Un diplomate sénégalais violemment tabassé par la police à l'aéroport Tunis-Carthage: Voilà ce qui s'est passé !

Un diplomate sénégalais violemment tabassé par la police à l'aéroport Tunis-Carthage: Voilà ce qui s'est passé !
 
Cela aurait pu être une caméra cachée n’eût été la violence avec laquelle les faits se sont déroulés. Mais de caméra cachée point. La vérité est semble-t-il plus amère, beaucoup plus difficile à admettre. Elle montre ce qui pourrait ressembler à une volonté de retour à l’Etat policier de Ben Ali.

Ce qui est arrivé, malgré son immunité diplomatique, à Ousmane Fall, le deuxième conseiller, chargé des affaires consulaires, culturelles, et des relations avec les citoyens de l’ambassade de la République du Sénégal en Tunisie, ouvre la porte à ces inquiétudes.

Tout commence par une banale histoire de taxi. Ousmane Fall accompagne, en ce jeudi 2 juillet, sa nièce, qui doit retourner au Sénégal, à l’aéroport Tunis-Carthage. Arrivés à destination, vers 17h40, le deuxième conseiller de l’ambassade de la République du Sénégal paie le chauffeur et se dirige vers la malle pour en sortir les bagages. C’est bien connu, chez nous, les taxistes ne bougent pas le plus petit doigt pour vous aider à monter ou descendre vos bagages du coffre et les astuces de certains parmi eux pour arnaquer les passagers sont courantes. 

Bref ! Pendant que le Sénégalais s’occupait des valises de sa nièce, le chauffeur arrive et lui réclame de l’argent sans lui dire autant pourquoi. Ousmane Fall refuse de le lui donner d’autant plus qu’il l’avait déjà payé. Le taxiste se dirige vers un policier pour se plaindre que son client ne veut pas le payer, sans lui préciser que la course, elle, avait été payée. 

Le représentant de l’ordre trouve, semble-t-il, dans cette histoire, dont il n’a, peut-être, pas compris un traître mot, l’occasion de montrer son pouvoir, et hèle le conseiller en lui disant soit de payer, soit de le suivre au poste.

Le Sénégalais est d’accord pour le suivre au poste juste le temps de faire entrer les bagages et sa nièce dans l’enceinte de l’aéroport.

La suite, c’est Ousmane Fall, avec qui nous avons pris attache, qui nous la raconte : «Quand je suis retourné voir le policier, il n’était plus tout seul. Il avait appelé deux de ses collègues. À hauteur du café situé sur le hall supérieur du terminal, j’ai pris mon téléphone pour appeler ma nièce, l’agent de police me dit «Vas-y appelle ton ambassade». Je lui répondis que je n’ai pas besoin d’appeler l’ambassade, parce que je suis de l’ambassade. Réponse à laquelle il réagit par une première insulte en me dépassant. Jugeant que je ne descendais pas assez vite les escaliers –je tenais par la main mon enfant, un petit garçon de trois ans qui m’avait accompagné à l’aéroport–, l’agent de police (celui vêtu d’une chemise de couleur bleue), m’a pris par la ceinture pour me tirer violemment vers le bas des marches, entrainant ainsi mon petit garçon dans une chute brutale. C’est en cherchant à me redresser de mon déséquilibre que je reçus un coup de pied au tibia droit, suivi d’insultes, toujours de la part du même agent. Plusieurs autres policiers se sont alors précipités sur les lieux, s’ajoutant aux trois premiers, pour s’adonner aux exactions».

Le diplomate est alors entraîné selon la fameuse vidéo qui circule, comme un criminel, vers les locaux de la police. Son enfant, qui rappelons-le, n’a que trois ans, est abandonné par les policiers sur les marches de l’escalier.  Il est récupéré par un africain subsaharien. 

Et Ousmane Fall de continuer son récit : «Dès mon arrivée devant les locaux de la police judiciaire, j’ai reçu plusieurs coups et insultes principalement de la part de trois agents de police particulièrement violents dont celui qui portait un gilet de police de couleur blanche, et d’un agent d’âge avancé vêtu d’une chemise de couleur vert clair.

