et le Président de la République, qui avait fait rage . 

Le dernier épisode de ce bras de fer , un méga remaniement ministériel, s’est soldé , après le limogeage du Ministre de l’Intérieur, par le remplacement  de tous les ministres  précédemment nommés avec  l’assentiment du Président de la République ou à son instigation , et sans celui du Parlement. 

On peut  donc sans risque de se tromper, affirmer que le vainqueur en aura bien été ce dernier. Comme toujours , il continue d’entretenir une rhétorique contestable.  Il a ainsi déclaré après le remaniement être convaincu que Mr Karoui actuellement en détention était innocent et  qu’il serait bientôt libéré. 

Faut-il en déduire que le nouveau ministre de la Justice s’apprête effectivement  à le faire ? ce serait évidemment une immixtion de l’exécutif dans le judiciaire, obéissant à des motifs politiques,  mais depuis que Bill Barr l’a fait à l’instigation de l’ex président Donald Trump, une telle éventualité  ne fait plus scandale  , ce ne serait chez nous  rien de plus que renouer avec des habitudes depuis longtemps ancrées , que nous n’avons jamais vraiment abandonnées.  

Et  Rached Ghannouchi  semble en outre désireux de redorer son blason , terni par neuf années de pouvoir de l’ombre  et une année de fronde parlementaire,  en démontrant que le patron du gouvernement, c’est  désormais bien lui , même si pour cela , il doive faire mine de condamner son allié, la coalition El Karama, pour les agressions dont certains de ses membres se sont rendu coupables lors de l’exercice de leurs fonctions. 

On imaginerait difficilement   dans une démocratie parlementaire, qu’un Chef du Gouvernement  fût  capable de  gouverner sans majorité, mais  la frustration de ce parti supposé le soutenir , risque de rendre  sa position assez problématique, même avec la libération de Mr Karoui et le ralliement attendu du Parti Qalb Tounès à la majorité parlementaire. Mais , toutes ces grandes manœuvres politiciennes  semblent se dérouler dans une réalité virtuelle , alors que les habitants des quartiers populaires de la capitale et de plusieurs villes de l’intérieur défient la nuit le couvre feu  imposé , et commettent parfois des actes de pillage et de déprédation, sachant qu’ils ne se sont jamais conformés au confinement que les autorités faisaient rarement mine d’imposer. 

Il faut dire que depuis que le gouvernement  avait courbé l’échine devant les jeunes d’El Kamour, et avec la dégradation de la situation économique sur fond de pandémie, un tel scénario était devenu hautement probable , à court terme. Le moment choisi pour le remaniement ne semble donc pas avoir été particulièrement judicieux , du moment qu’il a intéressé des ministères importants. 

Et  les aléas, terme qui dans le contexte parait plus adapté que celui d’articles,  de la nouvelle Loi des Finances votée par les députés dans les conditions d’affrontements parlementaires ouverts par la harangue enflammée du député Mohamed Affès , n’ont fait que verser de l’huile sur le feu qui couvait dans la rue. En effet, ce qui lie les véhicules embrasés par des jets de cocktails Molotov, les interruptions de la circulation automobile par les pneus enflammés , les recettes des finances dévastées,  et la détermination et les risques pris par les émeutiers dans différentes villes du pays , ne peut être que cette loi dont l’application débute en Février.  

Le secteur informel représentant 54% de l’activité économique du pays, il était prévisible qu’une catégorie importante de la population soit  lésée par l’obligation  instaurée brutalement  de régulariser sa situation fiscale , afin de pouvoir s’acquitter de l’assurance automobile , et de la vignette, ainsi qu’elle en avait l’habitude, pour  circuler sur les routes .  Pour peu qu’elle en ait réellement  la volonté , les contraintes administratives, les lois en vigueur , et des redressements fiscaux conséquents, les en dissuaderaient.  

Dans les faits, des gens qui vivotent  aux  marges  de la loi se retrouvent interdits d’accéder aux  ressources qui les ont toujours fait vivre. Il ne faut pas chercher plus loin  l’origine de cette explosion qui embrase tout le pays, même si les partis politiques s’en rejettent évidemment la responsabilité, certains en accusant les islamistes, et ces derniers une présidence de la république dont le silence est  aussi énigmatique que celui du  Sphinx. Si donc il y a une mesure qui doive être prise pour éteindre le brasier  qui s’étend, il s’agit bien de réviser d’urgence cette loi  des finances dans un sens conforme aux réalités. 

Sinon, la population comme elle en l’habitude,  finira par s’en accommoder , comme toujours au détriment d’un Etat qui n’a jamais montré ni sérieux ni  constance dans ce par quoi il aurait dû débuter depuis longtemps, pour devenir crédible, la lutte contre la corruption et l’affairisme. 

Simplement ceux qui avaient l’habitude de rouler en payant leur vignette et leur assurance de circulation ne paieront plus,  mais continueront quand même de rouler. D’autre part, la police et l’armée ne peuvent pas être soumises indéfiniment à une telle tension sécuritaire, ainsi qu’elles l’avaient prouvé les derniers jours de Ben Ali. Et les mesures sécuritaires seules  n’avaient alors pas suffi ; pas plus que ne le feront les centaines d’arrestations de jeunes émeutiers qui en prison , s’initieront à l’école du Jihadisme. 

En Tunisie, lors de la révolte de 1864 de Ali Ben Ghedahem, la recherche de l’accroissement  à tout prix des revenus financiers  et fiscaux  d’un Etat aux abois , pour honorer ses dettes , avait conduit à l’impasse dramatique , rapportée par tous les livres d’Histoire, et  finalement  au Protectorat.  

L’économie informelle doit certes être limitée, sinon supprimée ; encore faut-il admettre que dans le contexte de libéralisme économique et d’impunité judiciaire imposés depuis des années par la dyarchie Nahda Nida, ceci ne soit que difficilement réalisable. Mais cette suppression, d’aucuns parleraient de résorption,  ne pourrait se faire que d’une manière progressive, par des mesures judicieuses, efficaces et  prudentes, dont feraient les frais en premier lieu les gros trafiquants. 

Le moment choisi pour le faire alors que l’économie est en récession  du fait de la pandémie et de ses effets , paraît singulièrement inapproprié. Dans tous les pays du monde les états débloquent plutôt des aides financières pour aider ceux qui sont lésés à faire face. C’est ce qu’avait fait le gouvernement Fakhfakh à un certain moment.

Elyes Fakhfakh est désormais face au pôle judiciaire et financier, au terme d’un règlement de compte politique, dont  le conflit d’intérêt, avéré, n’a été qu’un prétexte. On ne le regrettera pour autant pas. Maintenant on a l’impression que son actuel successeur  prend le contre-pied de cette mesure, en récupérant  ce que l’Etat avait distribué. 

C’est grave, parce que la mission principale de tout gouvernement demeure  de trouver des solutions aux problèmes les plus urgents de la population , si nécessaire au détriment de ses équilibres budgétaires. Entre une population qui se meurt et des dettes à honorer, il ne devrait pas y avoir de choix possible. Autrement le pays risque de passer de l’état d’anarchie larvée dans lequel il se débattait depuis le départ de Ben Ali et l’arrivée aux affaires du parti Ennahda , à celui  d’une véritable explosion sociale aux conséquences imprévisibles.     

Dr Mounir Hanablia 

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