Remaniement : Chahed peut-il délier les liens de dépendance envers les partis ?

Remaniement : Chahed peut-il délier les liens de dépendance envers les partis ?

 

Le remaniement ministériel devait être annoncé ce samedi, soit un an jour pour jour après l’investiture du gouvernement national, selon une source fiable. Mais des difficultés ayant surgi et ont contraint le chef du gouvernement à reporter cette annonce vraisemblablement après l’Aid. Face aux pressions des uns et des autres, il a dû prendre son mal en patience pour ne pas trop vexer « ses soutiens naturels » et composer avec eux dans la mesure du possible. Le remaniement devrait, au départ, toucher six ministères dont les trois ministères déclarés restés vacants après le limogeage de ministres de l’éducation et des finances et la démission de celui du développement régional et de l’investissement. Des noms ont même circulé comme possibles rentrants dans l’équipe gouvernementale, mais c’était compter sans la surenchère de certains partis pour obtenir de nouveaux maroquins ou placer leurs hommes aux postes qu’ils revendiquent et qui pensent qu’ils leur reviennent de droit ! Un bras de fer est engagé avec le chef du gouvernement pour engranger le maximum de postes. Un remaniement ministériel n’est pas une simple sinécure.

Pourtant, le chef du gouvernement est sorti de son silence et a décidé de couper court à l’expectative et aux rumeurs, en entamant les consultations nécessaires. Après une évaluation du rendement de ses ministres et de ses secrétaires d’état, il a déjà en tête les noms des partants et des rentrants. Il a commencé par rencontrer le président de la république Béji Caid Essebsi qui reste son principal soutien. Chahed sait que sans le consentement du chef de l’Etat, son remaniement risquerait de ne pas passer étant donné les exigences des deux grands partis, Nidaa Tounes et Ennahdha. Sa rencontre avec le président de la République a permis de dissiper les quelques doutes qui subsistent encore quant au froid entre les deux chefs de l’exécutif. Béji Caid Essebsi l’a assuré de son soutien et lui a fait comprendre qu’il joue sa dernière cartouche et que, par conséquent, il ne doit plus tergiverser car le temps presse et les attentes se font de plus en plus grandes. Il a, ensuite, rencontré Hafedh Caid Essebsi le directeur exécutif de Nidaa Tounes qui semble avoir revu à la baisse les revendications de son parti. Essebsi junior n’exige plus un remaniement en profondeur, mais il insiste sur la nécessité de former un gouvernement reflétant les résultats des élections de 2014, et « restituer le pouvoir à ceux en qui le peuple tunisien a placé sa confiance. Tout autre choix ne peut que perdurer la crise et serait une perte de temps ». En clair, donner plus de maroquins à Nidaa Tounes qui a, même, présenté quatre ou cinq noms. Chahed a également reçu le président du mouvement Ennahdha Rached Ghannouchi pour dissiper la brouille entre eux après l’appel de ce dernier au chef du gouvernement à se concentrer sur la gestion des affaires du pays sans et à s’engager de ne pas se présenter aux prochaines élections prévues en 2019. Le mouvement Ennahdha qui continue à soutenir le gouvernement Chahed estime que « tout remaniement doit tenir compte des engagements contenus dans le Document de Carthage ».

Les autres signataires du « Document de Carthage » et en premier lieu l’UGTT et l’UTICA ont, à leur tour leur mot à dire sur le remaniement et chaque centrale a ses propres candidats pour les ministères avec lesquels elles collaborent étroitement et ses exigences. Même les petits partis qui ont réussi à envoyer un représentant au gouvernement, marchandent avec le chef du gouvernement.

Modifier la Constitution

Mais pourquoi le chef du gouvernement doit-il tenir compte des désirs des grands partis  de la coalition gouvernementale? Parce tout simplement, il a les mains liées du fait qu’il est obligé de passer par l’Assemblée des représentants peuple pour toute modification e son équipe, ne serait-ce que pour changer un secrétaire d’Etat. Pourtant, précise le constitutionnaliste Fadhel Moussa, ancien membre de l’Assemblée nationale constituante, « la Constitution ne dit pas clairement qu’à chaque remaniement, le chef du gouvernement doit obtenir l’aval de l’ARP ». L’article 89 stipule que « le Gouvernement fait un bref exposé de son programme d’action devant l’Assemblée des Représentants du Peuple afin d’obtenir sa confiance à la majorité absolue de ses membres ». Or, explique Moussa, « les députés de l’ARP ont fait une autre interprétation de cet article dans le règlement intérieur pour faire obligation au chef du gouvernement de revenir à l’Assemblée à chaque remaniement. Et c’est devenu une coutume constitutionnelle ». En effet, dans le chapitre premier du Titre VIII du règlement intérieur, relatif au vote de confiance au gouvernement ou à l’un de ses membres stipule l’article 139 stipule que « le Président de l’Assemblée convoque une réunion du Bureau de l’Assemblée dans les deux (02) jours de la réception du dossier comprenant la demande de la tenue d’une séance de vote de confiance au gouvernement ou à un membre du gouvernement ». Or, « dans la plupart des régimes parlementaires, cette exigence n’existe pas », assure l’ancien Constituant. Même son de cloche chez l’avocat et ancien dirigeant de Nidaa Tounes Abdessatar Messaoudi qui pense même que « Youssef Chahed pourrait outre l’ARP et opérer son remaniement sans y revenir». Pour lui, « c’est une aberration que de trainer le chef du gouvernement devant l’Assemblée à chaque modification de son équipe. Ce qui le rend tributaire du bon vouloir des grands partis, notamment ». Pourrait-il envisager un passage en force ? « Si, sauf qu’il s’est déjà, présenté devant l’Assemblée pour obtenir sa confiance au nouveau ministre des affaires religieuses et au nouveau secrétaire d’état au commerce, comme l’a fait son prédécesseur Habib Essid, il n’a plus le choix que de solliciter sa confiance pour le remaniement ».  De son côté, l’ancien magistrat Jameleddine Khemakhem va plus loin en pointant du doigt le régime politique instauré par l’ANC « Un régime hybride qui   qui combine des caractéristiques du régime parlementaire et d'autres du régime présidentiel ». Cette frome de régime « ne convient pas à une jeune démocratie comme la nôtre », explique-t-il, avant d’ajouter que « le pays est devenu ingouvernable à cause de sa Constitution qui lie les mains du chef de l’exécutif et le prive de de toute sa capacité d’agir politiquement. D’où les retards accumulés dans les réformes ». C’est pourquoi, il préconise l’amendement de la Constitution pour plus de souplesse et donner plus de pouvoir au gouvernement afin d’engager les réformes nécessaires sur tous les plans.

Pour le moment, le remaniement qui s’est fait beaucoup attendre pourrait être annoncé dans les jours qui viennent.  On verra, donc, s’il va porter la griffe du Chef du gouvernement.

B.O

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