M’apercevant de l’absence de mon fils, je demande de ses nouvelles, et quelqu’un me lance : il est avec ton ami. Je me précipite alors vers la porte en criant : quel ami ? Je suis arrivé seul à l’aéroport. C’est dans ces circonstances que l’officier de police muni d’un gilet blanc m’a donné un violent coup à la poitrine et ensuite plusieurs coups à la figure pendant que j’étais maintenu par un autre très corpulent qui m’insultait. Malgré cela, j’ai demandé plusieurs fois pour qu’ils envoient quelqu’un chercher mon petit garçon, sinon j’irais moi-même. Seule réponse obtenue : il est avec ton ami».

Heureusement qu’un étudiant d’Afrique subsaharienne avait récupéré le garçonnet perdu au milieu d’une foule de curieux, malheureusement, friands de faits divers de ce genre. «Un jeune étudiant est arrivé portant mon fils dans ses bras. C’est à lui que, discrètement, j’ai indiqué le numéro d’appel de Son Excellence Madame l’Ambassadeur du Sénégal à Tunis pour l’informer de la situation». 

Ousmane Fall a ajouté qu’il a voulu prouver aux policiers qu’il est bien diplomate, en essayant de sortir sa carte de son portefeuille mais selon ses accusations, les policiers le lui arrachent des mains, voient la carte mais semblent ne pas savoir ce qu’elle signifie ou ne pas lui donner d’importance : «Durant plus d’une heure de temps, je suis resté menotté dans une pièce, mon fils sur mes genoux. Pendant ce temps, mes pièces d’identité, à savoir ma carte d’identité diplomatique et ma carte d’accès à la zone sous-douane et quelques cartes de visite étaient aux mains des éléments de la police qui disaient vérifier mon identité, malgré la présence d’un fonctionnaire du Ministère des Affaires Étrangères qui est de permanence au bureau de protocole de l’aéroport.

Au bout de deux heures, deux parmi ces mêmes agents sont venus me notifier que j’avais frappé et insulté un officier de police, pour ensuite me remettre mon téléphone et mon portefeuille.... et me dire que j’étais libre de partir. Jusqu’au moment où j’ai quitté les locaux de la police, aucun procès-verbal ne m’a été lu. Ils m’ont libéré aux environs de 19h40». 

Suite à cette affaire, l’Ambassade de la République du Sénégal a saisi le ministère des Affaires étrangères tunisien par note verbale, avec photos et certificat médical d’interruption de travail pour dix jours à l’appui, mais, jusqu’à ce que nous publiions, aucune réponse ne lui a été donnée. L’ambassade a également saisi l’Etat sénégalais. 

Ousmane Fall souhaite demander sa mutation vers un autre pays et ne plus revenir chez nous, car, plus que les coups, c’est une «blessure morale très profonde» qui l’a marqué pour la vie. Actuellement, son fils de trois ans est encore en état de choc. Il refuse de quitter la maison pour sortir même devant la porte. 

Il est à signaler que nous avons essayé de connaître la position du ministère de l'Intérieur à ce sujet, mais nous attendons toujours. Il est clair que l'éclatement de cette affaire ayant coïncidé avec l'annonce du départ du porte-parole de ce ministère Mohamed Ali Laroui ne joue pas en notre faveur.

Cependant, un syndicaliste de la police a estimé dans une intervention sur les ondes de Shems FM que le diplomate sénégalais est dans le tort "puisqu’il n’aurait pas payé le taxiste, et qu'il aurait refusé d’obtempérer aux policiers qui ont été obligés de le conduire par la force au poste". Selon ce même syndicaliste, "le citoyen sénégalais a agressé les agents de la police et détruit certains équipements du poste". 

En attendant que l’enquête élucide les tenants et les aboutissants de cette affaire, on peut dire sans risque de se tromper que le mauvais traitement des Africains subsahariens est devenu un pain quotidien dont notre pays se passerait bien car il est en train de salir l’image de la Tunisie.  

 
Zouhour HARBAOUI
 
 
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